Femmes de Présidents : L’absence d’un statut juridique

Les monarchies d’Ancien Régime conféraient un statut et des pouvoirs réels à la conjointe du prince, découlant alors d’ententes de filiation et de l’obligation d’engendrer une descendance. Toutefois, l’avènement de la démocratie représentative ainsi que la division du public et du privé ont repoussé la conjointe au non-politique, c’est-à-dire à la famille. Cependant, même si le système politique démocratique ne confère aucun statut juridique à ces femmes, les médias, quant à eux, vont leur donner une visibilité. Ainsi, leur mise en scène retient l’attention, leurs idées intéressent, leurs ambitions intriguent et leur quête d’autonomie peut inquiéter. Les lignes qui vont suivre, vont tenter d’explorer l’ambiguïté du statut des conjointes de quelques hommes d’État français, sous la Ve République. Nous allons alors nous demander : Quel est le statut juridique de la « première dame », aujourd’hui, en France ?

De gauche à droite : Danielle Mitterrand (Paris, 10 novembre 1983), Anne-Aymone Giscard d’Estaing (Brégançon, 6 mai 1979) et Cecilia Attias (Paris, 13 juin 2007).
Photos AFP

Une place inconfortable

La convention selon laquelle un homme qui aspire à diriger l’État doit être marié découle de ce que sous-entend l’engagement marital. En effet, ce dernier serait source de respectabilité et de stabilité. Ainsi la conjointe (ou le conjoint) ne serait qu’un faire-valoir d’un homme politique et prendrait place dans un dispositif de mise en valeur de ce dernier.

Cette place, relativement inconfortable, est accentuée par le fait que la conjointe (ou le conjoint) du Président de la République n’a jamais eu de statut constitutionnellement ou légalement reconnu. Cette dernière (ou ce dernier) n’aurait donc aucun rôle dans l’architecture institutionnelle française. Cependant, cette place d’épouse, au sein des institutions, n’a de cesse de se poser car ses prérogatives dépassent, lors de certaines occasions, le cadre du protocole et cela sans que ne lui soit attribué un statut.

Par le passé, l’épouse du Président de la République a souvent été dénommée « la Présidente ». Ce terme a toutefois été délaissé car ce titre est réservé à l’hypothèse où une femme serait élue à la fonction présidentielle. Les médias français, quant a eux, emploient l’expression tirée du lexique américain de « Première Dame » pour désigner l’épouse du Président de la République.

Le rôle de l’épouse du Président a évolué dans le temps pour passer de celui de maîtresse à celui de conseillère de l’ombre. Elle peut exercer une influence sur les décisions politiques.

Lorsque sa qualité de collaboratrice du pouvoir ne dépasse pas le cadre du privé, cela n’intéresse pas le droit mais lorsque cette dernière devient l’alter ego du Président, l’exposition politique et juridique nécessite, dans tout état moderne, un cadre statutaire. Débat qui a été soulevé aux États-Unis lors de la présidence Roosevelt. En effet, Franklin Roosevelt atteint d’une maladie invalidante laissa son épouse, Eleanor Roosevelt, endosser un rôle institutionnel essentiel.

En France, le statut de la conjointe (ou du conjoint) du Président de la République a resurgi à l’occasion des questions écrites ministérielles qui viennent mettre en lumière l’inconfort dans lequel est placée l’épouse du Président de la République lors de ses actions politiques et médiatiques. Nous pouvons prendre l’exemple ici du rôle diplomatique joué par Mme Cécilia Sarkozy, alors épouse du Président, dans l’affaire des infirmières bulgares.

Cécilia Sarkozy

Dans un entretien accordé par le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, au quotidien « Le Figaro », le 7 juin 2007, celui-ci est revenu sur son engagement à définir le rôle de son épouse après son élection. Il aborde cela en ces termes : « Nous en parlons beaucoup, elle et moi. Elle aura l’occasion d’exposer sa vision de son rôle d’ici peu, lorsque les choses seront définitivement calées ».

Toutefois, si l’on se rapporte à la Constitution, l’épouse n’a pas d’existence juridique, seuls quelques textes abordent la question de la place et du rôle de la conjointe (ou du conjoint) du chef de l’État. Cette absence de statut officiel n’a pas empêché, historiquement, les conjointes des Présidents de la Ve République de marquer le mandat présidentiel et ce de manière très différente mais toutefois significative. Plus qu’un inconfort ou un avantage, c’est toute l’ambivalence d’un rôle où rien n’est écrit.

Une existence factuelle

Cependant, grâce à l’absence de toute reconnaissance officielle, l’épouse du Président de la République peut intervenir dans plusieurs domaines. Certaines d’entre-elles ont joué le rôle consultatif quant aux nominations effectuées par le Président. Ainsi, Yvonne de Gaulle a été à l’origine de l’exclusion de toute personne divorcée – au nom de la moralité chrétienne – de l’entourage présidentiel et Cécilia Sarkozy a substantiellement influencé la composition du gouvernement Fillon.

