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Femmes politiques

Marielle Franco : une lutte pour de nouvelles voix

« La révolution dont le monde contemporain a besoin »

Les feux des projecteurs mondiaux sont braqués sur les strong leaders masculins : tous les jours on nous abreuve de récits au sujet de Donald Trump, de Vladimir Poutine, en passant par Recep Tayyip Erdogan et Xi Jinping. Pourtant, dans l’ombre de ces histoires, d’autres visages se dressent. Elles posent, pierre après pierre, les bases d’une nouvelle société. Contre le rétropédalage du Brésil en termes d’égalité des droits et des chances, des femmes se battent. Des femmes incarnant les combats politiques qu’elles ont endossé. Cet article propose de déplacer le regard vers de nouveaux récits.

On aurait tort de dire que le climat de discrimination envers les personnes minorisées est uniquement le fait du gouvernement Bolsonaro. Il est vrai que la prise de pouvoir le 1er janvier 2019 d’un président ouvertement sexiste, raciste et homophobe n’a fait que le renforcer. Cependant, l’élection de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil est en elle-même significative d’une ambiance déjà nocive pour, entre autres, les personnes noires, les personnes LGBTQIA+ et les femmes.

C’est pourtant dans un tel contexte que Marielle Franco, aujourd’hui mondialement connue, a revendiqué son identité à l’intersection de discriminations. Femme politique, elle a représenté un espoir pour les droits humains dans sa ville comme dans son pays. Aujourd’hui, elle est devenue un modèle d’engagement du féminisme noir. Retour sur une personnalité forte issue de la favela et le revendiquant.


Point sur le système politique brésilien

Bordé de vert à l’ouest et de bleu à l’est, le Brésil, pays-continent, est souvent vu par les allochtones comme une unité. Pourtant, il s’agit d’une République Fédérale regroupant 26 Etats Fédérés en plus du district fédéral de Brasília, la capitale. Chaque Etat possède son propre gouvernement, lequel bénéficie d’un pouvoir décisionnaire spécifique. Les Etats Fédérés sont eux-mêmes fragmentés en municipalités qui, elles aussi, sont garanties d’un pouvoir local par la Constitution adoptée en 1988.

Le système politique Brésilien est donc une hiérarchie verticale tripartite. Il est constitué du niveau fédéral, du niveau étatique et du niveau municipal. Chacun de ces niveaux institutionnels se voit accorder des domaines d’action spécifiques. Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont incarnés dans chacun de ces niveaux de la façon suivante :


Résolument de gauche

Marielle Franco par Midia Ninja

Femme, noire, lesbienne, favelada, résolument engagée à gauche, féministe, partisane des droits humains et des droits LGBTQIA+, Marielle Franco incarnait la possibilité d’une autre Rio de Janeiro. D’un autre Brésil, même, car le pays venait de voir la destitution de sa présidente, Dilma Roussef, et la prise de pouvoir de Michel Temer qui durcissait de plus en plus les mesures sécuritaires et autoritaires. En tant qu’élue, sa pensée anti-élitiste mettait en avant le droit à se former pour les habitant.es des favelas, en particulier des femmes noires, qui sont les plus vulnérables car au croisement des discriminations racistes et sexistes.

Marielle Franco a été conseillère municipale d’octobre 2016 à mars 2018 pour la ville de Rio de Janeiro, seconde plus grande ville du Brésil. Elle a été élue pour la coalition « Changer est possible », alliance entre le PSOL (Parti Socialisme et Liberté) et le Parti Communiste brésilien. Elle incarnait, lors de sa campagne et par la suite, la politique proche du peuple, mettant en avant ses origines faveladas.

Vidéo de campagne électorale de Marielle Franco.

Au cours de sa – trop brève – carrière, Marielle Franco aura soumis de nombreuses mesures au regard de ses homologues. Devenue Présidente de la Commission de Défense de la Femme, elle présenté des propositions de lois telles que l’ouverture de crèches de nuit et la garantie de l’accès à l’avortement. Elle aura également lutté pour que les voix des femmes noires des favelas et des périphéries (c’est à dire pas les cariocas, qui vivent à « l’intérieur » de Rio de Janeiro, mais celles des banlieues attenantes) soient entendues. Venant elle aussi des classes pauvres, elle se sert de son expérience personnelle pour construire un ethos capable de concentrer les aspirations de ces femmes et de porter un discours qui les valorise.

Tout en supportant le poids de l’organisation sociale inégalitaire du Brésil, elles sont aussi celles qui produisent les moyens de sa transformation, étendant la mobilité dans toutes les dimensions. En ce sens, ce sont elles qui seront le plus fortement pénalisées dans la conjoncture actuelle, tout en étant à une position centrale pour résister.

Marielle Franco

Pointant du doigt le fait que les classes sociales les plus défavorisées devenaient de plus en plus méfiantes à l’égard de la politique, qu’elles se sentaient de jour en jour davantage exclues des prises de décisions, la Conseillère Municipale soulignait au contraire leur importance. Une importance démographique, dans le sens où les personnes discriminées car femmes, noires ou métisses, représentent non pas une minorité mais une majorité minorisée. Une importance dans le potentiel renouveau du pays, car ces femmes faveladas, dans leur lutte pour l’accès à l’éducation, à la santé, à la sécurité, à la culture, faisaient preuve de créativité et d’entraide, contribuant ainsi à forger une nouvelle ville.

Marielle Franco insiste sur la nécessité d’admettre l’intelligence, les idées, les réussites de ces femmes. Au contraire du pouvoir en place et des médias qui les dénigrent et les ostracisent, elle fait de la reconnaissance de leur valeur en tant que personnes, possédant les mêmes droits que n’importe qui, un devoir de la gauche brésilienne.

[…] il est vital d’occuper les espaces de pouvoir, en particulier les institutions, en participant aux élections et en contestant la méritocratie autoritaire pour casser autant que possible le contingent de mâles blancs qui dominent ces lieux. Les stéréotypes associés au fait d’être une femme, et les attentes sur comment nous devons nous conduire, sont les facettes d’un discours institutionnel hégémonique qui demeure profondément conservateur.

Marielle Franco

L’icône assassinée

L’assassinat de Marielle Franco et celui de Anderson Pedro Gomes, son chauffeur, le 14 mars 2018, est autant lié à ses positions politiques qu’à son opposition au pouvoir des milices (des cartels de drogues) locales.

Le Conseil Municipal de Rio de Janeiro est extrêmement corrompu car il entretient d’étroites relations avec le crime organisé brésilien. C’est de plus un milieu très machiste, sexiste, or Marielle Franco contestait la corruption et les discriminations sexistes. Par le simple fait d’exister en tant que Conseillère, Marielle Franco représentait une menace à l’ordre établi dans cette municipalité et, par extension, dans ce pays aux infrastructures légales avilies.

