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Déconstruire la colonisation et ses rapports de force

Expérimental, contestataire voire subversif : Africa Acts se mobilise à travers la performance artistique


Plus qu’un festival en tant que tel, Africa Acts est un moyen d’expression, un espace de liberté, un évènement où la création artistique ne connaît ni limites, ni frontières. Ils sont artistes, ils sont africains, ils sont engagés, du 5 au 12 juillet 2015, Africa Acts jette un regard contemporain en mémoire à l’esclavagisme et l’époque colonialiste.

« Dans la situation qui est la nôtre, seul l’art peut permettre de réinventer la réalité, ouvrir une nouvelle porte et provoquer une révolution des esprits »

JEAN-PIERRE BEKOLO
Invité au festival, il est cinéaste Camerounais et réalisateur des Saignantes (2009), un thriller érotico-politique qui propose de changer une Afrique dont l’avenir est sombre et incertain.

Penser l’Afrique autrement

Continent absolument immense, l’Afrique ne se résume pas à une seule civilisation. Souvent montrée du doigt, à tort ou à raison, la période coloniale suscite encore aujourd’hui beaucoup de contestations et de révoltes. Horrible et exotique, il n’est pas rare de constater que l’Afrique, telle qu’elle est représentée aujourd’hui par le Nord est vu comme un continent sans avenir,  un continent immobilisé où persistent de violentes inégalités sociales et économiques.

Attirées par les riches ressources qu’offre l’Afrique, les puissances européennes exploitent le territoire africain dès le courant du 19ème siècle. A la différence de l’Asie, il est entièrement colonisé.

Même si aujourd’hui nos sociétés se sont débarrassées de l’histoire de la traite négrière, elles continuent en quelque sorte à véhiculer cette habitude de concevoir l’Afrique, de regarder l’Afrique de loin et de haut en pensant qu’elle n’est pas inscrite dans des trajectoires qui se tourneraient vers l’avenir.
Le continent ne souffre pas aujourd’hui d’un défaut d’histoire mais bien du déni de l’historicité que font les sociétés de l’histoire de l’Afrique.

Avec ses ratés politiques et ses expériences sociales très diverses, l’Afrique est peut être au contraire et finalement en avance sur l’histoire et sur ce que deviennent les sociétés contemporaines.

C’est en tout cas ce qu’évoque Achille Mbembe, philosophe camerounais et théoricien du post-colonialisme dans son ouvrage Critique de la raison nègre. Pour lui, cette condition nègre est la condition que les sociétés ont construite dans certains segments de l’humanité il y a quelques siècles et qui s’universalisent aujourd’hui. C’est en ce sens que Achile Mbembe fait remonter cette machination de l’individu à  plusieurs siècles en arrière. 

« L’histoire de l’Afrique est jalonnée de réponses artistiques à la violence – violence de la traite, du colonialisme, des régimes politiques. Les pratiques artistiques ont parfois été instrumentalisées pour construire le pouvoir, mais aussi pour s’y opposer  »

DOMINIQUE MALAQUAIS
Historienne de l’art
Chargée de Recherche à l’Institut des Mondes Africains

Les mondes africains : une histoire oubliée ?

Il y a exactement 300 000 ans, homos sapiens est apparu pour la première fois en Afrique. Cela porterait à croire que l’Afrique porte en elle une histoire vieille comme le monde. Et pourtant.. on s’obstine à répéter que l’Afrique n’a pas d’histoire.
Cela viendrait-il du fait que la majorité des personnes sur Terre ne la connaissent pas ? en tout cas ils ne la cherchent pas, ils ne la valorisent pas, et surtout, on ne l’enseigne pas.
Pourtant.. lorsqu’on étudie l’histoire de l’Afrique Noire, il n’y a que des sentiments de fierté et d’honneur pour ce que les ancêtres africains se sont obstinés à bâtir. 