Yvonne De Gaulle

Anne-Aymone Giscard d’Estaing, quant à elle, a servi d’interprète en portugais lors de la visite du chef d’État brésilien, le 28 janvier 1981, comme elle l’avait déjà fait à l’occasion de la visite de M. Lopez Portillo. À d’autres reprises, elle apparaît telle l’alter ego du chef de l’exécutif comme le fait de joindre ses vœux à ceux de son époux lors de l’allocution de fin d’année peut en attester.

D’autre part, l’actualité conforte le rôle humanitaire de l’épouse du Président de la République notamment au travers d’interventions ciblées.

Cela dit, l’action humanitaire de l’épouse du Président de la République peut soulever des difficultés d’ordre politique, particulièrement quand la direction d’une association sert de tribune oratoire pouvant perturber la diplomatie française. Ainsi, est pointée du doigt la situation délicate engendrée par l’inauguration, réalisée par Danielle Mitterrand, d’un colloque sur le thème « Le choix contre toute forme d’apartheid ». En effet, lors de son discours, l’épouse du chef de l’État français, alors présidente de l’association « France-Libertés », a condamné l’embargo imposé par les États-Unis contre Cuba depuis 1961.

Nous observons là que l’épouse du Président de la République est une protagoniste active des institutions de la République. Cela suit le mouvement général de l’émancipation professionnelle des femmes dans la société française. En raison de l’absence de statut officiel particulier, cette place s’adapte aux envies et aux ambitions de chacune.

Clarifier le rôle de celle-ci, en passant par l’institutionnalisation de la fonction aurait certains avantages mais aurait pour risque de « statufier » la fonction et donc réduire le champ d’action.

L’ambiguïté d’un statut

Comme nous venons de le voir, l’épouse du Président de la République n’a pas de statut juridique. Cela lui confère donc une place relativement inconfortable. Son existence n’est que factuelle. Cependant, si son statut juridique la rend invisible institutionnellement, les médias contribuent à la rendre visible. En effet cette dernière fait l’objet d’une mise en scène médiatique.

« Le système politique [démocratique] n’accorde aucun statut à ces épouses, les médias, eux, vont leur donner visibilité et consistance »

Armelle Le Bras-Chopard

Autrefois « potiches », les conjointes de chefs d’État sont aujourd’hui des actrices politiques à part entière et les médias, via leurs actions, y sont pour quelque chose.

La théâtralisation du Président de la République mobilise l’épouse de ce dernier en la plaçant au cœur de ce dispositif de mise en valeur. Elle endosse alors plusieurs rôles : celui de « mère de famille » heureuse, entourée de ses enfants, et d’épouse aimante, préférablement jeune et belle (pour souligner les prouesses séductrices et la virilité du Président de la République). Ainsi exhibée, l’épouse est donc mise au service de la stratégie politique de son conjoint. Cela dit, cette approche positionne l’épouse en victime de la machine exécutive et de l’emballement médiatique qui l’entoure.

Toutefois, ces femmes ne sont pas ou peu victimes (image de « biches » fragiles et dévouées, héritée de tout un imaginaire développé dans une société paternaliste). Elles peuvent être notamment des actrices stratégiques du jeu politique. En elles, peut subsister une soif d’exister par elle-même. Cet argument est avancé par Armelle Le Bras-Chopard, qui soulignent que si les épouses d’hommes politiques « acceptent de jouer le jeu dans ce second rôle, elles entendent avoir leur propre vie à côté, dans cet espace apolitique où elles sont consignées. Avoir leurs activités privées mais aussi des activités publiques sans être politiques où elles profiteront de leur qualité de ‘femme de’ et s’exposeront à titre personnel aux médias ». Ces femmes cherchent ainsi à se développer une vie parallèle à celle, officielle, qui découle de leur alliance maritale. Une vie où elles seront reconnues comme personnes pleines et entières et non comme « femme de … ». Ainsi, elles peuvent s’adonner à du bénévolat, développer des fondations ou encore prêter leur nom à diverses causes. Toutefois cette « autre vie » doit se tisser avec des activités non politiques, et ce, pour ne pas gêner l’engagement politique du Président de la République.

Ces initiatives sont souvent relayées dans les médias et viennent de ce fait donner un statut, non officiel mais public, à l’épouse du Président de la République.

Les médias comme révélateurs

Le 2 mars 1981, Anne-Aymone et Valéry Giscard d’Estaing sont venu.es ensemble sur un plateau télévisé afin de faire une déclaration de candidature pour la prochaine élection. Cette action ne permet pas d’affirmer qu’en droit constitutionnel le couple est un nouveau sujet de droit, toutefois, il symbolise l’émergence de la notion de couple présidentiel sur le plan politique et médiatique.

Anne-Aymone Giscard d’Estaing

Cette mise en lumière que permettent les médias fait bouger les lignes comme nous venons de le voir mais permet également de se défendre, ou de s’expliquer, de manière plus rapide et plus directe que le permettent les institutions, en servant de tribune.