Les meurtres ont été exécutés par deux anciens policiers devenus tueurs à gages, mais on ne connaît toujours pas l’identité des commanditaires. Le fait que ce crime n’ait toujours pas été élucidé est révélateur d’une société qui, en partie au moins, se refuse à changer : elle fait donc tomber les icônes de ce pouvoir nouveau et contestataire. La nature du crime (commis en public et en plein jour) convoie un message aussi clair que macabre : les femmes, les noires, les lesbiennes, les faveladas, autant d’êtres tuables, n’ont pas leur place dans les sphères du pouvoir.

Marielle : vivante

Son assassinat montre malheureusement bien l’importance que revêtait Marielle Franco dans son combat. L’héritage de sa philosophie est bien vivant, pourtant, deux ans plus tard. La Conseillère Municipale est devenue un symbole de la lutte pour les droits humains et l’égalité. Toutefois, plutôt que de la voir en martyr de sa cause tuée par l’autoritarisme d’un pouvoir se voulant exclusivement masculin, blanc et riche, il apparaît plus juste de considérer Marielle Franco comme une visionnaire, une inspiration.

Sensible autant au macro qu’au micro, à la situation mondiale autant qu’à celle de sa municipalité, elle aura alerté sur la remontée des mentalités conservatrices dans les plus hautes sphères du pouvoir :

Ce mouvement réactionnaire en est au début de sa dynamique, comme le suggèrent les résultats aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Sur la scène internationale, les guerres et les persécutions sont des formes de contrôle, chacune pire que la précédente, imposées aux corps exclus de « l’autre ». […]

Dans cette conjoncture, qui favorise le bonapartisme et l’expansion de l’autoritarisme conservateur, la première réponse doit être d’aller de l’avant par des actions immédiates et fortes, de construire le soutien aux campagnes qui réagissent aux événements […]

Ensuite, de défendre les vies contre la violence meurtrière et lutter pour la dignité humaine. Troisièmement, de développer des politiques qui sapent les stratégies du capital au Brésil. Quatrièmement, de renforcer le récit de la coexistence dans des villes comme Rio, pour influencer l’imagination publique en faveur d’un désir de vaincre les inégalités.

Enfin, positionner dans tout le Brésil ceux des marges et des favelas comme acteurs centraux. Bâtir des structures qui aident à l’empowerment des femmes noires pauvres pour leur assurer un rôle de citoyenneté active, et gagner une ville de droits : c’est fondamental pour la révolution dont le monde contemporain a besoin.

Marielle Franco
Marielle Franco lors de sa campagne à La Maré
(image de campagne pour les élections Municipales)

Marielle presente ! Marielle vive ! Autant de slogans qui témoignent du refus de laisser la mémoire et la lutte de Marielle Franco s’éteindre avec elle, qui croyait si fort en la force des personnes minorisées. Elle aura appelé à prendre des mesures sociales et humanistes, à mettre en avant d’autres histoires et d’autres modèles, car les changements passent d’abord par l’imaginaire du changement. Si l’on ne peut pas penser qu’un autre monde est possible, comment cet autre monde pourrait-il voir le jour ?


Haneul Lavou

D’après : Marielle Franco, Mobiliser la créativité politique des favelas brésiliennes, texte intégral traduit par Isabelle Saint-Saëns, revue Vacarme, 2018/3 (n°84) pp. 121-126.

Photographie de couverture : Femmes protestant suite à l’assassinat de Marielle Franco, 15 mars 2018, Ian Cheibub

Sources complémentaires :

Femmes politiques

Alexandria Ocasio-Cortez, ou l’art de faire de la politique

Crédits photo © William B. Plowman / NBC

Née dans le Bronx à New-York et issue d’une famille modeste latino-américaine, Alexandria Ocasio-Cortez était serveuse avant de devenir la plus jeune élue au Congrès des États-Unis. Grâce à son engagement, sa maîtrise de l’art de la rhétorique, des réseaux sociaux et du storytelling, l’étoile montante du parti démocrate mène une politique populaire de proximité et d’empowerment, en proposant une alternative au système politique actuel victime de corruption. Ses différents échanges avec des personnalités telles que Greta Thunberg, Megan Rapinoe, Donald Trump ou Mark Zuckerberg, permettent à Alexandria Ocasio-Cortez de construire et consolider un ethos puissant et célèbre. Retour sur son parcours et sur les raisons de sa réussite.

Cap sur le congrès, le parcours atypique d’AOC

Son passé avant les élections

Alexandria Ocasio-Cortez a commencé à être serveuse dans un bar spécialisé dans les tacos et la tequila (Flats Fix, New-York) au début de la crise financière, en 2008. Son père était décédé, elle travaillait pour une association, mais cela ne suffisait pas car elle et sa famille risquaient de perdre leur maison, elle devait payer le prêt étudiant et le prêt de l’hypothèque. Dans le documentaire Cap sur le Congrès, important moyen de storytelling pour AOC, celle-ci commente : « On fait de son mieux pour survivre. Cela a été une réalité pour des millions de gens aux États-Unis ». Elle pense également que les gens ne voient pas le métier de serveuse comme un, entre guillemets, « vrai travail ». Toutefois, son expérience en hôtellerie l’a très bien préparée à cette course que sont les élections. Elle a l’habitude des reproches, des personnes qui veulent la faire se sentir mal. Elle a l’habitude d’être debout 18 heures par jour et de travailler sous pression.

On nous appelle « la classe ouvrière » pour une raison, car on travaille non-stop. Les Américain·es ne demandent pas la Lune, ils demandent juste de pouvoir joindre les deux bouts et ils demandent juste aux politicien·nes d’être assez courageux·euses pour les aider à obtenir ça.

Alexandria Ocasio-Cortez dans Cap sur le Congrès

Lors de la campagne électorale, son souhait, désormais exaucé, était de faire partie de ces politicien·nes capables de défendre les intérêts des États-Unien·nes. C’est son père, décédé quand elle était à la fac, qui l’a convaincue qu’elle avait un pouvoir à exercer en ce monde. Lors d’un road trip avec son paternel, celui-ci l’a amenée devant le Capitole, le lieu qui abrite la Chambre des représentant·es, et en pointant du doigt le bâtiment et ses alentours, il lui a déclaré :

Tu sais, tout ceci nous appartient. C’est notre gouvernement. C’est à nous. Donc tout ceci t’appartient.

Sergio Ocasio, père d’Alexandria Ocasio-Cortez cité par celle-ci dans Cap sur le Congrès
Capitole, Washington D.C. © Cap sur le Congrès

La dernière chose que lui a dit son père avant de mourir est qu’il voulait qu’elle le rende fier. « Et je pense avoir finalement réussi », dit Alexandria Ocasio-Cortez en riant à la fin du documentaire Cap sur le Congrès.

Aujourd’hui, Alexandria Ocasio-Cortez incarne le rêve américain. Elle est la plus jeune élue à la Chambre des représentant·es, et ce en partie grâce à l’aide précieuse des groupes populaires Justice Democrats et Brand New Congress.

