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Déconstruire la colonisation et ses rapports de force

Expérimental, contestataire voire subversif : Africa Acts se mobilise à travers la performance artistique


Plus qu’un festival en tant que tel, Africa Acts est un moyen d’expression, un espace de liberté, un évènement où la création artistique ne connaît ni limites, ni frontières. Ils sont artistes, ils sont africains, ils sont engagés, du 5 au 12 juillet 2015, Africa Acts jette un regard contemporain en mémoire à l’esclavagisme et l’époque colonialiste.

« Dans la situation qui est la nôtre, seul l’art peut permettre de réinventer la réalité, ouvrir une nouvelle porte et provoquer une révolution des esprits »

JEAN-PIERRE BEKOLO
Invité au festival, il est cinéaste Camerounais et réalisateur des Saignantes (2009), un thriller érotico-politique qui propose de changer une Afrique dont l’avenir est sombre et incertain.

Penser l’Afrique autrement

Continent absolument immense, l’Afrique ne se résume pas à une seule civilisation. Souvent montrée du doigt, à tort ou à raison, la période coloniale suscite encore aujourd’hui beaucoup de contestations et de révoltes. Horrible et exotique, il n’est pas rare de constater que l’Afrique, telle qu’elle est représentée aujourd’hui par le Nord est vu comme un continent sans avenir,  un continent immobilisé où persistent de violentes inégalités sociales et économiques.

Attirées par les riches ressources qu’offre l’Afrique, les puissances européennes exploitent le territoire africain dès le courant du 19ème siècle. A la différence de l’Asie, il est entièrement colonisé.

Même si aujourd’hui nos sociétés se sont débarrassées de l’histoire de la traite négrière, elles continuent en quelque sorte à véhiculer cette habitude de concevoir l’Afrique, de regarder l’Afrique de loin et de haut en pensant qu’elle n’est pas inscrite dans des trajectoires qui se tourneraient vers l’avenir.
Le continent ne souffre pas aujourd’hui d’un défaut d’histoire mais bien du déni de l’historicité que font les sociétés de l’histoire de l’Afrique.

Avec ses ratés politiques et ses expériences sociales très diverses, l’Afrique est peut être au contraire et finalement en avance sur l’histoire et sur ce que deviennent les sociétés contemporaines.

C’est en tout cas ce qu’évoque Achille Mbembe, philosophe camerounais et théoricien du post-colonialisme dans son ouvrage Critique de la raison nègre. Pour lui, cette condition nègre est la condition que les sociétés ont construite dans certains segments de l’humanité il y a quelques siècles et qui s’universalisent aujourd’hui. C’est en ce sens que Achile Mbembe fait remonter cette machination de l’individu à  plusieurs siècles en arrière. 

« L’histoire de l’Afrique est jalonnée de réponses artistiques à la violence – violence de la traite, du colonialisme, des régimes politiques. Les pratiques artistiques ont parfois été instrumentalisées pour construire le pouvoir, mais aussi pour s’y opposer  »

DOMINIQUE MALAQUAIS
Historienne de l’art
Chargée de Recherche à l’Institut des Mondes Africains

Les mondes africains : une histoire oubliée ?

Il y a exactement 300 000 ans, homos sapiens est apparu pour la première fois en Afrique. Cela porterait à croire que l’Afrique porte en elle une histoire vieille comme le monde. Et pourtant.. on s’obstine à répéter que l’Afrique n’a pas d’histoire.
Cela viendrait-il du fait que la majorité des personnes sur Terre ne la connaissent pas ? en tout cas ils ne la cherchent pas, ils ne la valorisent pas, et surtout, on ne l’enseigne pas.
Pourtant.. lorsqu’on étudie l’histoire de l’Afrique Noire, il n’y a que des sentiments de fierté et d’honneur pour ce que les ancêtres africains se sont obstinés à bâtir. 

Africa Acts  | Performances africaines

Consacrée au arts de la performance artistique en Afrique, la première édition du festival Africa Acts s’est tenue du 5 au 12 juillet 2015 à Paris. A cette occasion, 12 artistes se sont réunis pour une semaine de manifestations artistiques et culturelles. Une invitation à la réflexion au travers d’une multitude d’arts pluridisciplinaires.
Il s’agit d’artistes chorégraphes, musiciens, compositeurs, réalisateurs, artistes peintre, graffeurs, photographes, vidéastes..

Artistes|Portrait photographique

On vous présente un à un les artistes programmés au festival.
Venus de différents horizons, pourtant une seule et même racine originelle les unit : le continent Africain.

Organisé à l’occasion de la European Conference on African Studies (ECAS) par l’Institut des mondes africains du CNRS, le festival Africa Acts porte un message.
Tout comme les organisateurs du festival, les différents artistes invités à se produire se positionnent sur le même terrain d’entente : penser l’Afrique à travers leur art comme profondément en lien avec le politique, notamment avec des actes de performance. 

Un parcours à travers Paris et sa banlieue

C’est dans la capitale de France qu’Africa Acts a décidé d’ouvrir ses portes. De jour comme de nuit, les artistes sont invités à se produire le temps d’une semaine dans plusieurs endroits de la ville. Théâtres, musées, salles de concerts, centres artistiques, collèges, universités.. en passant par la rue, une multitude de lieux divers et variés forment ainsi un large parcours où le spectateur est convié afin de s’immiscer dans chacun de leurs univers.

Le potentiel de l’art en tant qu’engagement

Certains s’engagent en tant que membres d’un groupe, d’autres ont un goût plus prononcé pour la mise en pratique de leur propre art. Africa Acts propose à cette occasion la mise en exergue la création artistique pour témoigner, pour se souvenir mais aussi pour résister au lourd passé de l’histoire coloniale de l’Afrique.
Le spectateur est invité à vivre une expérience hors du commun pour découvrir une multitude d’arts visuels et sonores. Provoquant autant de fascination que de réprobations, l’art plonge ainsi le spectateur dans une émotion, spectaculaire, particulière peut-être.
Du 5 au 12 juillet, le chant, la danse, la peinture, la musique, la photographie, la vidéo, la sculpture mais aussi différents arts visuels et sonores proposent à ceux qui le veulent, un voyage, une expérience sensorielle aux multiples visages.

Repoussant les frontières de leur discipline, chacun des 12 artistes se met en scène dans différents lieux de Paris en utilisant la plupart du temps leur propre corps comme médium artistique.

Chaque homme, tout homme est un artiste

Cette semaine culturelle qui accompagne l’ECAS met en avant la performance artistique, cette relation qu’il existe entre l’acteur et le spectateur faisant ainsi tomber la différence entre les deux à tel point que le spectateur devient partie prenante et intégrale de ce qui se fait sur scène, cette dernière étant complètement absente.

On parle d’une Afrique ancrée dans l’histoire, une Afrique active et engagée à travers ses artistes et ses militants. On parle aussi d’une Afrique insoumise.. aux multiples révoltes, insurrections et mouvements sociaux du 20ème siècle. Tant de mouvements globaux qui chargent l’Afrique d’histoire.

Digne d’un travail d’artistes résolument hors-format, Africa Acts consacre les arts de la performance et vient questionner les limites de leurs disciplines. Un art où le dépassement de soi amène créativité et épanouissement.
Leur motivation, leur détermination, les artistes la puisent dans leur histoire, propre à chacun d’eux.

Dans le cadre de Africa Acts, la performance artistique ne cherche pas à donner une vision personnelle, intime, subjective du projet créatif de l’artiste dans le but qu’il fasse écho au plus grand nombre. Le projet artistique des artistes témoigne plutôt de la fidélité et de la conviction singulière qui sommeille en eux.

Récits de soi par l’art, mise en exergue de leurs trajectoires respectives et de leurs expériences les plus intimes, les douze artistes invités à s’exprimer racontent leur propre vision du monde qui les entoure.

Repoussant les frontières de leur discipline, chacun des 12 artistes se met en scène dans différents lieux de Paris en utilisant la plupart du temps leur propre corps comme médium artistique.

Discours contemporain autour de la colonisation

A leur manière et à travers leur art, chacun propose de répondre aux violentes inégalités sociales qu’a connu l’Afrique et ses peuples pendant la traite négrière et l’époque colonialiste.
Ce discours contemporain et artistique, ils l’explorent sur un territoire esthétique et éthique qui les place au coeur des débats qui perdurent sur la signification de l’art en tant que pratique sociale et engagée.

Rigoureux, exigeants, ludiques aussi : les artistes au cœur d’AFRICA ACTS décapent. Individuellement et tout ensemble, ils posent sur le monde qui les entoure des regards qui tendent à le ré-enchanter : le repenser, le rêver à l’aune d’imaginaires qui mettent à mal clichés et idées reçues qui, si souvent, caractérisent les représentations du continent africain.

Caroline Roussy
Historienne et chercheuse associée à l’Institut des mondes africains (IMAF)

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Déconstruire la colonisation et ses rapports de force

Noughts + Crosses : une représentation alternative de nos débats de société

Sortie en mars 2020, la série Noughts + Crosses a été produite par la BBC et diffusée aux États-Unis sur la plateforme Peacock. Adaptée du roman « Entre chiens et loups » de Malorie Blackman, l’histoire nous entraîne dans un univers dystopique où l’Afrique (Aprica) a colonisé l’Europe. Callum, un Noughts à la peau blanche et Sephy, une Crosses à la peau noire vivent une histoire d’amour tels Roméo et Juliette, mais ils sont séparés par le racisme. Le récit touche à des sujets qui font débat dans la société actuelle, mais comment ces débats sont-ils représentés dans la série ? Découvrez-le en dessous !