Africa Acts  | Performances africaines

Consacrée au arts de la performance artistique en Afrique, la première édition du festival Africa Acts s’est tenue du 5 au 12 juillet 2015 à Paris. A cette occasion, 12 artistes se sont réunis pour une semaine de manifestations artistiques et culturelles. Une invitation à la réflexion au travers d’une multitude d’arts pluridisciplinaires.
Il s’agit d’artistes chorégraphes, musiciens, compositeurs, réalisateurs, artistes peintre, graffeurs, photographes, vidéastes..

Artistes|Portrait photographique

On vous présente un à un les artistes programmés au festival.
Venus de différents horizons, pourtant une seule et même racine originelle les unit : le continent Africain.

Organisé à l’occasion de la European Conference on African Studies (ECAS) par l’Institut des mondes africains du CNRS, le festival Africa Acts porte un message.
Tout comme les organisateurs du festival, les différents artistes invités à se produire se positionnent sur le même terrain d’entente : penser l’Afrique à travers leur art comme profondément en lien avec le politique, notamment avec des actes de performance. 

Un parcours à travers Paris et sa banlieue

C’est dans la capitale de France qu’Africa Acts a décidé d’ouvrir ses portes. De jour comme de nuit, les artistes sont invités à se produire le temps d’une semaine dans plusieurs endroits de la ville. Théâtres, musées, salles de concerts, centres artistiques, collèges, universités.. en passant par la rue, une multitude de lieux divers et variés forment ainsi un large parcours où le spectateur est convié afin de s’immiscer dans chacun de leurs univers.

Le potentiel de l’art en tant qu’engagement

Certains s’engagent en tant que membres d’un groupe, d’autres ont un goût plus prononcé pour la mise en pratique de leur propre art. Africa Acts propose à cette occasion la mise en exergue la création artistique pour témoigner, pour se souvenir mais aussi pour résister au lourd passé de l’histoire coloniale de l’Afrique.
Le spectateur est invité à vivre une expérience hors du commun pour découvrir une multitude d’arts visuels et sonores. Provoquant autant de fascination que de réprobations, l’art plonge ainsi le spectateur dans une émotion, spectaculaire, particulière peut-être.
Du 5 au 12 juillet, le chant, la danse, la peinture, la musique, la photographie, la vidéo, la sculpture mais aussi différents arts visuels et sonores proposent à ceux qui le veulent, un voyage, une expérience sensorielle aux multiples visages.

Repoussant les frontières de leur discipline, chacun des 12 artistes se met en scène dans différents lieux de Paris en utilisant la plupart du temps leur propre corps comme médium artistique.

Chaque homme, tout homme est un artiste

Cette semaine culturelle qui accompagne l’ECAS met en avant la performance artistique, cette relation qu’il existe entre l’acteur et le spectateur faisant ainsi tomber la différence entre les deux à tel point que le spectateur devient partie prenante et intégrale de ce qui se fait sur scène, cette dernière étant complètement absente.

On parle d’une Afrique ancrée dans l’histoire, une Afrique active et engagée à travers ses artistes et ses militants. On parle aussi d’une Afrique insoumise.. aux multiples révoltes, insurrections et mouvements sociaux du 20ème siècle. Tant de mouvements globaux qui chargent l’Afrique d’histoire.

Digne d’un travail d’artistes résolument hors-format, Africa Acts consacre les arts de la performance et vient questionner les limites de leurs disciplines. Un art où le dépassement de soi amène créativité et épanouissement.
Leur motivation, leur détermination, les artistes la puisent dans leur histoire, propre à chacun d’eux.

Dans le cadre de Africa Acts, la performance artistique ne cherche pas à donner une vision personnelle, intime, subjective du projet créatif de l’artiste dans le but qu’il fasse écho au plus grand nombre. Le projet artistique des artistes témoigne plutôt de la fidélité et de la conviction singulière qui sommeille en eux.

Récits de soi par l’art, mise en exergue de leurs trajectoires respectives et de leurs expériences les plus intimes, les douze artistes invités à s’exprimer racontent leur propre vision du monde qui les entoure.

Repoussant les frontières de leur discipline, chacun des 12 artistes se met en scène dans différents lieux de Paris en utilisant la plupart du temps leur propre corps comme médium artistique.