AOC, Brand New Congress et Justice Democrats contre l’establishment et pour l’empowerment

Les groupes populaires, Justice Democrats et Brand New Congress, recrutent des candidat·es pour se présenter contre les politiciens enracinés dans le système, autrement dit ils luttent contre l’establishment, c’est-à-dire l’ordre établi parfois exempté de valeurs morales. Les groupes reçoivent plus de 10 000 candidatures spontanées. Alexandria Ocasio-Cortez a été nominée par son frère. Elle n’avait jamais envisagé la politique et pensé à présenter sa candidature avant. Justice Democrats et Brand New Congress ont élu avec un suffrage de 100% la candidature d’AOC du fait notamment de son altruisme et de sa force de détermination.

Brand New Congress et Justice Democrats ont l’objectif commun et majeur d’éradiquer la politique corrompue par l’argent. L’idée est de proposer une voie alternative pour accéder au Congrès, autre que la voie actuelle. Pour l’instant, on accède au Congrès grâce aux lobbies et groupes d’intérêt. Il y a actuellement 81% d’hommes au Congrès. La plupart d’entre eux sont blancs, millionnaires, avocats.

CORBIN TRENT – JUSTICE DEMOCRATS [CAP SUR LE CONGRÈS]

Le but est donc d’élire des personnes issues de la classe ouvrière pour que les personnes issues de cette même classe sociale puissent être justement représentées au Congrès. C’est ce que suppose l’idée d’empowerment ; celle-ci implique l’émancipation des individus par la prise de pouvoir et par l’initiative d’actions. Cela permettrait un effet boule de neige, qui changerait la manière dont on perçoit le gouvernement et la politique dans le pays que sont les États-Unis, afin de combler le fossé en matière de compréhension mutuelle et de communication au sein de la nation états-unienne.

I’m running because everyday Americans deserve to be represented by everyday Americans.

AOC à Washington, D.C. – colloque du Brand New Congress (2018) [Cap sur le Congrès]

Traduction : « Je me présente aux élections parce que les Américain·es de tous les jours mérite d’être représenté·es par des Américain·es de tous les jours ». Brand New Congress et Justice Democrats a su recruter un nouveau visage sur la scène politique que les politiciens établis n’ont pas vu venir et sur qui ils n’ont pas pu faire pression avec un emploi ou autre. Les groupes populaires ont choisi une personne qui représente sa communauté à bien des égards, une candidate figure de l’intersectionnalité, insurgée, près du peuple, une femme de couleur originaire du Bronx (elle y vit depuis trois générations), une latina, boricua (personne originaire de Porto Rico), descendante des Indiens Tainos, descendante des esclaves africains ; voilà tout un répertoire de qualifications qu’elle emploie pour se définir elle-même, pour affirmer son identité aux multiples facettes. Ainsi, Alexandria Ocasio-Cortez a été candidate pour le Bronx et le Queens en menant une campagne populaire d’arrache-pied.

On travaille plus parce qu’on est des femmes. On n’est pas des riches blancs en costard.

PAULA JEAN SWEARENGIN, CANDIDATE EN VIRGINIE-OCCIDENTALE À LA PRIMAIRE DES ÉLECTIONS DE MI-MANDAT DE 2018, en s’adressant à AOC [CAP SUR LE CONGRÈS]

Face à ces riches hommes blancs en costard, la volonté affirmée est de dessiner un nouveau paysage politique, de faire mieux que le pouvoir en place, et de construire une machine de financements populaires qui se démarquera des pouvoirs institutionnels établis et qui redonnera réellement le pouvoir au peuple pour qu’il le garde pour de bon. En effet, conformément à la Constitution, les élu·es ont ce devoir de représentations de la communauté et de défense des intérêts de cette même communauté : le collectif doit passer avant l’individualité de l’homme ou de la femme politique.

Il ne s’agit pas de m’élire moi au Congrès, il s’agit de NOUS élire au Congrès.

AOC dans Cap sur le Congrès
Constitution des États-Unis © House of Representatives

Joseph Crowley, l’adversaire démocrate millionnaire

En 2018, un nombre record de femmes, de personnes de couleur et des outsiders (des personnes à l’origine non professionnelles de la politique) entreprend de transformer le Congrès. De nombreux élus démocrates affrontent le défi des primaires lancé par d’autres démocrates qui candidatent pour la première fois.

À l’époque candidate dans la 14ème circonscription de New-York, lors du tournage du documentaire Cap sur le Congrès, elle précise avec humour : « Si j’étais une personne normale et rationnelle, j’aurais laissé tomber cette course depuis longtemps ». Ces paroles se justifient du fait des personnes contre qui elle s’oppose et qui sont prêtes à tout pour détruire les outsiders, ces novices en politique, parce qu’elles sont adeptes de la fameuse formule communément attribuée à Machiavel : « la fin justifie les moyens » – le machiavélisme désignant une conception de la politique qui prône la conquête et la conservation du pouvoir par tous les moyens.

Pour se présenter à la primaire des élections de mi-mandat, il faut minimum 1250 signatures, mais AOC stipule :

Parce qu’on affronte « le patron », on doit rassembler 10 000 signatures.

AOC dans Cap sur le Congrès

Surnommé « the boss », président du parti démocrate du Queens, chef de circonscription, quatrième démocrate le plus puissant du Congrès qui a nommé tous les juges fédéraux pendant ses mandats, Joseph Crowley n’avait pas eu d’adversaire aux primaires depuis 14 ans avant l’arrivée de Alexandria Ocasio-Cortez. Qu’est-ce qu’il faut savoir au sujet de Joseph Crowley ? Réponse issue du documentaire Cap sur le Congrès ci-dessous.

Tous ces points mentionnés ont permis à Alexandria Ocasio-Cortez d’installer progressivement ses idées et sa légitimité afin de gagner les primaires démocrates puis les élections face au républicain Anthony Pappas. Généralement, précise Alexandria Ocasio-Cortez dans le documentaire Cap sur le congrès, la personne remportant la primaire démocrate dans la 14ème circonscription de New-York gagne aussi les élections finales et donc le siège à la Chambre des représentant·es. C’est chose faite !

AOC élue à la Chambre des représentant·es, en bref

Blason de la Chambre des représentant·es

2018, États-Unis, d’après Le Monde, les femmes n’ont jamais été aussi nombreuses à se présenter aux élections de mi-mandat. Elles ont représenté 28% des candidat·es. Alexandria Ocasio-Cortez était l’une d’entre elles. Elle est désormais la plus jeune membre du Congrès américain. Rappelons rapidement le fonctionnement du Congrès, des élections de mi-mandat et les enjeux qui se jouent à la Chambre des représentant·es.

La Chambre des représentant·es est l’une des deux chambres du Congrès américain, la deuxième étant le Sénat, et elle est une partie de la branche législative du gouvernement fédéral. Conformément à la Constitution, la Chambre des représentant·es des États-Unis est chargée de légiférer et voter les lois fédérales. Le nombre d’élu·es à la Chambre est fixé par la loi à pas plus de 435, représentant proportionnellement la population de 50 états. Ainsi, face à plus de 400 personnes, il est nécessaire de mettre en pratique des compétences en termes d’expression orale pour faire entendre sa voix.