Bande-annonce de Noughts + Crosses

Une mise en abîme de notre société

Les débats soulevés dans cette série reflètent grandement notre société contemporaine de façon inversée. Du racisme systémique aux violences policières en passant par la colonisation, beaucoup de sujets se rapportent à des événements de notre société actuelle. Ce monde dystopique nous montre un Apartheid inversé avec des mouvements extrémistes de protestations, qui poussent à une réflexion sur les directions des mouvements d’extrême-droite actuels. Ces représentations inversées ou différentes pourront peut-être bousculer les mentalités et mener à une prise de conscience du monde occidental.

Un racisme présent depuis des siècles dans notre société

Cette adaption du roman de Malorie Blackman sorti en 2001 expose de nombreux problèmes de société. Depuis des siècles le racisme est présent : de la colonisation, au KKK, à l’Apartheid ou au mouvement Black Lives Matter ce problème de fond a toujours été là.

Mais quels liens avec la série ?

Et si l’Afrique avait colonisé l’Europe ?

Dans cet univers, vous êtes dans un système où la domination raciale est inversée, les Noirs dominent les Blancs depuis plusieurs siècles. Plusieurs empires se battent pour obtenir le plus de terres possibles. Seuls la Russie et la Mongolie luttent encore contre les différents empires Apricains. L’Europe est colonisée jusqu’à Albion (équivalent de Londres). La culture Apricaine s’est diffusée et imposée aux Noughts. L’esclavage a été aboli depuis longtemps mais la ségrégation raciale est très présente. Une véritable fracture se pose entre les Crosses, riches et dominants et les Noughts, pauvres et dominés. La série se positionne dans un espace temps sans année précise mais qui ressemble à notre époque. La colonisation ne s’est jamais arrêtée.

Un Apartheid alternatif

On se retrouve dans une société très ressemblante à celle de l’apartheid en Afrique du Sud. Les écarts sociaux entre les Noughts à la peau blanche et les Crosses à la peau noire se sont creusés dans la ville d’Albion. La politique, la culture et la santé sont contrôlées par les Crosses. Les Noughts habitent dans les quartiers périphériques de la ville et sont dans des maisons de très mauvaise qualité, il n’est pas possible pour eux d’habiter dans le même quartier que les Crosses.

Les relations interraciales sont interdites par la loi. Des panneaux d’interdictions sont affichés dans les bus, les rues, partout… Callum McGregor est le fils d’une famille de Noughts, dont la mère Meggie travaille depuis des années pour une famille riche de Crosses. Les enfants des deux familles se sont connus très jeunes, et des années plus tard Callum et Sephy se retrouvent et tombent amoureux malgré les interdictions… Pour se voir ils doivent se cacher. À un moment, Callum souhaite emmener Sephy dans un bar afin qu’ils puissent passer une soirée ensemble. Ils vont alors dans un lieu clandestin où des couples de Noughts et Crosses se retrouvent en secret.

Violences policières

Dès le premier épisode, un soir, trois jeunes Noughts à la peau blanche se font contrôler par la police. Très vite le contrôle dégénère, les policiers demandent aux jeunes de se coller contre le camion et l’un d’eux refuse. Le policier en face de lui perd patience et le traite de « Blanker », qui peut être l’équivalent du mot « Négro ». L’un de ses amis lui demande de venir contre le camion afin d’apaiser l’échange, mais son ami refuse. À ce moment là une altercation éclate. Les échanges dégénèrent et un policier frappe violemment l’un des jeunes à la tête. Il ne bouge plus.

Le 25 mai 2020, George Floyd, un Afro-américain de 46 ans décède lors d’un contrôle de police aux États-Unis. L’un des policiers maintient l’homme Noir au sol, l’empêchant de respirer. George Floyd dit a plusieurs reprises « Je ne peux pas respirer » alors que le policier pose son genoux sur son cou. Au bout de quelques minutes, il ne bouge plus.

Des milliers de personnes dans les rues

L’ami de Jude et Callum est directement emmené à l’hôpital. Il est dans le coma et les visites de ses parents sont interdites par la police. L’un des leaders de l’opposition aux Crosses, Jack Dorn, fait son apparition. Lorsque les parents du jeune homme partent prendre un café, Jack s’infiltre dans la chambre et étouffe le jeune homme. Il fait de sa mort un symbole pour la révolution. Des rassemblements sont organisés devant l’hôpital par les Noughts pour montrer leur soutient. Des milliers de personnes descendent dans les rues pour protester contre la police. Les militaires sont envoyés en renfort et des altercations ont lieu.

Dans notre société, après la mort de George Floyd, des manifestations pour protester contre le racisme et les violences policières sont organisées partout. Des milliers de personne sont descendus dans les rues aux États-Unis, et dans le monde, du Royaume-Uni jusqu’en Australie ou en Suisse. Les manifestants scandent le slogan « Black Lives Matter », le nom d’un mouvement politique né en 2013 dans la communauté afro-américaine militant contre le racisme systémique envers les Noirs. Depuis ces événements, Amnesty International a créé une carte recensant les cas de violences policières aux États-Unis.

Les partis extrémistes

Après la mort du jeune homme dans la série, le frère de Callum, Jude McGregor, est recruté par Jack Dorn. Il entre alors dans un parti extrémiste contre le racisme. Son désir de revanche le pousse à accepter de poser un bombe dans l’hôpital où leur ami est décédé quelques jours auparavant. Jack lui explique que la bombe est seulement destinée à abîmer les bâtiments pour faire passer un message, cependant il charge plus d’explosifs et plusieurs personnes sont touchées. La famille McGregor se retrouve rapidement sous les accusations de la police.

En France et ailleurs, des partis d’extrême-droite existent et portent des idées racistes, contre l’immigration, allant jusqu’à des actions très violentes contre certaines communautés. C’est le cas du Ku Klux Klan, une organisation suprémaciste terroriste blanche américaine d’extrême-droite. Récemment, le groupe d’extrême-droite Génération Identitaire a été dissous par le gouvernement français. Le gouvernement lui reprochait un « discours de haine assumé » et son organisation en « milice privée ».


Pour aller plus loin : On peut aussi retrouver des représentations de la colonisation dans la musique, par exemple dans le clip Ausländer de Rammstein, dans lequel les membres du groupe colonisent une île.

La série est disponible en Angleterre sur BBC iPlayer et aux États-Unis sur la plateforme Peacock. Pour le moment, la série n’a pas encore été traduite en français et n’est pas disponible en France.


Rejouer les logiques colonialistes

Haute couture et appropriation : inspiration ou colonialisme culturel ?

Dreadlocks, coiffes amérindiennes, henné, bindi… quels usages la haute couture fait-elle des subcultures ?

Depuis quelques années, le monde de la haute couture fait face à de nombreuses polémiques. En cause : la question de l’appropriation culturelle, dénoncée par les peuples spoliés. Si les créateurs se défendent en criant au droit à la libre inspiration, ces emprunts ne sont pas vus de la sorte par tout le monde.

Alors entre inspiration légitime et appropriation culturelle, comment placer le curseur ?

Appropriation culturelle : de quoi parle-t-on ? Petite définition

La notion d’appropriation culturelle apparaît dans le milieu intellectuel canadien courant des années 1990. Poussé par les revendications de peuples autochtones qui mettent en lumière les nouvelles formes d’exploitation dont ils sont victimes, des chercheurs vont penser l’appropriation culturelle comme une dépossession culturelle. La notion désigne ainsi le processus de création qui reprend des éléments graphiques de certaines cultures sans reprendre les codes dans lesquels s’inscrivent ces éléments (il n’est donc pas vraiment question d’une célébration mais plutôt d’un rapt culturel).

En ce sens, les appropriations culturelles assimilées à des spoliations passent pour une forme de néocolonialisme

Monique Jeudy-Ballini

Si les créateurs se défendent en convoquant leur droit à s’inspirer de cultures alternes, ceux-ci se méprennent quant à l’impact de leur entreprise. En effet, le problème central dans l’appropriation culturelle est celui de l’adoption d’éléments d’une subculture par des membres extérieurs à cette culture qui, de fait, dévaluent l’identité même de cette culture.

Alors, nous objectera-t-on, pourquoi ne pas prendre exemple de ces créateurs qui disent « mettre à l’honneur » les cultures dont ils s’inspirent ? Et bien justement parce que leur position est précisément celle d’un impérialisme culturel. En reprenant certains éléments graphiques sans subir l’oppression, le racisme ou les préjugés dont sont victimes les personnes portant ces habits, l’industrie de la haute couture exerce une domination symbolique. Le problème réside donc essentiellement dans cette posture presque paternaliste des créateurs qui intensifient des rapports d’oppression que subissent les spoliés.

Rapide tour des polémiques d’appropriation culturelle en haute couture

Inspiration ou appropriation ? Comment comprendre les emprunts aux subcultures ?

Si la plupart des créateurs se défendent de toute appropriation culturelle, leur traitement de certaines pièces demeure très problématique. En effet, la frontière est fine entre appropriation et célébration, en témoigne les récentes polémiques.

La couturière Carolina Herrera a fait les frais de cette méprise en juin 2019 lorsqu’elle déclarait que « s’inspirer des cultures, il n’y a rien d’honteux à cela ». Une remarque qui fît vivement réagir les internautes sur Twitter.

Emprunter à des cultures pourrait ainsi constituer une célébration en soi, mais la posture qu’adoptent les créateurs demeure problématique, et ce, en trois points.

  • D’abord, le fait de s’approprier des vêtements ancrés dans un contexte socio-historique précis sans célébrer cette culture toute entière dénigre les spoliés. La décontextualisation nie le marqueur identitaire que constitue le vêtement.
  • Ensuite, s’emparer de l’histoire d’une oppression à des fins artistiques est dérangeante.
  • Enfin, le profit que génère ces artefacts demeure un point extrêmement problématique.