Discours contemporain autour de la colonisation

A leur manière et à travers leur art, chacun propose de répondre aux violentes inégalités sociales qu’a connu l’Afrique et ses peuples pendant la traite négrière et l’époque colonialiste.
Ce discours contemporain et artistique, ils l’explorent sur un territoire esthétique et éthique qui les place au coeur des débats qui perdurent sur la signification de l’art en tant que pratique sociale et engagée.

Rigoureux, exigeants, ludiques aussi : les artistes au cœur d’AFRICA ACTS décapent. Individuellement et tout ensemble, ils posent sur le monde qui les entoure des regards qui tendent à le ré-enchanter : le repenser, le rêver à l’aune d’imaginaires qui mettent à mal clichés et idées reçues qui, si souvent, caractérisent les représentations du continent africain.

Caroline Roussy
Historienne et chercheuse associée à l’Institut des mondes africains (IMAF)

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Déconstruire la colonisation et ses rapports de force

Noughts + Crosses : une représentation alternative de nos débats de société

Sortie en mars 2020, la série Noughts + Crosses a été produite par la BBC et diffusée aux États-Unis sur la plateforme Peacock. Adaptée du roman « Entre chiens et loups » de Malorie Blackman, l’histoire nous entraîne dans un univers dystopique où l’Afrique (Aprica) a colonisé l’Europe. Callum, un Noughts à la peau blanche et Sephy, une Crosses à la peau noire vivent une histoire d’amour tels Roméo et Juliette, mais ils sont séparés par le racisme. Le récit touche à des sujets qui font débat dans la société actuelle, mais comment ces débats sont-ils représentés dans la série ? Découvrez-le en dessous !

Bande-annonce de Noughts + Crosses

Une mise en abîme de notre société

Les débats soulevés dans cette série reflètent grandement notre société contemporaine de façon inversée. Du racisme systémique aux violences policières en passant par la colonisation, beaucoup de sujets se rapportent à des événements de notre société actuelle. Ce monde dystopique nous montre un Apartheid inversé avec des mouvements extrémistes de protestations, qui poussent à une réflexion sur les directions des mouvements d’extrême-droite actuels. Ces représentations inversées ou différentes pourront peut-être bousculer les mentalités et mener à une prise de conscience du monde occidental.

Un racisme présent depuis des siècles dans notre société

Cette adaption du roman de Malorie Blackman sorti en 2001 expose de nombreux problèmes de société. Depuis des siècles le racisme est présent : de la colonisation, au KKK, à l’Apartheid ou au mouvement Black Lives Matter ce problème de fond a toujours été là.

Mais quels liens avec la série ?

Et si l’Afrique avait colonisé l’Europe ?

Dans cet univers, vous êtes dans un système où la domination raciale est inversée, les Noirs dominent les Blancs depuis plusieurs siècles. Plusieurs empires se battent pour obtenir le plus de terres possibles. Seuls la Russie et la Mongolie luttent encore contre les différents empires Apricains. L’Europe est colonisée jusqu’à Albion (équivalent de Londres). La culture Apricaine s’est diffusée et imposée aux Noughts. L’esclavage a été aboli depuis longtemps mais la ségrégation raciale est très présente. Une véritable fracture se pose entre les Crosses, riches et dominants et les Noughts, pauvres et dominés. La série se positionne dans un espace temps sans année précise mais qui ressemble à notre époque. La colonisation ne s’est jamais arrêtée.

Un Apartheid alternatif

On se retrouve dans une société très ressemblante à celle de l’apartheid en Afrique du Sud. Les écarts sociaux entre les Noughts à la peau blanche et les Crosses à la peau noire se sont creusés dans la ville d’Albion. La politique, la culture et la santé sont contrôlées par les Crosses. Les Noughts habitent dans les quartiers périphériques de la ville et sont dans des maisons de très mauvaise qualité, il n’est pas possible pour eux d’habiter dans le même quartier que les Crosses.