La Chambre des représentant·es © House of Representatives

L’éloquence d’AOC en 10 points et quelques notions

La rhétorique en théorie […]

Voici 5 notions clefs permettant un rapide tour d’horizon de l’art de la rhétorique.

[…] et en pratique

La question à laquelle les 10 points relevés ci-dessous vont tenter de répondre est la suivante : Comment Alexandria Ocasio-Cortez s’exprime dans l’arène politique ? 

L’engagement, AOC, Greta Thunberg & Megan Rapinoe

Pour faire de la politique, il est nécessaire de bien s’entourer afin de mettre en œuvre une forme de transfert de légitimité. Au vu des personnes ci-après, AOC sait choisir ses allié·es, tout autant que ses adversaires par ailleurs.

Greta Thunberg, figure du jeune militantisme écologiste

Alexandria Ocasio-Cortez est en accord avec les revendications de Greta Thunberg. Pour elles, la solution à la crise écologique dans laquelle nous sommes réside dans l’action par le collectif, en créant une communauté mondiale sensible et consciente. Tout comme Greta Thunberg, AOC propose des décisions concrètes :

Pour résoudre la crise climatique, j’encourage tous les dirigeant·es de la planète à changer leur point de vue et à mettre la pression sur les grandes entreprises productrices d’énergie fossile et d’émissions de gaz à effet de serre.

Interview d’AOC pour Brut [16/10/2019], au C40 Cities World Mayors Summit 2019, à Copenhague (Danemark)

Alexandria Ocasio-Cortez s’entoure donc de figures de proue et ce dans des domaines divers et variés.

Megan Rapinoe, championne du monde 2019, icône lesbienne et féministe

Alors qu’en tant que capitaine de l’équipe de football des États-Unis, Megan Rapinoe avait annoncé son refus, en cas de victoire, de se rendre à la Maison blanche pour rencontrer son tristement célèbre locataire, elle accepte sans réfléchir à deux fois l’invitation d’Alexandria Ocasio-Cortez à la Chambre des représentant·es.

Il s’est avéré qu’en plus d’être liées par un même principe, celui de l’engagement, Megan Rapinoe, Greta Thunberg et Alexandria Ocasio-Cortez ont un ennemi commun : l’occupant du Bureau oval, qu’on ne présente plus.

AOC face à l’adversité

Donald Trump, Président des États-Unis

Trump débite son verbiage sur Twitter, comme à son habitude, et il prend fréquemment pour cible l’élue latino-américaine Ocasio-Cortez…

Alexandria Ocasio-Cortez ne se prive pas de lui répondre par apparition télévisée ou directement sur les réseaux sociaux :

Afin de faire écho à la question d’AOC dans son post Instagram (« Ils ne savent vraiment pas quelle circonscription je répresente, si ? »), voici la zone du 14ème district new-yorkais dont elle est en charge :

On reste dans l’atmosphère des réseaux sociaux avec un second interlocuteur d’AOC qui n’est autre qu’un chef d’entreprise à envergure mondiale.

Mark Zuckerberg, PDF de Facebook, cité à comparaître à la Chambre des représentant·es

En octobre 2019, celui-ci est interrogé par Alexandria Ocasio-Cortez au sujet des publicités politiques ciblées (qui ont notamment fait ravage lors des élections présidentielles 2016) au cours de son audition sous serment au Congrès états-unien.

BFM TV | Mark Zuckerberg bousculé par Alexandria Ocasio-Cortez [23/10/2019]

Ses multiples prises de parole et son engagement ont amené Alexandria Ocasio-Cortez dans un processus de starification qui a fait d’elle une politicienne reconnue fiable et digne de confiance à l’échelle internationale.

La réappropriation de l’image d’AOC, signe de notoriété politique internationale

Sa renommée est désormais confortablement installée. La preuve en images.

Italie | AOC dans la campagne choc de AleXsandro Palombo

Pour son œuvre visible dans les rues de Milan, un artiste italien, AleXsandro Palombo, aussi connu pour sa campagne concernant la journée internationale de lutte contre le cancer (voir ci-après), l’a même choisi parce qu’elle est l’une des figures politiques les plus importantes de notre monde contemporain. L’objectif de son art social ? Sensibiliser, faire prendre conscience, faire réagir, encourager à briser le silence, lutter contre les violences faites aux femmes en impliquant des personnes engagées, qui peuvent user de leur pouvoir pour changer un système de discriminations systémiques et qui peuvent militer pour l’égalité des genres. A l’instar d’Alexandria Ocasio-Cortez.

France | La campagne « Écoutez le monde changer » d’Europe 1

Le 29 octobre 2019, Europe 1 lance une campagne d’affichage en collaboration avec l’agence Romance. Europe 1 qualifie cette campagne de « nouvelle signature » afin d’affirmer la singularité de la radio qui marque les esprits en décryptant les transformations de la planète et de la société. On peut y voir Greta Thunberg, Boris Johnson, Emmanuel Macron, Angela Merkel, Donald Trump, Bilal Hassani ou encore des images en lien avec la crise écologique que nous traversons.

ÉCOUTEZ LE MONDE CHANGER © Europe 1

Le 3 février 2020, Europe 1 lance le deuxième opus de la campagne Écoutez le monde changer. En son sein et au côté de Meghan Markle, du Prince Harry et de l’alarmant incendie en Australie, se trouve Alexandria Ocasio-Cortez.

Visuel diffusé à partir du 3 février 2020

De cette manière, Alexandria Ocasio-Cortez s’impose comme une figure majeure participant aux changements qui touchent le monde politique. Ces reprises des représentations de la politicienne développent son image de marque et ainsi son ethos, qui pourraient peut-être l’amener jusqu’à la Maison blanche ?

N.B. : Alexandria Ocasio-Cortez, née le 13 octobre 1989, a aujourd’hui 30 ans, et pour candidater à la Présidence des États-Unis, il faut avoir minimum 35 ans. Encore quelques années à attendre donc…


Aurélie Lopez

Femmes de...

Femmes de Présidents : L’absence d’un statut juridique

Les monarchies d’Ancien Régime conféraient un statut et des pouvoirs réels à la conjointe du prince, découlant alors d’ententes de filiation et de l’obligation d’engendrer une descendance. Toutefois, l’avènement de la démocratie représentative ainsi que la division du public et du privé ont repoussé la conjointe au non-politique, c’est-à-dire à la famille. Cependant, même si le système politique démocratique ne confère aucun statut juridique à ces femmes, les médias, quant à eux, vont leur donner une visibilité. Ainsi, leur mise en scène retient l’attention, leurs idées intéressent, leurs ambitions intriguent et leur quête d’autonomie peut inquiéter. Les lignes qui vont suivre, vont tenter d’explorer l’ambiguïté du statut des conjointes de quelques hommes d’État français, sous la Ve République. Nous allons alors nous demander : Quel est le statut juridique de la « première dame », aujourd’hui, en France ?