L’appropriation culturelle va donc plus loin qu’un simple emprunt, elle dépossède les spoliés tant sur le plan culturel qu’économique. Car en effet, capitaliser sur l’esthétique relative à une culture ôte une certaine légitimité aux peuples spoliés.

Ainsi, Respect, le défilé 2017 de Marc Jacobs se veut un hommage au hip-hop et style « street ». Mais le pari est raté : en première ligne défilent des mannequins blancs aux allures presque déguisées. On se la joue ghetto classe sur Park Avenue à Manhattan et un défilé sans âme se trame : quand le privilège blanc entrevoit l’appropriation culturelle.

Les mannequins Marc Jacobs devant le mur de son pour le défilé Respect – hiver 2017

Glamorisation coloniale et marketing Quelles implications pour l'appropriation culturelle ?

Le problème de l’appropriation culturelle réside en outre dans la glamorisation d’attributs souvent issus de ségrégations. Imiter et rendre sensuel un lifestyle sans subir les désavantages liés à l’identité recopiée fait perdurer des rapports de domination. Les créateurs haute couture profitent donc d’une situation d’oppression économique et culturelle en ne reproduisant que l’esthétique liée à cette position.

Plus largement, la bloggeuse Annie Khatchikian s’interroge : « Peut-on réellement capitaliser sur une subculture, qu’elle soit punk, street, ou bien issue d’une communauté minoritaire sur un territoire donné ? ». Et sa question recentre le débat sur l’aspect monétaire ; car, il ne faut pas l’oublier : l’appropriation culturelle a toujours des implications marketing. Ainsi, l’aspect économique est fondamental pour comprendre l’exploitation qui se joue.

Dans la même veine, notre article sur le film Black is King de Beyoncé met en tension l’engagement de la chanteuse : sa stratégie marketing s’appuie effectivement sur un militantisme fier. Dès lors, les implications économiques des productions culturelles contemporaines remettent en perspective l’entièreté des créations.

Ainsi, emprunter des éléments distinctifs de cultures autres, c’est reproduire sans cesse le même processus colonial. Le modèle impérialiste perdure, et avec lui une esthétisation d’éléments emprunts de significations. Défiler avec un turban simplement pour sa beauté esthétique glamorise l’habit, en même temps qu’il lui ôte toute force significative.

Vêtement et identité Habits comme marqueurs sociaux

Ainsi, l’appropriation culturelle est plus largement liée à la question de l’identité. Les vêtements sont des marqueurs sociaux, et, en ce sens, ils constituent des discours à part entière. Porter un habit signifie bien plus qu’un simple choix esthétique, et le réduire à cela nie tous les aspects identitaires qui se jouent en lui.

Faire de l’appropriation culturelle c’est donc réduire une identité toute entière à des traits esthétiques superficiels ; c’est vider le signe de son sens.

Le sociologie anglais Dick Hebdige étudie le rapport identitaire entretenu avec les habits et l’explique sous le terme « d’homologie ».

La sous-culture punk confirme clairement cette thèse. Sa cohérence est indéniable. Il y a un rapport d’homologie évident entre les vêtements trash, les crêtes, le pogo, les amphétamines, les crachats, les vomissements, le format des fanzines, les poses insurrectionnelles et la musique frénétique et “sans âme”. Le répertoire vestimentaire des punks était l’équivalent stylistique d’un jargon obscène et, de ce fait, ils parlaient comme ils s’habillaient.

Dick Hebdige

Le vêtement parle donc de l’homme, de ses gouts, de sa classe, de son identité propre. Réutiliser des éléments stylistiques d’une culture, c’est détourner totalement la signification et l’aspect identitaire que peut avoir le vêtement. L’offense ressentie par les peuples copiées est ainsi d’autant plus forte qu’elle revient à nier leur culture toute entière.

Esthétique du pauvre Vers une esthétisation de la précarité

En empruntant aux différentes cultures des attributs esthétiques, les créateurs décontextualisent totalement les vêtements. Ainsi, si le sweatshirt à capuche s’est démocratisé avec les lignes de création streetwear, il est d’abord un élément constitutif de l’urban culture, et motive souvent la ségrégation. En effet, nombreux sont les jeunes noirs-américains discriminés pour le simple fait qu’ils « font ghetto ».

Steven Vogel, spécialiste du streetwear, décrit ainsi la naissance de ce style par la frustration et l’aliénation ressentie par les enfants des quartiers défavorisés. Influencé par de nombreuses subcultures (notamment le hip-hop, le reggae, le skateboard, etc), le streetwear entretient un rapport charnel à la rue.

Reprendre uniquement l’apparence de cette culture, c’est n’y reconnaître qu’un accoutrements alors que le streetwear incarne à l’origine la réalité d’une marge ségréguée de la population. Le streetwear s’est institutionnalisé, et la haute couture a dépouillé les partisans du streetwear de leur force subversive.

En résulte une sorte d’esthétisation de la précarité : on sublime la pauvreté sans en subir ses douleurs. Et, du même coup, les créateurs ôtent toute légitimité aux paroles de ces populations.

Exotisation de l'Autre L'Étranger comme Sauvage

En s’inspirant d’autres cultures, les créateurs retiennent en outre des traits assez caricaturaux des cultures dont ils s’inspirent. Ainsi, l’Étranger y est souvent représenté selon un phénomène d’ensauvagement.

Naomi Campbell pour le défilé
Saint Laurent 2002

C’est donc aussi la manière de mettre en scène l’altérité qui dérange. Car si les podiums accueillent plus de diversité mais, ce faisant, dessine toujours une marge à côté des Blanches, le même mécanisme colonialiste persiste. Ainsi, si l’Autre demeure un « sauvage », les cultures ne peuvent être ni célébrées ni mises à l’honneur. En ce sens, Rokhaya Diallo parle d’une « exotisation constante des cultures du monde et un renforcement des clichés ».

Ces plastiques perçues comme très “africaines” permettent […] de créer un espace exotique au milieu de la norme blanche et blonde, ce qui laisse libre cours à l’imaginaire qui est associé aux femmes noires : la nature brute et sauvage et un certain primitisme associé à l’animalité.

Mona Chollet

Il faut en outre souligner l’asymétrie caractéristique de l’appropriation culturelle : des éléments dénigrés sur les personnes issues des subcultures deviennent magnifiés sur des mannequins blancs. Ainsi, on remarquera que l’utilisation du wax est vantée dans le défilé Stella McCartney 2018 quand il est jugé sans intérêt chez des créateurs africains.

Badbuzz L'appropriation culturelle comme levier médiatique

Au vu de la fréquence de polémiques autour de l’appropriation culturelle dans le milieu de la haute couture, il serait légitime de se questionner quant aux motivations réelles des créateurs. En effet, le badbuzz a le mérite de faire de la publicité, stratégie qui peut se révéler fructueuse pour des maisons de haute couture.

Le badvertising désigne ainsi « l’art de mettre en scène un scandale, en le créant de toutes pièces ou en l’orchestrant, pour générer une importante visibilité médiatique et sociale pour son auteur » (Julie Rivoire, planneuse stratégique de l’agence Oxygen). Dès lors, l’appropriation culturelle, si elle offense les subcultures et agit à la manière d’un colonialisme culturel, offre une vitrine saisissante pour les créateurs.

Comment s'inspirer sans s'approprier ? Vers une redéfinition de la création haute couture

Alors comment s’inspirer d’autres cultures sans faire de l’appropriation culturelle ? Eh bien la réponse est qu’il faut que les personnes qui créent le fasse dans l’inclusion, qu’elle soit matérielle ou économique.

Entre emprunt et appropriation, la frontière porte essentiellement sur la reconnaissance. Les cultures spoliées doivent être rémunérées et doivent faire partie intégrante du processus de création. Plus de mannequins issues de ces cultures doivent être mis sur le devant de la scène. Sans cela, la haute couture perdurera dans un modèle colonialiste.

Pour reprendre l’anthropologue Monique Jeudy-Ballini, « faire du soi avec de l’autre » est possible, à condition que soient respectées et véritablement honorées les cultures dont sont inspirées les pièces créées.

Sur ce point, on peut reconnaître à Jean-Paul Gaultier qu’il est un des rares créateurs à faire défiler des femmes dites « typées » : métisse, asiatiques, noires, arabes, etc. Dans cette configuration, l’emprunt a véritablement valeur de célébration.

Toutefois, et on ne saurait trop le souligner, célébrer la « diversité » et travailler à l’inclusion possède aussi ses limites. La « mixité » tant prônée par certains créateurs peut facilement tomber dans le paternalisme ethnocentriste.

Ainsi, sur les manières de créer en s’inspirant sans s’approprier, The Good Goods décrypte pour nous tout un attirail de méthodes consciencieuses.

Une belle manière de créer dans l’inclusion en s’affranchissant de logiques coloniales.

Rejouer les logiques colonialistes

« Black is king » quand le Noir est roi…

Le film « Black Is King » réalisé et produit par Queen B ne fait pas l’unanimité. Décryptage de cet album visuel comptant une trentaine de musiques entremêlées de clips, interludes, dialogues ou encore anecdotes… Projet engagé ou purement marketing ?


Beyoncé prêtait sa voix pour le personnage de Nala dans la bande originale du Roi Lion en 2019. S’inspirant de ce film, elle sort, la même année, l’album The Lion King : The Gift. Le 31 juillet 2020, le film Black is King vient compléter cet album. Produit par Beyoncé elle-même, l’histoire retrace la vie de Simba, représenté par un jeune roi africain qui se lance dans un voyage à la découverte de son identité. Il sera guidé par ses ancêtres pour retrouver son trône. Dans une interview, Beyoncé explique les intentions de son projet. Son album sublime la culture noire et le retour aux racines africaines.