Les relations interraciales sont interdites par la loi. Des panneaux d’interdictions sont affichés dans les bus, les rues, partout… Callum McGregor est le fils d’une famille de Noughts, dont la mère Meggie travaille depuis des années pour une famille riche de Crosses. Les enfants des deux familles se sont connus très jeunes, et des années plus tard Callum et Sephy se retrouvent et tombent amoureux malgré les interdictions… Pour se voir ils doivent se cacher. À un moment, Callum souhaite emmener Sephy dans un bar afin qu’ils puissent passer une soirée ensemble. Ils vont alors dans un lieu clandestin où des couples de Noughts et Crosses se retrouvent en secret.

Violences policières

Dès le premier épisode, un soir, trois jeunes Noughts à la peau blanche se font contrôler par la police. Très vite le contrôle dégénère, les policiers demandent aux jeunes de se coller contre le camion et l’un d’eux refuse. Le policier en face de lui perd patience et le traite de « Blanker », qui peut être l’équivalent du mot « Négro ». L’un de ses amis lui demande de venir contre le camion afin d’apaiser l’échange, mais son ami refuse. À ce moment là une altercation éclate. Les échanges dégénèrent et un policier frappe violemment l’un des jeunes à la tête. Il ne bouge plus.

Le 25 mai 2020, George Floyd, un Afro-américain de 46 ans décède lors d’un contrôle de police aux États-Unis. L’un des policiers maintient l’homme Noir au sol, l’empêchant de respirer. George Floyd dit a plusieurs reprises « Je ne peux pas respirer » alors que le policier pose son genoux sur son cou. Au bout de quelques minutes, il ne bouge plus.

Des milliers de personnes dans les rues

L’ami de Jude et Callum est directement emmené à l’hôpital. Il est dans le coma et les visites de ses parents sont interdites par la police. L’un des leaders de l’opposition aux Crosses, Jack Dorn, fait son apparition. Lorsque les parents du jeune homme partent prendre un café, Jack s’infiltre dans la chambre et étouffe le jeune homme. Il fait de sa mort un symbole pour la révolution. Des rassemblements sont organisés devant l’hôpital par les Noughts pour montrer leur soutient. Des milliers de personnes descendent dans les rues pour protester contre la police. Les militaires sont envoyés en renfort et des altercations ont lieu.

Dans notre société, après la mort de George Floyd, des manifestations pour protester contre le racisme et les violences policières sont organisées partout. Des milliers de personne sont descendus dans les rues aux États-Unis, et dans le monde, du Royaume-Uni jusqu’en Australie ou en Suisse. Les manifestants scandent le slogan « Black Lives Matter », le nom d’un mouvement politique né en 2013 dans la communauté afro-américaine militant contre le racisme systémique envers les Noirs. Depuis ces événements, Amnesty International a créé une carte recensant les cas de violences policières aux États-Unis.

Les partis extrémistes

Après la mort du jeune homme dans la série, le frère de Callum, Jude McGregor, est recruté par Jack Dorn. Il entre alors dans un parti extrémiste contre le racisme. Son désir de revanche le pousse à accepter de poser un bombe dans l’hôpital où leur ami est décédé quelques jours auparavant. Jack lui explique que la bombe est seulement destinée à abîmer les bâtiments pour faire passer un message, cependant il charge plus d’explosifs et plusieurs personnes sont touchées. La famille McGregor se retrouve rapidement sous les accusations de la police.

En France et ailleurs, des partis d’extrême-droite existent et portent des idées racistes, contre l’immigration, allant jusqu’à des actions très violentes contre certaines communautés. C’est le cas du Ku Klux Klan, une organisation suprémaciste terroriste blanche américaine d’extrême-droite. Récemment, le groupe d’extrême-droite Génération Identitaire a été dissous par le gouvernement français. Le gouvernement lui reprochait un « discours de haine assumé » et son organisation en « milice privée ».


Pour aller plus loin : On peut aussi retrouver des représentations de la colonisation dans la musique, par exemple dans le clip Ausländer de Rammstein, dans lequel les membres du groupe colonisent une île.

La série est disponible en Angleterre sur BBC iPlayer et aux États-Unis sur la plateforme Peacock. Pour le moment, la série n’a pas encore été traduite en français et n’est pas disponible en France.