De gauche à droite : Danielle Mitterrand (Paris, 10 novembre 1983), Anne-Aymone Giscard d’Estaing (Brégançon, 6 mai 1979) et Cecilia Attias (Paris, 13 juin 2007).
Photos AFP

Une place inconfortable

La convention selon laquelle un homme qui aspire à diriger l’État doit être marié découle de ce que sous-entend l’engagement marital. En effet, ce dernier serait source de respectabilité et de stabilité. Ainsi la conjointe (ou le conjoint) ne serait qu’un faire-valoir d’un homme politique et prendrait place dans un dispositif de mise en valeur de ce dernier.

Cette place, relativement inconfortable, est accentuée par le fait que la conjointe (ou le conjoint) du Président de la République n’a jamais eu de statut constitutionnellement ou légalement reconnu. Cette dernière (ou ce dernier) n’aurait donc aucun rôle dans l’architecture institutionnelle française. Cependant, cette place d’épouse, au sein des institutions, n’a de cesse de se poser car ses prérogatives dépassent, lors de certaines occasions, le cadre du protocole et cela sans que ne lui soit attribué un statut.

Par le passé, l’épouse du Président de la République a souvent été dénommée « la Présidente ». Ce terme a toutefois été délaissé car ce titre est réservé à l’hypothèse où une femme serait élue à la fonction présidentielle. Les médias français, quant a eux, emploient l’expression tirée du lexique américain de « Première Dame » pour désigner l’épouse du Président de la République.

Le rôle de l’épouse du Président a évolué dans le temps pour passer de celui de maîtresse à celui de conseillère de l’ombre. Elle peut exercer une influence sur les décisions politiques.

Lorsque sa qualité de collaboratrice du pouvoir ne dépasse pas le cadre du privé, cela n’intéresse pas le droit mais lorsque cette dernière devient l’alter ego du Président, l’exposition politique et juridique nécessite, dans tout état moderne, un cadre statutaire. Débat qui a été soulevé aux États-Unis lors de la présidence Roosevelt. En effet, Franklin Roosevelt atteint d’une maladie invalidante laissa son épouse, Eleanor Roosevelt, endosser un rôle institutionnel essentiel.

En France, le statut de la conjointe (ou du conjoint) du Président de la République a resurgi à l’occasion des questions écrites ministérielles qui viennent mettre en lumière l’inconfort dans lequel est placée l’épouse du Président de la République lors de ses actions politiques et médiatiques. Nous pouvons prendre l’exemple ici du rôle diplomatique joué par Mme Cécilia Sarkozy, alors épouse du Président, dans l’affaire des infirmières bulgares.

Cécilia Sarkozy

Dans un entretien accordé par le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, au quotidien « Le Figaro », le 7 juin 2007, celui-ci est revenu sur son engagement à définir le rôle de son épouse après son élection. Il aborde cela en ces termes : « Nous en parlons beaucoup, elle et moi. Elle aura l’occasion d’exposer sa vision de son rôle d’ici peu, lorsque les choses seront définitivement calées ».

Toutefois, si l’on se rapporte à la Constitution, l’épouse n’a pas d’existence juridique, seuls quelques textes abordent la question de la place et du rôle de la conjointe (ou du conjoint) du chef de l’État. Cette absence de statut officiel n’a pas empêché, historiquement, les conjointes des Présidents de la Ve République de marquer le mandat présidentiel et ce de manière très différente mais toutefois significative. Plus qu’un inconfort ou un avantage, c’est toute l’ambivalence d’un rôle où rien n’est écrit.

Une existence factuelle

Cependant, grâce à l’absence de toute reconnaissance officielle, l’épouse du Président de la République peut intervenir dans plusieurs domaines. Certaines d’entre-elles ont joué le rôle consultatif quant aux nominations effectuées par le Président. Ainsi, Yvonne de Gaulle a été à l’origine de l’exclusion de toute personne divorcée – au nom de la moralité chrétienne – de l’entourage présidentiel et Cécilia Sarkozy a substantiellement influencé la composition du gouvernement Fillon.

Yvonne De Gaulle

Anne-Aymone Giscard d’Estaing, quant à elle, a servi d’interprète en portugais lors de la visite du chef d’État brésilien, le 28 janvier 1981, comme elle l’avait déjà fait à l’occasion de la visite de M. Lopez Portillo. À d’autres reprises, elle apparaît telle l’alter ego du chef de l’exécutif comme le fait de joindre ses vœux à ceux de son époux lors de l’allocution de fin d’année peut en attester.

D’autre part, l’actualité conforte le rôle humanitaire de l’épouse du Président de la République notamment au travers d’interventions ciblées.

Cela dit, l’action humanitaire de l’épouse du Président de la République peut soulever des difficultés d’ordre politique, particulièrement quand la direction d’une association sert de tribune oratoire pouvant perturber la diplomatie française. Ainsi, est pointée du doigt la situation délicate engendrée par l’inauguration, réalisée par Danielle Mitterrand, d’un colloque sur le thème « Le choix contre toute forme d’apartheid ». En effet, lors de son discours, l’épouse du chef de l’État français, alors présidente de l’association « France-Libertés », a condamné l’embargo imposé par les États-Unis contre Cuba depuis 1961.

Nous observons là que l’épouse du Président de la République est une protagoniste active des institutions de la République. Cela suit le mouvement général de l’émancipation professionnelle des femmes dans la société française. En raison de l’absence de statut officiel particulier, cette place s’adapte aux envies et aux ambitions de chacune.

Clarifier le rôle de celle-ci, en passant par l’institutionnalisation de la fonction aurait certains avantages mais aurait pour risque de « statufier » la fonction et donc réduire le champ d’action.

L’ambiguïté d’un statut

Comme nous venons de le voir, l’épouse du Président de la République n’a pas de statut juridique. Cela lui confère donc une place relativement inconfortable. Son existence n’est que factuelle. Cependant, si son statut juridique la rend invisible institutionnellement, les médias contribuent à la rendre visible. En effet cette dernière fait l’objet d’une mise en scène médiatique.

« Le système politique [démocratique] n’accorde aucun statut à ces épouses, les médias, eux, vont leur donner visibilité et consistance »

Armelle Le Bras-Chopard

Autrefois « potiches », les conjointes de chefs d’État sont aujourd’hui des actrices politiques à part entière et les médias, via leurs actions, y sont pour quelque chose.

La théâtralisation du Président de la République mobilise l’épouse de ce dernier en la plaçant au cœur de ce dispositif de mise en valeur. Elle endosse alors plusieurs rôles : celui de « mère de famille » heureuse, entourée de ses enfants, et d’épouse aimante, préférablement jeune et belle (pour souligner les prouesses séductrices et la virilité du Président de la République). Ainsi exhibée, l’épouse est donc mise au service de la stratégie politique de son conjoint. Cela dit, cette approche positionne l’épouse en victime de la machine exécutive et de l’emballement médiatique qui l’entoure.