« La narration se déploie à travers des vidéos musicales, la mode, la danse, des cadres naturels magnifiques et de tous nouveaux talents. C’était vraiment un voyage pour amener ce film à la vie… Mon espoir pour ce film, c’est de changer la perception globale du mot « noir ». Black is king veut dire que le noir est majestueux et riche historiquement, dans son but et sa lignée … »

Réalisé avant la pandémie et en plein contexte du mouvement #BlackLivesMatter, on peut se demander si son film n’est pas une simple opportunité commerciale. En effet, suite à la diffusion de celui-ci sur Disney+, les avis sont mitigés. Certains internautes et africains critiquent son projet sur la toile. Son film est jugé trop « capitaliste », « wakandiste«  (en référence au pays imaginaire Wakanda dans Black Panther). Queen B, d’origine haïtienne, est accusée de se réapproprier la culture noire africaine et d’en faire une représentation simplifiée. Certains lui reprochent de reconduire les stéréotypes de l’africain en tant qu’homme sauvage et non moderne (et sur cette question, vous pouvez lire l’article sur l’appropriation culturelle en haute couture qui questionne les représentations de cultures spoliées dans la mode).

Je pense que c’est nul. J’en ai marre de voir que des costumes en peau d’animaux dépeignent l’Afrique. C’est tout ce que j’y ai vu. Ce n’est pas comme ça qu’on s’habille pour l’amour de Dieu… Grimper dans les arbres, etc. Je pense que c’est ainsi que le monde occidental aime imaginer l’Afrique. Donc, c’est pour leur consommation, pas pour la nôtre.

And the winner is …

Elle a pu clouer le bec à certains, lors des Grammy Awards en mars 2021. Non seulement, elle reçoit neuf nominations pour son album visuel Black Is King, mais elle devient également l’artiste féminine la plus récompensée de l’histoire des Grammy. Elle bat le record des trophées en obtenant 28 victoires, avec 79 nominations dans toute sa carrière. Et ce n’est pas tout! Elle est récompensée pour la meilleure vidéo musicale dans le clip Brown Skin Girl et pour la meilleure performance RnB avec son titre Black Parade, deux titres tirés de Black is King.

© Robert Gauthier

Alors, vous l’aurez compris, il n’y a sûrement pas que des aspects négatifs dans ce film, qui mérite d’être visionné. Nous l’avons décrypté pour vous (Attention spoiler !).

Une œuvre visuelle époustouflante

Tout au long du film, les yeux du spectateur en prennent plein la vue. On assiste pendant une heure quarante à une explosion de couleurs. Le film, très esthétique, est riche en images. On remarque notamment l’utilisation de VHS pour certaines séquences. Les décors sont variés, grandioses et attrayants. On voyage au rythme du jeune roi. Les costumes, en parfaite harmonie avec les décors, subliment les scènes (Aperçu). Ils sont majoritairement réalisés par le créateur Alon Livné, ayant conçu des pièces pour Lady Gaga. Beyoncé porte également des marques comme Burberry ou encore Christian Louboutin. Ses innombrables costumes la font passer de reine à business woman, de mère à servante… L’apparition brève des artistes africains comparée à l’omniprésence de Beyoncé, pose problème. On en oublie même Simba, pourtant personnage principal du film ! On retrouve ici le caractère « marketing » et « show off » qui prend le dessus sur le scénario.

Un tournage mondial

Black Is King met en avant les terres et la beauté naturelle du continent Africain. Les pays tels que l’Afrique du sud, le Nigeria, le Ghana sont exposés. Le tournage mondial s’est poursuivi en Amérique et en Europe. On aperçoit des déserts, des mers, des rivières, des chutes d’eau grandioses, des forêts… en un mot, des paysages idylliques. L’hétérogénéité et la richesse des reliefs font voyager le spectateur et rendent le film époustouflant. Découvrez les lieux de tournage plus en détails avec cette map.

Des sonorités hybrides

Musicalement, le mélange de musiques traditionnelles africaines et modernes ajoutent aux images des sonorités captivantes. On retrouve de nombreux styles musicaux: R & B, Rap, Gospel, Pop, musique classique, chant a capella, Dancehall, etc…et surtout de l’Afrobeat ! Ce genre musical popularisé par le nigérian Fela Kuti dans les années 70, est un franc succès. Utilisé notamment par des artistes comme Justin Bieber, Drake ou encore DJ Khaled, il marque les hits depuis quelques années. Beyoncé est allée chercher des experts en la matière, en mettant à l’honneur les artistes internationaux Wizkid, Burna Boy, Tiwa Savage, Shatta Wale… Pour les chants traditionnels et la musique Mandingue (griots), on retrouve la sublime voix de la malienne Oumou Sangaré.

Beyoncé met en lumière les artistes noirs de plusieurs continents : acteurs, danseurs locaux, chanteurs africains ou ayant des origines africaines. Parmi les plus connus, Pharrell Williams, les rappeurs Kendrick Lamar, Tierra Whack, Jay-Z et Childish Gambino sont de la partie.

Black power ou Black worship?

Dans le clip Brown Skin girl, une petite fille en robe de princesse arrive dans une pièce royale. Des femmes et des hommes noirs vêtus de costumes du moyen âge, marchent comme des rois. De même, de nombreuses familles africaines en habits traditionnels défilent avec assurance et grâce dans le clip Mood 4 Eva. Le film tient également à valoriser la multiplicité des types de peaux noires, de foncées à moins foncées, jusqu’à albinos. La peau noire se révèle belle, puissante, admirable. Cette représentation moderne rejoue implicitement les logiques colonialistes. Le but est de rehausser la peau noire à une position aussi importante et légitime que la peau blanche. Le message est implicitement le suivant : Si nous sommes rois, pouvons-nous tolérer le racisme auquel sont confrontés les Noirs dans le monde?

Dans la scène jouée dans le domaine de Beverley, une femme noire joue du violon, des chorégraphes noires font de la natation synchronisée alors que c’est un sport pratiqué majoritairement par des blancs. Les rapports de domination sont inversés, un homme blanc lave les dents du prince, un autre tient sa serviette et le sert… Cette représentation est paradoxale car Beyoncé rejoue l’impérialisme qu’elle est en train de dénoncer! Le passé d’exploitation des noirs justifie-t-il l’adoration à leur égard ? Il est important de souligner un autre point fâcheux. Dans un article du magazine Essence, l’écrivaine, Judicaelle Irakoze, féministe afro-politique, condamne le Black whorship qui revendique une royauté noire :

« Tout le monde n’était pas un roi ou même une reine. Plus important encore, tous les Noirs des pays africains n’avaient pas le potentiel de naître dans une famille royale ou d’accéder à ses prestations. […] Beyoncé peut mieux aimer l’Afrique en créant un art décolonisant qui dit aux Noirs que nous n’avons pas besoin d’être associés à une monarchie pour avoir de l’importance.

JUDICAELLE IRAKOZE

Cette mise en valeur de l’excellence noire est donc limitée. On a l’impression que la personne noire doit être incroyable, extraordinaire, forte et surtout riche pour avoir le droit à la reconnaissance.

Un clin d’œil féminin

La femme est valorisée et mise sur un piédestal. Le dialogue suivant, tiré du film, attribue une importance aux femmes « Souvent, ce sont les femmes qui nous reconstruisent. J’ai appris des hommes, mais beaucoup plus des femmes« . Les clips les plus parlants sont « My Power » et « Brown skin girl » avec des artistes féminines et des célébrités comme les mannequins Adut Akech et Naomi Campbell, la chanteuse Kelly Rowland et l’actrice Lupita Nyong’o.

Recherche d’identité

Le film est rythmé par des dialogues et des messages d’encouragements. Ces messages ont pour vocation de guider le jeune roi.

Beyoncé s’adresse également au public, à la petite fille et au petit garçon noirs qui regardent le film. Elle les amène à ne pas avoir honte de leur couleur de peau et à être fier de leur origine noire. Assumer et connaître sa valeur en tant que personne noire, c’est le mot d’ordre de l’album visuel.

A plusieurs reprises, le film fait allusion à l’importance des ancêtres. Souleymane Bachir Diagne (philosophe sénégalais) explique qu’il y a un dénominateur commun des religions africaines attribuant une place spéciale aux ancêtres, le ancestor worship. Il y a cette idée que les ancêtres continuent d’agir pour le bénéfice de la communauté pourvu que l’on se souvienne d’eux. Dans ce film, il y une sorte de rationalisation du mythe qui vient relier toutes les communautés africaines. On retrouve cette même idée dans le Marvel Black Panther. Le concept d’afrofuturisme, qui vise à penser et réinventer le futur des afro-américains semble évident dans Black is king. Le journaliste Vladimir Cagnolari nous explique ce concept plus en détail (écouter). Durant tout le film, le jeune roi recherche ses racines et son identité. Finalement, l’album visuel n’est-t-il pas destiné au peuple afro-américain arraché à l’Afrique et coupé de ses racines ?

Qui es-tu ?
Je sais exactement qui je suis ! La question est, qui es-tu toi ?
Je suis personne, alors laisse-moi tranquille, d’accord !
Tout le monde est quelqu’un, même s’il n’est personne !
Oh, je crois que tu es confus !
Moi confus ? Tu ne sais même pas qui tu es ?
Oh et je suppose que toi, si ?
Suis-moi, je vais te montrer !

Y voir plus noir ?