Nous pouvons le voir avec l’exemple qui va suivre où Danielle Mitterrand réalise un entretien télévisé afin d’évoquer ses convictions s’exprimant à travers le Parti socialiste mais particulièrement à travers ses actions. Elle se défend alors d’avoir pris position sur quelques dossiers du gouvernement : « je n’ai jamais critiqué un gouvernement, mais des faits ; je suis une française libre, je dois pouvoir dire ce que je pense ; on a dit beaucoup de choses non justifiées… ». Ainsi, ici elle met simplement en avant sa qualité de citoyenne et de militante pour délimiter son rôle dans la République. Elle interprète là seulement la Constitution. En effet, cette dernière n’est pas soumise à un devoir de réserve imposé par son statut puisqu’elle n’en dispose pas. Nous notons présentement tout l’avantage de l’absence de reconnaissance officielle de la fonction d’épouse du Président de la République.

Danielle Mitterrand

Ainsi, afin d’éviter toute ambiguïté du rôle de la première dame – qui entend sortir des coulisses alors que la Constitution la cantonne à incarner un personnage de l’ombre –, il serait plus cohérent, à l’heure de la « médiacratie » et à l’ère de la transparence, de doter l’épouse du Président de la République, dont la place dans l’entourage présidentiel n’est pas négligeable, d’un titre officiel et surtout d’un statut. Toutefois, l’institutionnalisation de la conjointe (ou du conjoint) du Président de la République n’en serait pas moins une action ambivalente au regard de sa faisabilité ainsi que de son utilité.

L’impossible institutionnalisation

La théorie de l’État républicain

Si nous nous penchons sur le droit constitutionnel français, celui-ci n’érige nullement le Président de la République en organe de personnification de l’État. Ainsi, conférer un statut juridique à l’épouse de ce dernier, en cette seule qualité, soumet l’idée selon laquelle tout ce qui se rattache à la personne du Président de la République justifie la distribution d’une fonction juridique et politique. L’État, comme nous le connaissons, est conçu comme la propriété commune d’une entité collective. L’appareil étatique est donc dépersonnalisé. Ce qui veut dire que la conception du pouvoir politique, dans un État républicain, ne repose pas sur une absorption de l’État par le chef de l’exécutif. C’est notamment en cela que l’État moderne est en opposition avec la conception monarchique.

D’après la Constitution, l’État désigne la permanence des fonctions sous le changement des titulaires. C’est à ce titre que le Professeur Burdeau a écrit : « cette permanence d’une puissance ignorant les solutions de continuité, seul le régime d’Etat peut l’assurer en ce qu’il substitue, comme support du Pouvoir, une entité durable aux individus essentiellement éphémères. C’est parce qu’il est étatique que le pouvoir est continu ». En résumé, ici, la caractéristique de la puissance étatique est sa continuité et donc le pouvoir de l’État ne peut être qu’impersonnel.

Toute personnalisation du pouvoir sous entend un changement du régime politique. De ce fait, donner automatiquement à l’épouse du Président de la République un statut sur la base de cette seule qualité tirée du droit de la famille, c’est admettre alors que la puissance étatique est attachée physiquement à un homme et à ses choix d’ordre privé. Ce pouvoir aurait donc pour support un élément précaire.

Un problème de personnification du pouvoir

Ainsi, l’émergence, en droit constitutionnel, de la notion de couple présidentiel est impossible. Le lien marital ne peut pas suffire à permettre l’institutionnalisation d’une personne au sein des autres corps constitués. C’est alors que l’automaticité de la reconnaissance juridique de l’épouse du Président de la République signifierait qu’une décision d’ordre privé impacterait l’ordre politique. Si cela était le cas, ça poserait une nouvelle condition à la candidature à l’élection présidentielle qui serait contraire au principe individualiste de l’État français.

L’enracinement du rôle de l’épouse du Président de la République est donc une problématique majeure car son institutionnalisation serait avant tout un élément d’intensification de la personnification du pouvoir politique.

Nous venons de le dire précédemment, la reconnaissance automatique d’une fonction et d’un titre à l’épouse du Président de la République serait contraire à la conception républicaine du pouvoir. Toutefois, sur le terrain des principes républicains, un chef d’État peut user de son pouvoir de nomination si l’action de son épouse l’exige pour conférer à sa conjointe (ou son conjoint) un statut de collaboratrice (ou collaborateur). En effet, ce qui poserait problème serait la consécration d’un régime juridique spécial qui viendrait soulever des difficultés en confortant le processus de personnification du pouvoir.


– Governatori Jean-Joël. Le rôle de l’épouse du Président de la République en Droit français. In: Revue juridique de l’Ouest, 2009-4. pp. 419-442

– Le Bras-Chopard, Première dame, second rôle. Collection « Médiathèque », Paris, Seuil, 2009, 125 p.

Mazarine Jauberthie

[ssba]

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