Toutefois, ces femmes ne sont pas ou peu victimes (image de « biches » fragiles et dévouées, héritée de tout un imaginaire développé dans une société paternaliste). Elles peuvent être notamment des actrices stratégiques du jeu politique. En elles, peut subsister une soif d’exister par elle-même. Cet argument est avancé par Armelle Le Bras-Chopard, qui soulignent que si les épouses d’hommes politiques « acceptent de jouer le jeu dans ce second rôle, elles entendent avoir leur propre vie à côté, dans cet espace apolitique où elles sont consignées. Avoir leurs activités privées mais aussi des activités publiques sans être politiques où elles profiteront de leur qualité de ‘femme de’ et s’exposeront à titre personnel aux médias ». Ces femmes cherchent ainsi à se développer une vie parallèle à celle, officielle, qui découle de leur alliance maritale. Une vie où elles seront reconnues comme personnes pleines et entières et non comme « femme de … ». Ainsi, elles peuvent s’adonner à du bénévolat, développer des fondations ou encore prêter leur nom à diverses causes. Toutefois cette « autre vie » doit se tisser avec des activités non politiques, et ce, pour ne pas gêner l’engagement politique du Président de la République.

Ces initiatives sont souvent relayées dans les médias et viennent de ce fait donner un statut, non officiel mais public, à l’épouse du Président de la République.

Les médias comme révélateurs

Le 2 mars 1981, Anne-Aymone et Valéry Giscard d’Estaing sont venu.es ensemble sur un plateau télévisé afin de faire une déclaration de candidature pour la prochaine élection. Cette action ne permet pas d’affirmer qu’en droit constitutionnel le couple est un nouveau sujet de droit, toutefois, il symbolise l’émergence de la notion de couple présidentiel sur le plan politique et médiatique.

Anne-Aymone Giscard d’Estaing

Cette mise en lumière que permettent les médias fait bouger les lignes comme nous venons de le voir mais permet également de se défendre, ou de s’expliquer, de manière plus rapide et plus directe que le permettent les institutions, en servant de tribune.

Nous pouvons le voir avec l’exemple qui va suivre où Danielle Mitterrand réalise un entretien télévisé afin d’évoquer ses convictions s’exprimant à travers le Parti socialiste mais particulièrement à travers ses actions. Elle se défend alors d’avoir pris position sur quelques dossiers du gouvernement : « je n’ai jamais critiqué un gouvernement, mais des faits ; je suis une française libre, je dois pouvoir dire ce que je pense ; on a dit beaucoup de choses non justifiées… ». Ainsi, ici elle met simplement en avant sa qualité de citoyenne et de militante pour délimiter son rôle dans la République. Elle interprète là seulement la Constitution. En effet, cette dernière n’est pas soumise à un devoir de réserve imposé par son statut puisqu’elle n’en dispose pas. Nous notons présentement tout l’avantage de l’absence de reconnaissance officielle de la fonction d’épouse du Président de la République.

Danielle Mitterrand

Ainsi, afin d’éviter toute ambiguïté du rôle de la première dame – qui entend sortir des coulisses alors que la Constitution la cantonne à incarner un personnage de l’ombre –, il serait plus cohérent, à l’heure de la « médiacratie » et à l’ère de la transparence, de doter l’épouse du Président de la République, dont la place dans l’entourage présidentiel n’est pas négligeable, d’un titre officiel et surtout d’un statut. Toutefois, l’institutionnalisation de la conjointe (ou du conjoint) du Président de la République n’en serait pas moins une action ambivalente au regard de sa faisabilité ainsi que de son utilité.

L’impossible institutionnalisation

La théorie de l’État républicain

Si nous nous penchons sur le droit constitutionnel français, celui-ci n’érige nullement le Président de la République en organe de personnification de l’État. Ainsi, conférer un statut juridique à l’épouse de ce dernier, en cette seule qualité, soumet l’idée selon laquelle tout ce qui se rattache à la personne du Président de la République justifie la distribution d’une fonction juridique et politique. L’État, comme nous le connaissons, est conçu comme la propriété commune d’une entité collective. L’appareil étatique est donc dépersonnalisé. Ce qui veut dire que la conception du pouvoir politique, dans un État républicain, ne repose pas sur une absorption de l’État par le chef de l’exécutif. C’est notamment en cela que l’État moderne est en opposition avec la conception monarchique.

D’après la Constitution, l’État désigne la permanence des fonctions sous le changement des titulaires. C’est à ce titre que le Professeur Burdeau a écrit : « cette permanence d’une puissance ignorant les solutions de continuité, seul le régime d’Etat peut l’assurer en ce qu’il substitue, comme support du Pouvoir, une entité durable aux individus essentiellement éphémères. C’est parce qu’il est étatique que le pouvoir est continu ». En résumé, ici, la caractéristique de la puissance étatique est sa continuité et donc le pouvoir de l’État ne peut être qu’impersonnel.

Toute personnalisation du pouvoir sous entend un changement du régime politique. De ce fait, donner automatiquement à l’épouse du Président de la République un statut sur la base de cette seule qualité tirée du droit de la famille, c’est admettre alors que la puissance étatique est attachée physiquement à un homme et à ses choix d’ordre privé. Ce pouvoir aurait donc pour support un élément précaire.

Un problème de personnification du pouvoir

Ainsi, l’émergence, en droit constitutionnel, de la notion de couple présidentiel est impossible. Le lien marital ne peut pas suffire à permettre l’institutionnalisation d’une personne au sein des autres corps constitués. C’est alors que l’automaticité de la reconnaissance juridique de l’épouse du Président de la République signifierait qu’une décision d’ordre privé impacterait l’ordre politique. Si cela était le cas, ça poserait une nouvelle condition à la candidature à l’élection présidentielle qui serait contraire au principe individualiste de l’État français.

L’enracinement du rôle de l’épouse du Président de la République est donc une problématique majeure car son institutionnalisation serait avant tout un élément d’intensification de la personnification du pouvoir politique.

Nous venons de le dire précédemment, la reconnaissance automatique d’une fonction et d’un titre à l’épouse du Président de la République serait contraire à la conception républicaine du pouvoir. Toutefois, sur le terrain des principes républicains, un chef d’État peut user de son pouvoir de nomination si l’action de son épouse l’exige pour conférer à sa conjointe (ou son conjoint) un statut de collaboratrice (ou collaborateur). En effet, ce qui poserait problème serait la consécration d’un régime juridique spécial qui viendrait soulever des difficultés en confortant le processus de personnification du pouvoir.


– Governatori Jean-Joël. Le rôle de l’épouse du Président de la République en Droit français. In: Revue juridique de l’Ouest, 2009-4. pp. 419-442

– Le Bras-Chopard, Première dame, second rôle. Collection « Médiathèque », Paris, Seuil, 2009, 125 p.

Mazarine Jauberthie

Groupes militants

Féminisme et extrême-droite, une équation possible ?