Pour répondre à la question « projet engagé ou marketing? », nous dirions oui et non. L’attrait commercial se ressent par l’ampleur des moyens mis en œuvre, tant au niveau des scènes internationales, qu’avec la haute couture, et la participation massive de célébrités et de figurants. Le « m’as-tu vu ? » prime dans ce film qui projette la lumière sur les stars. Il est regrettable que des personnes militantes manquent à l’appel. La présentation en tant que film par Beyoncé pour Disney +, n’a pas joué en faveur de l’hommage qu’elle a voulu rendre à la communauté noire. Beyoncé est indéniablement une artiste engagée pour la cause des personnes de couleur avec lesquelles elle s’associe. En 2016, dans son album Lemonade, Beyoncé faisait allusion au mouvement « Black Lives Matter » en énonçant des militants tel que Marthin Luther king et en dénonçant les violences policières envers la communauté noire. Dans le clip « Formation » tiré du même album, la star coiffée d’un afro mettait déjà en lumière son ethnicité et l’héritage africain dont elle est issue. En juillet 2020, elle a fait don d’un million de dollars à des entrepreneurs noirs. Quelques mois après, Black is King vient confirmer le message qu’elle veut délivrer aux générations futures : le noir est Roi, au même titre que le blanc et ne doit plus être esclave. Il doit reconnaître sa valeur, s’affirmer et avancer avec fierté, sans courber l’échine, en dépit des blessures du passé. Ne serait-ce pas la pensée principale à retenir ?

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Dénoncer un passé colonialiste

Pocahontas au service de la dénonciation

SPOILER ALERT !

Ceci est une critique du film Le Nouveau Monde de Terrence Malick

En 2005, le réalisateur américain Terrence Malick sort le film Le Nouveau Monde. Un revisite de la légende de Pocahontas sous-couvert d’un discours sur la colonisation des colons anglais et ses effets. Comment le cinéma Hollywoodien va s’emparer de la représentation de l’autre et de soi ? Peut-il délivrer une version anti-colonialiste ?

L’Amérique, le paradis sur Terre

L’histoire commence en 1607 lorsque des colons britanniques accostent en Virginie, plus de cent ans après la découverte de l’Amérique et de sa colonisation mais pendant les guerres indiennes qui opposent les colons européens aux peuples nord-amérindiens. Pourtant le réalisateur décide de ne pas montrer cette facette. La découverte des habitants décrit dans un premier temps comme « des sauvages » par les britanniques se fait dès les premières minutes du film. À peine débarqué, les deux peuples se retrouvent face à face, nous permettant de dresser un portrait physique et moral des Amérindiens.

La rencontre se fait pacifiquement, les caméras filmant l’échange entre les deux populations montrent l’autochtone comme une entité sportive, vive, furtive, craintive et curieuse. Leur façon d’agir et de se déplacer font penser aux caractéristiques d’une gazelle ou d’une biche.

Plus tard dans le film, le héros John Smith se retrouvera un certain temps avec le groupe amérindien. Il y aura alors de nombreuses scènes d’échanges. À travers un procédé de voix-off, le jeune anglais nous décrit de manière plus détaillée le comportement angélique et la façon dont ce peuple appréhende le monde.

Ils sont gentils, affectueux, fidèles, exempts de toutes fourberies, de supercheries. Les mots signifiants : mensonges, tromperies, cupidités, envies, calomnies et pardon sont inconnus. Ils ne ressentent pas de jalousie et non aucun sens de la possession. C’est réel, ce que je croyais être un rêve.

Le Nouveau Monde, 2005

La représentation physique des Algonquins : un travail d’archives

John Smith, l’espoir d’une vie cosmopolite

John Smith se retrouve capturé par les tribus locales en signe de protestation. Les colons présents sur le territoire nord-américain depuis plusieurs semaines maintenant commencent à s’approprier l’espace. Ils détruisent la nature, coupent des arbres, sous les yeux des Algonquins dans le but de créer un village emmuré. C’est cette première tentative de mise à l’écart couplée à la destruction du paysage paradisiaque qui poussent les autochtones à se rebeller. John Smith se voit châtier à l’immolation par le feu avant qu’intervienne Pocahontas. Grâce à son intervention, le gaillard anglais retrouve sa liberté qu’il consomme avec les Algonquins. Au cours de plusieurs semaines d’immersion, l’ancien captif laisse son statut de colon pour apprendre la langue et les coutumes des locaux. Son approche bienveillante et égalitaire lui permet d’être totalement accepté. C’est aussi à ce moment-là qu’il tombe amoureux de la fille du chef de tribu, Pocahontas. Auprès d’elle, John Smith découvre une vie en communion avec une nature indomptée par l’Homme et sans limite. Bien loin du vieux monde. Dans le film, Smith est la personnification d’une possible cohabitation entre deux cultures différentes.

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Le diable venu souiller le paradis

Pendant que « le traître » prend du bon temps avec les autochtones, les colons anglais continuent leur destruction de la faune et de la flore. Ils ne s’arrêtent pas là, ces derniers vont aussi s’adonner à des profanations de sanctuaires et des conquêtes de territoires provoquant l’anéantissement du peuple amérindien. Loin de l’adaptabilité, la tolérance et la compréhension de l’autre que représente John Smith. Les colons se montrent être des diables venus entacher le décor paradisiaque que propose la Virginie. Ils soumettent leur religion et leur avidité d’or et de diverses autres richesses. En bref, Terrence Malick représente le colonisateur comme le réel barbare de l’histoire.

La dernière partie du film se focalise sur Pocahontas qui se retrouve expulsée des siens après avoir donné à manger aux européens lors d’un rude hiver. Cet acte valeureux va propulser le nom de Pocahontas jusqu’à la cour royale d’Angleterre. L’Algonquienne se retrouve adoptée par les colons présent sur le sol virginien où elle va fonder une famille après le départ soudain de John Smith pour l’Angleterre. Le nom de Pocahontas revenant de plus en plus aux oreilles du roi Jacques Ier, ce dernier décida de l’inviter en terre anglaise. Une fois sur place, elle y découvre une nature apprivoisée se traduisant par des jardins symétriques et des animaux domptés. À l’opposé du discours aimable de John Smith sur les autochtones, Pocahontas se retrouve dans l’ancien monde rongé par la jalousie, le fanatisme religieux, l’avarice et les affabulations.

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Ce qu’il faut retenir 

Le long métrage Hollywoodien délivre sur 2 heures 15 un discours parallèle à la légende de Pocahontas. Tout au long de son histoire, Terrence Malick oppose les autochtones en harmonie avec la nature aux colons civilisés. Cette opposition donne l’impression au spectateur qu’une possible vie entre différentes cultures est envisageable. Cependant, les colonisateurs venus du vieux monde ont préféré écouter leurs pulsions barbares. Engendrant destruction, pillages et tueries.


Pour approfondir la thématique de la colonisation de l’Amérique : Le « jour de la race » ou le  » jour de la résistance » ? La décolonisation symbolique en Amérique Latine.


Malick, T. (Réalisateur). (2005). Le Nouveau Monde [film]. New Line Cinema. Disponible sur Prime Video.


Bande-annonce du film


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Dénoncer un passé colonialiste

Congo-Belgique : Colonisation passée & Rap actuel

Alors que le Congo est devenu un pays indépendant depuis le 30 juin 1960, des rappeurs actuels abordent toujours des problématiques liées à la colonisation dans ce pays. De plus, ce ne sont pas des artistes marginaux, mais bien des artistes en vogue comme Damso, Roméo Elvis, Kalash Criminel ou Isha. Chacun à leur manière ils tentent de sensibiliser sur les problèmes qui sont récurrents dû à cette colonisation passée.

Je sais qu’les médias font semblant de pas savoir qu’au Congo il s’passe un génocide

Kalash Criminel – Sale Sonorité

Mobilisation pour le Congo

Leur passé congolais

Ces artistes dénoncent au travers de leurs morceaux. Originaires du Congo, l’attachement à leur terre d’origine est important. Le rap et le succès devient le vecteur de leurs messages. Les problèmes actuels du Congo sont liés à la colonisation passée, et à l’exploitation minière qui existe toujours. Les guerres et les massacres au Congo découlent de ce passé. Kalash Criminel invite Damso sur son morceau « But en Or » pour évoquer leur terre natale. Les deux artistes ont connu la guerre au Congo, avant d’émigrer, l’un en France, l’autre en Belgique. Isha, fils d’un historien spécialiste du Congo belge. Ses textes évoquent l’impérialisme sur le long terme sans oublier de réaliser des allusions aux brutalités coloniales. Son projet « La vie augmente vol.3 » : un véritable fil rouge pour aborder cette histoire coloniale belge au Congo.

L’attachement au Congo

Oh Kin la belle (x3) / Tu ne sais pas combien je t’aime / Oh Kin la belle (x3) /
Pour toi je suis resté le même

Damso – Kin la Belle

Kinshasa, capitale du Congo, prend la forme de la femme aimée chez Damso. C’est une illustration de son engagement vis à vis du Congo, lui qui passe de plus en plus de temps là-bas. Kalash Criminel met en avant le drapeau congolais et enchaîne les dénonciations dans ses textes. Cet engagement lui a valu des menaces de mort. Son rôle en temps que congolais, est d’utiliser sa notoriété pour mettre en lumière les problèmes que les médias taisent. Leurs passages chantaient en lingala témoigne de leur attachement à leur pays natal. L’une des mixtapes de Kalash Criminel est intitulé « Oyoki », qui signifie « T’as pigé ? ». « Kin, Tout est vie », le documentaire de Damso met en lumière Kinshasa et le Congo. Les artistes, et personnes de Kinshasa prennent la parole pour mettre en avant leur ville et leur pays : la fierté congolaise.

Contestations en Belgique

J’suis vraiment fier d’être Belge. Même si j’ai honte de nos ancêtres, ah c’est du passé. Vive notre économie (quoi ?), on n’en serait pas là sans les colonies. Et même si je suis vraiment fier d’être Belge. J’ai quand même honte de ce qu’on enseigne, Theo Francken.