Elles ont été de tous les combats de l’extrême droite, de l’instauration du régime nazi aux campagnes présidentielles du Front national. Depuis plus d’un siècle, les femmes d’extrême droite concilient étonnamment le combat pour leurs idéaux politiques avec la traditionnelle figure de mère et d’épouse qu’elles mettent si souvent en avant.

Longtemps restées dans l’ombre des hommes, nombreuses sont les militantes qui désormais occupent au grand jour le terrain politique. Exemple emblématique, Marine Le Pen a bien failli devenir la première présidente de la République française. Preuve s’il en est que, même au sein de l’extrême droite, les discours sur la condition féminine évoluent… au point de converger avec le combat féministe ?

L’étonnante ambivalence des ultra-conservatrices

Féministe, mais pas trop

« La naissance des petits, mon divorce, cette période seule avec eux me rendit quasi “féministe”, tant il est vrai que les femmes ont vraiment du courage, que leur situation est souvent et objectivement bien plus difficile que celle des hommes. Les femmes sont en effet soumises à la “double peine” : un travail souvent prenant et une vie de famille à mener, le tout avec le sourire s’il vous plaît ! » En 2006, Marine Le Pen elle-même abordait le sujet de l’égalité des genres dans son autobiographie, lorsqu’elle évoque la période qui a suivi son divorce. Une problématique qui la préoccupe, mais pas au point de revendiquer une quelconque appartenance au féminisme. Car ce terme reste dans les strates de l’extrême droite un mot qui dérange.

Existe-t-il des féministes d’extrême droite ? Les partisanes ont longtemps adopté un discours hostile, en tout cas méfiant vis-à-vis des féministes, à l’instar de leurs homologues masculins. Néanmoins, le positionnement de certaines militantes semble avoir sensiblement évolué ces dernières années. Et pour cause : depuis l’obtention du droit de vote en 1944, et même s’il reste beaucoup à faire avant d’atteindre l’égalité femmes-hommes, la condition des femmes a considérablement progressé en Europe. Et les ultra-conservatrices ont bénéficié comme n’importe qui des acquis sociaux obtenus grâce à la mobilisation des féministes : droit au divorce, légalisation de l’avortement, accès facilité à la contraception, force est de constater que l’égalité présente tout de même quelques avantages.

Toutefois, une posture de défiance subsiste : « la plupart des membres du Front national n’ont de cesse de ringardiser les associations féministes et leur activisme “ hystérique ” , reprenant en ce sens les poncifs des discours sexistes. Il s’ensuit une dissociation entre l’amélioration des conditions de la femme dans la société et les luttes féministes qui les ont rendues possibles », explique Sylvain Crepon, spécialiste de l’extrême droite française. Un mépris très bien exprimé par cette partisane du FN en 2011 :



Oui sur l’égalité homme/femme, bien sûr que c’est important. Ça fait encore une fois partie des valeurs françaises. (…) Après ce qui est bien c’est qu’il ne faut pas qu’elle tombe dans le féminisme genre euh… je ne sais pas euh… genre : “ Ni putes ni soumises ” , voilà. Il faut être féministe intelligent.

Anonyme, citée par Sylvain Crepon

Paradoxalement, alors que l’extrême-droite défend une vision très conservatrice des femmes et de leur place dans la société, elle a souvent offert aux femmes un espace d’émancipation, les propulsant même jusqu’aux plus hautes marches du pouvoir. Comme l’explique Claude Lesselier, historienne spécialiste de l’histoire des femmes au XIXe et XXe siècles, « l’extrême droite appelle les femmes françaises, au nom de leur rôle dans la sphère privée et sans qu’elles négligent leurs tâches prioritaires, à s’engager activement dans un combat politique dont certaines figures féminines – la Vierge Marie, Jeanne d’Arc ou plus prosaïquement la femme-mère française menacée – constituent les symboles. »

Les milieux conservateurs, berceaux de l’antiféminisme

« Le féminisme encourage les femmes à quitter leur mari, à tuer leurs enfants, à pratiquer la sorcellerie, à détruire le capitalisme et à devenir lesbiennes. » C’est par ces mots que le politicien conservateur étasunien Pat Robertson alertait sur les dangers représentés par le féminisme. Contrairement aux apparences, cette formulation date de 1992 et non du début du siècle dernier. Même si elle peut prêter à sourire, elle est hélas révélatrice de la conception du féminisme qu’ont les milieux conservateurs.

Les mouvements féministes essuient depuis leurs prémices la critique acerbe d’adversaires venus de l’extrême droite. Le combat des suffragettes pour le droit de vote au début des années 1900 a été une cible privilégiée pour de nombreux groupes conservateurs, parmi lesquels Action française, mouvement nationaliste lancé en 1898 en pleine affaire Dreyfus. Henri Vaugeois, son fondateur, qualifiait le féminisme de « monstre de laideur et d’absurdité », « parisien, c’est-à-dire juif et métèque ». Par la suite, l’histoire a montré que chaque grande lutte féministe – pour le droit de vote, puis pour le droit à disposer de son corps, et plus récemment contre les violences sexuelles depuis #MeToo – se voyait accompagnée d’une récusation féroce de la part des antiféministes.

Mais que désigne-t-on exactement sous le terme « antiféminisme » ? Il s’agit d’un « contre mouvement de pensée et d’action qui s’oppose au féminisme » qu’analyse en détail Christine Bard dans son livre Antiféminisme et masculinisme d’hier et d’aujourd’hui (2019). Selon cette historienne, l’antiféminisme pré-existe au féminisme et non l’inverse. Un courant à distinguer de la simple misogynie ou du sexisme, qui « concernent toutes les personnes humaines définies comme “ femmes ”, [tandis que] l’antiféminisme ne concerne que les féministes » selon Diane Lamoureux, professeure en sciences politiques à l’université de Laval. L’antiféminisme est particulièrement prégnant dans les milieux conservateurs, dont l’extrême-droite, qui s’évertuent à dénoncer la « menace féministe« . Celle-ci mettrait en péril le modèle familial traditionnel, ferait dramatiquement chuter le nombre de naissances, et, pire que tout, effacerait toute différenciation entre les femmes et les hommes. Aussi ses détracteur·rice·s se sont-il·elle·s efforcés de tourner les militantes au ridicule : ainsi s’est construit l’archétype de la féministe hystérique, laide, frigide, une « mal baisée » haïssant les hommes, un moyen efficace de discréditer les mouvements féministes et ses représentantes.

Anti-suffrage postcard: My wife's joined the suffrage movement. (I've suffered ever since!)
Le combat des femmes pour le droit de vote s’est accompagné d’une farouche campagne de
discrétisation de la part des antiféministes, qui tournaient à la dérision les suffragettes dans
des caricatures virulentes, comme sur cette carte postale.

Par ailleurs, l‘adhésion de certaines femmes à l’antiféminisme ont toujours constitué un fort argument de légitimation pour ces groupes. Si les principales intéressées elles-mêmes le décrient, alors le féminisme est, quelque part, forcément en tort. Exemple sur le compte Twitter de l’essayiste Thérèse Hargot, proche des milieux chrétiens conservateurs, qui s’offusque d’une campagne d’affichage contre les violences faites aux femmes.