Roméo Elvis – La Belgique Afrique

L’histoire belge

Roméo Elvis est l’unique artiste mentionné blanc et non-originaire du Congo. Ses problématiques divergent de celles des autres. Le passé colonial belge et la politique actuelle le dérange. Pour lui une mise à jour des livres d’histoire belge est nécessaire. Le passé colonial belge doit être mentionné. Le roi Léopold II est présenté comme le roi « bâtisseur » alors que ses massacres sont passés sous silence. Roméo Elvis mène son combat vis à vis de la politique belge. Il s’oppose au parti nationaliste N-VA, et plus particulièrement à Théo Francken secrétaire d’Etat à l’Asile et aux Migrations. Il ne se cache pas, et même en interview il assume ses idées. La colonisation belge au Congo impacte encore ces deux pays. Isha soutient Roméo Elvis dans ce combat. Le lien entre ces questions et les problèmes du Congo se construit ici.

L’histoire est douloureuse, l’héritage il est colonial

Isha – Décorer les murs

Inspiration passée, revendications actuelles

Le passé colonial, et les origines des rappeurs viennent influencer leurs créations musicales. Leur objectif : puiser dans cette histoire pour faire passer un message. L’impact se ressent sur leur vie quotidienne. Ils s’impliquent personnellement pour tenter de faire évoluer les choses. Ces rappeurs ne sont pas les seuls à puiser dans le passé colonial pour dénoncer et inspirer au travers de leurs musiques. C’est également le cas de Rammstein dans leur clip Ausländer !

Dénoncer un passé colonialiste

Rammstein en colonisateurs dans Ausländer : que veulent-ils nous dire ?

Le groupe allemand dévoile en mai 2019 le clip du titre Ausländer, dans lequel les membres du groupe colonisent une île. Pourquoi Rammstein veut-il nous parler de la colonisation ? Les allemands ont-ils un message à nous faire passer ?

C’est après 10 ans d’absence qu’ils reviennent avec un nouvel album éponyme : Rammstein. Ce nouvel opus marque le début d’une nouvel ère pour le groupe de métal industriel, et un renouvellement de son univers musical. Dans les mois qui suivent, est publié le premier clip de cet album : Deutschland, qui provoque une vive polémique. Le groupe y exprime la relation d’amour-haine qui le lie à son pays, dont il dépeint le sombre passé, notamment la Shoah. Vient ensuite le clip de Radio, dans lequel Rammstein nous ramène encore une fois dans le passé, évoquant la vie des allemands en RDA, où écouter la radio clandestinement était le seul moyen de passer de l’autre côté du Mur de Berlin. Et enfin, vient le clip de Ausländer, « étranger » en allemand. Le groupe y met en scène une représentation caricaturale et satirique de la colonisation. Quelle est la vision du colonisalime qui nous est présentée, et quelle est la volonté derrière ce clip déconcertant ?

Tous les aspects de la colonisation en 4:40

Nous constatons que ce clip nous montre, à travers différentes étapes, les principaux aspects de la colonisation. Le synopsis de départ est simple : nous nous trouvons sur une île non identifiée, dont nous voyons dés le début la population autochtone en train de danser. On voit très rapidement arriver les six membres du groupe, à bord d’un simple canot pneumatique et débarquer sur l’île. Ils sont tout de suite accueillis avec bienveillance par la population locale. Un jeune autochtone vient à leur rencontre avec plusieurs panneaux, affichant « Bienvenue » dans plusieurs langues. Lorsqu’il leur présente le panneau « Welcome », les membres du groupe lui indiquent de changer pour « Willkommen ». Immédiatement, les nouveaux arrivants fixent les termes des échanges : ceux-ci se feront dans leur langue, l’allemand. À travers ce passage humoristique, nous voyons transparaître le premier aspect de la colonisation : imposer sa langue.

Les voyageurs sont très vite intégrés parmi la tribu qui les reçoit chaleureusement. Ils cherchent ensuite à découvrir et apprivoiser leur nouvel environnement, et généralisent rapidement l’utilisation de leurs propres outils et techniques : on observe en effet les membres du groupe en train d’utiliser une caméra, des jumelles, un fusil, et même conduire une voiture – les plus observateurs se demanderont peut-être comment cette voiture est arrivée là, à bord d’un canot pneumatique. Nous sommes donc face à un deuxième aspect de la colonisation : les arrivants généralisent l’utilisation de leurs outils et techniques.

Nous arrivons très vite à un aspect beaucoup plus flagrant : les colonisateurs imposent leur domination. Si les autochtones semblaient au début les accueillir comme leurs égaux, on constate rapidement que ceux-ci se retrouvent rapidement au service des membres du groupe. On voit en effet des habitants de l’île, notamment des femmes, s’occuper d’eux, leur servir à boire, tenir leur ombrelle… Plus loin, les arrivants se font même transporter dans de grands hamacs, pouvant renvoyer à des images historiques, comme vous pouvez le constater ci-dessous. Dans ce cas précis, les envahisseurs font donc de leurs hôtes des esclaves consentants.

Et immédiatement après, nous arrivons sur un aspect capital de la colonisation : les nouveaux venus imposent leur religion. On voit en effet Till Lindemann, le chanteur du groupe, habillé en homme d’église, portant un crucifix autour du cou, et donnant un « cours » à des enfants de l’île. Ce plan évoque de manière évidente la conversion des populations locales à la religion catholique, en passant ici par les plus jeunes. Le fait que cet homme, étranger à leur culture, donne un cours à ces enfants montre que celui-ci s’estime légitime, car il amène la culture dominante.

Plus loin, on observe que cette transmission de la culture estimée « légitime » par les occidentaux passe également par les médias et les arts : on voit les membres du groupe apporter aux habitants de l’île la photographie, la peinture, la littérature, un certain style de musique… Le clip nous montre en effet les autochtones se faire peindre ou prendre en photo, transporter de gros livres et manipuler un instrument de musique.

Enfin, la dernière étape du clip met en avant un ultime aspect de la colonisation : les nouveaux venus intègrent leurs gènes à la population locale par la reproduction. La dernière partie du clip met en effet en scène les membres du groupe au sein d’une fête autochtone, durant laquelle chacun d’entre eux part s’isoler avec une (ou plusieurs) femme(s). Le clip fait ensuite une ellipse pour nous amener quelques temps plus tard, lorsque les voyageurs décident de quitter l’île, laissant derrière eux des enfants blonds, ou aux yeux bleus, dans les bras de leurs mères éplorées. Ainsi, après avoir imposé à cette population leur culture, leur religion, leurs techniques et leurs gènes, ils prennent la décision de s’en aller. Cependant, au moment du départ, un d’entre eux est retenu par une des autochtones et est donc contraint de rester, contre sa volonté. Nous le revoyons un peu plus tard assis sur un trône, érigé en « chef » de la tribu.

Ausländer : une dénonciation des actes de « l’homme blanc » ?

Le sujet de la chanson en elle-même n’a à priori rien à voir avec la question de la colonisation. Les paroles parlent d’un homme qui voyage aux quatre coins du monde, en apprenant toutes les langues dans le seul but d’avoir des relations sexuelles avec les femmes de chaque pays, puis qui repart sans jamais garder d’attaches. Il peut paraître difficile de trouver le rapport entre un texte au sujet d’un homme à la recherche d’aventures sans lendemain à l’internationale, et un clip représentant explicitement la colonisation. On peut cependant en trouver un : le tourisme sexuel. En effet, le clip nous montre tous les aspects que prend la colonisation, mais se conclut par ce que les personnages sont finalement venus chercher : du sexe. Par ailleurs, comme dans le texte de la chanson, on nous montre les colonisateurs reprendre la mer juste après avoir obtenu ce qu’ils voulaient (bien qu’il y ait eu à priori une ellipse).

La seule manière de composer avec le racisme, c’est d’en faire une satire. Joern Heitman, réalisateur du clip – source : making-of officiel de Ausländer

Nous trouvons davantage d’informations sur les intentions derrière ce clip, dans son making-of. Joern Heitman, le réalisateur, déclare : « Pour moi, l’homme blanc arrive en Afrique, et se comporte comme un imbécile parce qu’il pense que c’est la meilleure façon de faire ». Heitman nous explique qu’en dépit du ton léger et humoristique du morceau, le clip vise à mettre la société occidentale face à ses propres images, d’hier et d’aujourd’hui. En effet, le canot pneumatique à bord duquel les membres du groupe arrivent peut tout à fait être une allusion au parcours difficile de nombreux migrants en Méditerrannée. On trouve également un plan où une fillette est assise sur les genoux de Till Lindemann, toujours vêtu en missionnaire, référence aux affaires de pédocriminalité qui secouent l’église catholique, que le groupe dénonce par ailleurs dans le titre Zeig Dich.

Le clip de Ausländer serait alors une dénonciation satirique des crimes de la société occidentale au cours de l’histoire. On voit les colonisateurs asservir le peuple autochtone, imposer leur culture et leur religion, piller les ressources de l’île et s’en aller après avoir obtenu les faveurs sexuelles des femmes, même si tout cela se fait sans violence. Nous sommes donc face à un clip ironique, qui confronte l’occident à son passé et à son présent avec un humour grinçant. Le réalisateur déclare : « La seule manière de composer avec le racisme, c’est d’en faire une satire ».

Lorsque l’on n’est pas familier de l’esthétique particulière de Rammstein, il est cependant facile de prendre le message à l’envers, et d’interpréter ce clip comme une apologie du colonialisme. En effet, les Allemands entretiennent dans beaucoup de leurs clips une certaine ambiguïté, jouant de leur image controversée. Le groupe a régulièrement été accusé d’être d’extrême-droite, mais celui-ci l’a toujours démenti et à même composé en réponse le titre Links 2, 3, 4 dans lequel il scande : « Ils prétendent que j’ai le cœur à droite, pourtant quand je regarde vers le bas je le vois battre à gauche ». En effet, lorsque l’on s’intéresse aux textes de Rammstein, on constate que leurs prises de position sont loin de l’idéologie d’extrême-droite, mais les engagements qu’ils portent sont très souvent véhiculés par la provocation.

En concert, les allemands renouvellent leur allusion à la crise migratoire, en arrivant sur scène en canot. C’est d’ailleurs sur ce titre qu’ils choisissent d’afficher leur soutien à la communauté LGBT. En résumé, Ausländer de Rammstein est un clip provoquant qui use de la satire et de l’ironie pour confronter la société occidentale à ses propres images. Le groupe dénonce ici les actes de « l’homme blanc », dans le passé avec la colonisation, et encore aujourd’hui avec notamment le tourisme sexuel. Rammstein ne sont pas les seuls à ramener ce sujet sur le devant de la scène : bien des années après les faits, les artistes contemporains, notamment dans le milieu du rap, ont encore des choses à dire sur la colonisation.

Dénoncer un passé colonialiste

“Victoria & Abdul” ou l’impérialisme colonial version 2017

ATTENTION SPOILERS !

Il est encore temps de faire demi-tour…

Bienvenue dans l’intimité de la souveraine du plus grand empire colonialiste du XIXème siècle remis au goût du jour en 2017 par Stephen Frears dans un film au rayonnement international (notamment disponible jusqu’au 12 avril 2021 sur Netflix).

Nous sommes 70 ans après l’indépendance de l’Inde (1947) et la blessure des crimes coloniaux est encore profonde entre l’Inde et le Royaume-Uni. Mais dans le décor de l’impérialisme colonial britannique, Stephen Frears préfère nous plonger une nouvelle fois dans un drame de la famille royale britannique (après son film The Queen, de 2006) : la relation intime et historiquement scandaleuse de la reine Victoria et Abdul Karim. Ce film britannique “inspiré de faits réels… pour l’essentiel” est une ode à la tolérance et au multiculturalisme.

Nous suivons pendant 1h52 le périple d’Abdul Karim au départ de l’Inde pour l’Angleterre en 1887 jusqu’à son retour définitif dans son pays d’origine en 1901.


Représentations et stéréotypes des personnages : mise en récit d’une histoire vraie

Usant de techniques cinématographiques qui dramatisent le récit, ce film donne à voir des personnages stéréotypés, ancrés dans des rôles précis et un monde manichéen. Stephen Frears dépeint un passé colonialiste où l’impératrice des Indes, multiculturaliste et fascinée par l’exotisme, n’endosse pas les crimes coloniaux de son Empire en Inde, où un indien musulman et fils de roturier est totalement dévoué à elle, où la maison royale est raciste, cruelle et avide de pouvoir…

Connaissez-vous le fameux triangle Persécuteur-Victime-Sauveur ? En fait, le récit est basé sur une logique narrative très commune dans le cinéma et le chercheur Stephen Karpman a appelé ce phénomène le “triangle dramatique”. Ce triangle caractérise trois types de rôles : le Persécuteur, le Sauveur et la Victime. Il est dramatique parce qu’il “met en scène la violence” comme l’explique le chercheur Pascal Ide. Il est représenté ainsi :

S. Karpman, « Fairy tales and script drama analysis », Transactional analysis Bulletin 7/26 (1968), p. 39-43.

Donc le Persécuteur c’est « celui qui fait la violence« , le Sauveur c’est « celui qui soigne la violence » et la Victime c’est « celui qui subit la violence« . La construction du récit de Victoria & Abdul est basée sur ce système de rôles qui participe à l’édification des représentations, des stéréotypes et d’un monde manichéen au sein du film. Cet angle d’analyse va permettre d’éclairer l’orientation idéologique, toile de fond de ce film datant de 2017.

Victoria : l’impératrice des Indes en avance sur son temps #sauveuse

Crapauds hideux, racistes !” Une réplique à l’image de la reine Victoria sortie du film Victoria & Abdul de Stephen Frears. En avance sur son temps, l’impératrice des Indes jouée par Judi Dench est représentée comme étant une reine à la vision anti-raciste et multiculturaliste, fascinée par l’exotisme d’Abdul. Fatiguée par son âge et sa fonction mais autoritaire, elle tient auprès de lui le rôle de sauveuse. 

Elle défend avec vigueur Abdul face à l’aigreur de la maison royale à multiples reprises et va même jusqu’à insulter de “racistes” sa cour. Elle a également envie d’en connaître davantage sur l’Inde et d’intégrer la culture d’Abdul dans son quotidien. L’imposition de la langue du colonisateur, l’anglais ici, n’existe plus dans cette relation. C’est pourtant un des constats historiques de l’impérialisme comme le dénonce le clip Ausländer de Rammstein : l’imposition de la langue par les colonisateurs au peuple colonisé. Ici Stephen Frears nous montre une impératrice des Indes qui se met à apprendre et à parler et écrire la langue musulmane d’Inde, l’ourdou, le peuple dont elle est la figure de proue de l’oppression. Aussi, on voit la culture indienne et musulmane prendre une place importante à la maison royale, autant par l’omniprésence d’Abdul et sa famille que par la reine qui dédie un couloir et une salle de l’Osborne House à la culture de l’Inde. Tolérante et sans préjugée, elle accueille chaleureusement la femme d’Abdul intégralement voilée comme devant être “assurément une beauté”. Son caractère bien trempé de femme au pouvoir cohabite avec ses airs naïfs, curieux et émerveillés par l’exotisme d’Abdul et de son pays d’origine dont elle est la colonisatrice.

C’est une position peu envieuse” dit-elle à Abdul pour lui exprimer sa fatigue du pouvoir. Lasse des obligations qu’implique son rôle de souveraine et seule après la mort de son mari et de son favori John Brown, elle trouve chez Abdul la joie de vivre et la liberté dont elle rêve.

Ainsi, sa fonction de reine est désacralisée dans ce film pour laisser place à un personnage humanisé par le fait que son intimité et ses émotions soient sur le devant de la scène. Finalement ce film s’inscrit dans la lignée d’autres œuvres cinématographiques inspirées de faits réels qui parlent de la royauté britannique telles que Le Discours d’un roi (2011, réalisée par Tom Hooper), The Queen (2006, réalisée par Stephen Frears) ou la série The Crown (2016 à 2020, réalisée par Peter Morgan). On constate que la monarchie britannique intéresse nombre de cinéastes. Ces œuvres ont tous la particularité d’humaniser la maison royale. Ils montrent la fragilité, les problèmes familiaux, les émotions ou encore le quotidien intime, hors des cérémonies officielles.

C’est donc une impératrice des Indes du XIXème siècle progressiste, solitaire, fatiguée de sa fonction de monarque et enjouée par « son munshi » que nous montre Stephen Frears. Ce personnage nous fait oublier les rapports de force entre colons et colonisés à cette époque. Elle nous renvoie davantage à nos problématiques culturelles actuelles autour de l’islamophobie et du port de la burka. Et devant nos écrans, on l’aime, on l’admire et on pleure sa mort.

La maison royale : les colonisateurs racistes et antipathiques #persécuteurs

Toujours à flatter […] pour se placer” se confie la reine Victoria à Abdul lors d’un tête à tête à Glassalt Shiel (domaine de Balmoral en Écosse). Vous l’avez compris, la reine ne supporte pas sa cour, et il y a de quoi !

Tout au long du film, la maison royale vêtira le rôle de persécuteur. Elle est représentée par une poignée de personnages : le fils de la reine Bertie (Eddie Izzard), le Premier Ministre Lord Salisbury (Michael Gambon), Lady Churchill (Olivia Williams), Sir Henry Ponsonby (Tim Pigott-Smith), Miss Phipps (Fenella Woolgar), Alick Yorke (Julian Wadham), Dr James Reid (Paul Higgins), le commandant Bigge (Robin Soans). C’est simple : tous les personnages du film de la maison royale sont des colons racistes, impérialistes, dominants, intolérants, stigmatisants et jaloux de la réussite d’Abdul, indien musulman fils de roturier. 

L’intrigue croustillante se met en place : le bien contre le mal, la reine Victoria contre la maison royale. Cette vision manichéenne d’un épisode historique de l’Empire britannique efface toute nuance dans la représentation des personnages. On se retrouve du côté de la reine et d’Abdul qui, par leurs rôles de sauveur et victime, viennent souligner le comportement insupportable et antipathique de la maison royale persécutrice. Par ce rôle de persécuteur antipathique, les personnages de la maison royale dénigre finalement le racisme et l’intolérance.

Abdul : exotisme, racisme et jalousie #victime

C’est un “humble privilège de servir votre Majesté” dit sincèrement Abdul à la reine Victoria lors de leur premier échange dans le bureau de la reine à Osborne House. 

Joué par Ali Fazal, Abdul tient le rôle de la victime du triangle dramatique. Il est victime du racisme et de la jalousie des persécuteurs. Ce rôle de victime est aussi appuyé par son comportement et son physique d’ange. Il paraît en effet plutôt naïf, inoffensif, cultivé et très religieux. C’est un homme bon et un bel homme charismatique, exotique et qui s’impose par sa grande taille. Sa dévotion pour la reine est si immense qu’en tant que spectateur on ne peut qu’admirer sa droiture et sa loyauté. Ce personnage, forcé de se rendre en Angleterre pour apporter le mohur à l’impératrice des Indes, se retrouve propulsé au rang de munshi, professeur, de cette dernière. Ce n’est pas pour lui déplaire puisque, comparé à son camarade Mohammed (Adeel Akhtar) qui l’accompagne, Abdul estime que c’est un “humble privilège de servir votre Majesté”. Pour autant, malgré son dévouement infini, il subit les insultes et les niaiseries de la maison royale parce qu’il vient du “sous-continent” et qu’il est indien et musulman : “c’est Ali Baba”, “ce bougre de malotru est bigame”, et j’en passe. 

N’oublions pas Mohammed, cet autre indien qui a accompagné Abdul en Angleterre. Il est l’opposé d’Abdul dans ce récit et n’a pas la reine sauveuse à ses côtés, mais il n’en reste pas moins une victime. Il n’a pas le même rang et comportement qu’Abdul. On ne lui permet pas de rentrer en Inde alors qu’il a le mal du pays et on ne le soigne pas alors qu’il est très malade. Il va mourir d’ailleurs de sa maladie à la fin du film. Ni Abdul qui devient son maître, ni la reine, ne viennent lui porter secours. Il aura tout au long du film le rôle du “petit” indien et domestique d’Abdul alors qu’ils étaient arrivés égaux en Angleterre. Il représente également les indiens musulmans qui luttent et haïssent les colons britanniques qui ont envahi leur pays et imposé leur culture : “huit mille kilomètres pour célébrer l’oppresseur du sous-continent indien”, “ils mangent du sang de porc”, “c’est un pays de barbares” se plaint-il à Abdul dans le bateau en route pour l’Angleterre.


Un film biographique : entre réalité et fiction

« Inspiré de faits réels… »

Inspiré de faits réels”, ce film est une adaptation du livre de Shrabani Basu, journaliste et historienne britannique, Victoria and Abdul : The True Story of the Queen’s Closest Confidant (Victoria et Abdul, l’histoire vraie du plus proche confident de la Reine) publié par la History Press en 2010. Shrabani Basu a visité un jour l’Osborne House, la maison de vacances de la reine, et a remarqué le portrait d’Abdul Karim dans le corridor indien. Il ressemblait à un noble et cela l’a beaucoup intrigué parce qu’elle n’avait jamais entendu parler de lui. Elle a donc entamé des recherches et a notamment retrouvé les carnets intimes de la reine Victoria et d’Abdul Karim, tous les deux écrits en ourdou, et des photos d’époque.

L’autrice raconte avoir été comblée par le scénario qu’a proposé Lee Hall. Même si certaines libertés ont été prises par le scénariste, elle estime que c’était nécessaire pour un film de 1h52 de modifier un peu ce qu’elle avait écrit dans son livre. Néanmoins, les faits historiques de la relation entre Abdul et Victoria ont bien été respectés.

Du point de vue esthétique du film, la part de réel de cette œuvre cinématographique se renforce d’abord dans la mention « inspirée de faits réels… pour l’essentiel ». On comprend de suite qu’il y aura une part de vérité dans les faits. Ensuite, on nous dévoile à la fin une photo d’archive d’Abdul et la reine Victoria en nous expliquant que les carnets intimes de la reine et Abdul ont été découvert seulement en 2010 et qu’avant cela tout le monde avait oublié le munshi de la reine Victoria. On nous annonce aussi qu’Abdul mourra quelques années plus tard.

Également, le réalisateur a souhaité coller esthétiquement au plus près de la période historique dans laquelle ont vécu Victoria et Abdul. Il a donc pris soin que les décors, les costumes, les maquillages et les répliques se situent à la fin du XIXème siècle. On le voit ci-dessous avec le personnage de Bertie, le fils de la reine Victoria. À gauche vous voyez une photo du vrai Bertie et à droite une photo du Bertie du film interprété par Eddie Izzard. La ressemblance est plutôt frappante.

« …pour l’essentiel. »

Néanmoins, il y a bien évidemment le filtre d’interprétation des acteurs qui vient biaiser la part de réel. Nous n’avons pas les réels personnages historiques à l’écran. Le caractère des personnages historiques et les répliques sont mis en scène. Aussi, il y a cette part fictive de mise en récit des faits historiques par le scénariste et le réalisateur comme le dit plus haut Shrabani Basu. Pour aller encore plus loin, on ne peut pas savoir exactement ce qu’ils ont fait ou dit en 1883, nous n’avons pas d’archives filmées qui permettraient cela. Nous sommes loin du documentaire. C’est nécessairement romancé et fictionné, il y a un écart avec la réalité.

Lors d’un interview, Stephen Frears confirme qu’ils ont « inventé une partie » de l’histoire mais que cela ne concerne pour lui que des « détails » et que les faits principaux sont bien là. On le voit aussi ci-dessous avec ces photos, l’une à gauche montrant les vrais Abdul et Victoria et l’autre à droite montrant Victoria (Judi Dench) et Abdul (Ali Fazal). Il est possible que cette scène du film soit une interprétation à partir de la photo d’archive de gauche :

Un regard critique : la réception du film à sa sortie en 2017

À sa sortie, le film a été critiqué. Il lui a été reproché de ne pas remettre en cause le colonialisme britannique voire de gommer les crimes coloniaux de cet empire et la responsabilité de la reine Victoria comme le font nombre d’œuvres cinématographiques actuelles. En effet, cette tolérance et bienveillance de la reine dans le film nous fait rêver en oubliant que cette dernière représente l’empire qui opprime le peuple indien. Néanmoins, Mohammed est le personnage qui nous rappelle que malgré la bienveillance envers Abdul, l’Empire britannique, la maison et royale et la reine, sont les oppresseurs de l’Inde et de son peuple dont font partie Mohammed et Abdul. Et finalement, cet ode à la tolérance et au multiculturalisme nous fait réfléchir sur les problématiques autour de l’islamophobie et le racisme dans nos sociétés actuelles. Et ce message porté par le film Victoria & Abdul est encore plus fort puisque inspiré de faits réels.


Victoria & Abdul (Confident Royal en version française), de Stephen Frears, avec Judi Dench, Ali Fazal, Eddie Izzard, 2017, 1h52.


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Édito

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Après un long travail de groupe, nous sommes fièr.e.s de vous présenter ce site qui cherche à repenser le monde dans un effort de décolonisation. Nos pensées sont empruntées d’une histoire encore trop coloniale et ce site vous offre les clés d’un nouveau monde.

Ce long format traite ainsi de la colonisation entendue comme période de l’histoire allant du XVIème au XXème siècle. Durant plus de quatre siècles, plusieurs pays ont envahi et exploité des terres du monde entier en asservissant nombre de populations.

La colonisation désigne l’occupation, la mise sous tutelle et éventuellement l’exploitation de régions d’extension variable.

Delamard Julie, « Colonisation et histoire. Écritures, influences, usages », Hypothèses, 2007/1 (10), p. 243-249.

Cette conquête de territoire a bien souvent été guidée par une idéologie impérialiste qui perdure encore aujourd’hui sous différentes formes. Des pays comme la France, l’Angleterre ou l’Espagne ont imposé leur culture, leur religion, leur langue et stigmatisé les peuples autochtones.

Ce long format cherche ainsi à comprendre l’héritage colonial sur les créations contemporaines : comment les médias et le monde culturel s’emparent-ils et utilisent-ils ce passé pour créer ? Sommes-nous et pouvons-nous entrer dans une ère de créations décolonisées ?

Décrypter les discours contemporains Vers une analyse des créations d'aujourd'hui

Ce sont plus largement les configurations sociales actuelles qui sont à l’étude dans ce long format : comment penser le monde et créer lorsque le passé colonialiste est encore difficilement reconnu ? Certains de nos comportements sont en effet encore très symptomatiques d’un passé impérialiste. Notre travail s’attache donc à décortiquer les perspectives qui s’offrent à nous grâce aux médias, aux créations artistiques et aux mouvements sociaux.

Ce sont donc selon trois axes que nous étudions la décolonisation :

  • En premier lieu, nous nous attachons à l’analyse de productions audiovisuelles actuelles (cinéma, séries, clip). Celles-ci mettent en scène la colonisation et dépeignent un passé impérialiste franc. Que ce soit dans le rap français, chez Rammstein, dans Victoria & Abdul ou dans Le nouveau monde, ces quatre productions s’approprient l’Histoire pour mieux dénoncer la colonisation, voire la déconstruire. Quelles sont alors les nouvelles représentations des colons et des minorités ethno-raciales dans ces créations ? Comment est envisagé ce passé colonial ?
  • Dans un second temps, nous vous plongeons dans des créations contemporaines qui, malgré une tentative de prise de distance avec l’impérialisme culturel, rejouent implicitement des logiques colonialistes. Encore aujourd’hui l’histoire coloniale demeure ancrée dans notre façon de percevoir le monde, de le comprendre et de l’expliquer. A travers une analyse de Black is King (le dernier film de Beyoncé) et du phénomène d’appropriation culturelle dans la haute couture, nous verrons comment certains discours qui prétendent se détacher de logiques coloniales perpétuent en fait le même modèle impérialiste.
  • Enfin, nous vous présentons des alternatives à ces manières de penser le colonialisme : certains discours contemporains proposent de penser le monde selon le principe de décolonisation. Grâce à la série Noughts + Crosses, au festival Africa Acts et au Jour de la Race en Amérique latine, des paroles libérées émergent dans un monde qui réhabilitent les cultures spoliées

Décrypter et questionner le discours contemporain, c’est déjà faire un travail de décolonisation. Du cinéma aux séries, en passant par la musique, la mode et les rassemblements collectifs, ce long format vous plonge au cœur d’un questionnement essentiel : sommes-nous pleinement détaché de notre passé colonialiste ? Répétons-nous et faisons-nous perdurer de nouvelles formes de spoliations ?

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