Extrême droite et féminisme semblent ainsi difficilement conciliables. Et pourtant, même si cela a de quoi surprendre, on retrouve aujourd’hui des revendications féministes dans la bouche de militant·e·s d’extrême-droite, prononcées plus ou moins du bout des lèvres.

Une nouvelle génération de militantes plus ouverte ?

Les positions de l’extrême droite vis-à-vis des droits des femmes ont indéniablement évolué depuis le siècle dernier. Pour beaucoup de militantes et d’élues frontistes, il n’est plus question de revenir sur la loi Veil, même si le remboursement de l’IVG continue de diviser. C’est d’autant plus vrai chez les nouvelles générations de militant·e·s, qui ont toujours vécu avec ces droits. Aussi Stéphanie Koca, qui à l’âge de 20 ans est devenue la plus jeune conseillère régionale du FN dans le Nord-Pas-de-Calais, donnait-elle en toute franchise son opinion sur l’épineuse question de l’IVG :

Je ne suis pas du tout contre l’avortement. Je pense que maintenant il y a beaucoup de moyens de contraception. Si ça arrive qu’on ne puisse pas garder un enfant, il vaut mieux avorter plutôt que l’enfant soit malheureux. (…) Jean-Marie Le Pen disait qu’il était contre. Mais pour ma part, maintenant je pense que c’est impossible d’être opposé à l’avortement.



Stéphanie Koca, ancienne conseillère régionale FN, citée par Sylvain Crepon

Étonnamment, on retrouve même des discussions féministes sur des forums néo-nazis tels que le site anglophone Stormfront.org sur lequel a enquêté la journaliste Lindsay Schrupp. Et si beaucoup de ces messages – signées par des femmes – relèvent d’un antiféminisme profond, d’autres paraissent presque revendicateurs.

27 % de femmes parmi l’électorat du FN

Preuve d’un indéniable changement de mœurs, c’est une femme qui a pris les rênes du Rassemblement National en 2011. Marine Le Pen fait même partie, avec Ségolène Royale, du cercle très fermé de celles qui ont failli devenir présidentes. Comment expliquer cette ascension dans un parti d’ordinaire peu enclin aux changements ?

Jean-Marie Le Pen entouré de Marine Le Pen et Bruno Gollnisch, tous deux candidat·e·s à sa succession, pendant le défilé du Front National en l’honneur de Jeanne d’Arc, le 1er mai 2010. Source : commons.wikimedia.org.

Comme l’a analysé la journaliste Aude Lorriaux pour Slate, le programme frontiste a ainsi fortement évolué depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti : lors de la campagne présidentielle de 2017 et pour la première fois dans l’histoire du RN, cette dernière se prononce ouvertement en faveur de l’égalité salariale et du travail des femmes. Une position aux antipodes de celle de Marie-Christine Arnautu, alors vice-présidente du FN en 2012 : « Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’on égalise les salaires alors que tant de gens sont au chômage ? » Un changement de cap pas aussi radical qu’il n’y paraît cependant, puisque Marine Le Pen veut toujours mettre en place des mesures incitatives – financières principalement – pour inciter les femmes à rester chez elles plutôt que de travailler, et remplacer le mariage gay instauré par la loi Taubira en 2013 par un PACS amélioré.

Cette prétendue adhésion au féminisme s’inscrit dans une volonté interne de dédiaboliser le parti, démarche enclenchée par Marine Le Pen lors de son arrivée à la tête du FN. Il est en effet stratégique pour le FN de s’adresser aux femmes et de les convaincre, puisque « il y a (…) là un réservoir de voix pour le FN, d’autant qu’elles s’inscrivent un peu plus que les hommes sur les listes électorales, et qu’elles sont aussi plus nombreuses que leurs congénères masculins (52%). »

À ces fins, présenter une candidate plutôt qu’un candidat à la course électorale constitue un argument pour conquérir un électorat plus jeune, plus féminin et sensiblement plus concerné par la question de l’égalité entre femmes et hommes. En effet, depuis que Marine Le Pen a succédé à Jean-Marie Le Pen, « le vote FN, jusqu’ici très masculin, s’est rééquilibré en attirant 20 % d’hommes contre 18 % de femmes. A l’intérieur de ce vote, 27% des électeurs sont des femmes, un chiffre en constante progression. » Même constat outre-Rhin, où le NPD allemand convainc de plus en plus d’électrices : « alors que, jusqu’à la fin des années 1990, bon nombre de militantes se contentaient de jouer les seconds rôles, la nouvelle génération tient à gravir les échelons du parti. Le NPD compte 30 % de militantes, 25 % en Basse-Saxe, et elles sont de plus en plus nombreuses. » Pour remporter le scrutins, il faut désormais s’adresser aux électrices en plus des électeurs.

C’est dans cette course aux voix qu’intervient le féminisme, ou plutôt le « quasi féminisme » évoqué dans son livre par la présidente du RN. Dans les discours de l’extrême-droite, la progression de la condition féminine devient une valeur inhérente à la civilisation judéo-chrétienne, oubliant dans un moment d’amnésie volontaire comment ces améliorations ont été acquises, c’est-à-dire après des années de luttes menées par ces féministes tant fustigées. « Le féminisme est une innovation chrétienne », tweete la journaliste Eugénie Bastié, en pleine lecture des écrits de l’essayiste Emmanuel Todd.

A contrario, droits des femmes et islam seraient totalement incompatibles. Le voile devient alors le symbole de l’oppression des femmes. Quand le FN a recours aux rhétoriques féministes, c’est pour s’attaquer sans détours à l’islam, ce que fait sans subtilités Marine Le Pen dans son programme de campagne : dans l’engagement n°9 intitulé « Défendre les droits des femmes », elle entend « lutter contre l’islamisme qui fait reculer leurs libertés fondamentales », « mettre en place un plan national pour l’égalité salariale femme/homme et lutter contre la précarité professionnelle et sociale ». Lorsqu’elles prétendent cautionner l’égalité femmes-hommes, les mouvances d’extrême droite ne défendent en réalité qu’un « féminisme nationaliste« , n’incluant qu’un modèle de femme blanche, cisgenre et hétérosexuelle, bien loin d’un discours inclusif s’adressant aux femmes dans leur diversité.

Agressions de la Saint-Sylvestre : le droit des femmes comme argument xénophobe

Le 31 décembre 2016, en pleine célébration de la Saint-Sylvestre, plusieurs milliers de femmes sont victimes d’agressions sexuelles dans plusieurs villes allemandes, et notamment à Cologne. Ces actes sont imputés pour la plupart à des hommes originaires d’Afrique du Nord, alors que le pays est en plein débat sur l’immigration. S’en suivent des manifestations à la fois féministes et d’extrême droite, qui tournent à l’affrontement. En France, Marine Le Pen réagira sur Twitter, puis dans une tribune publiée dans le journal L’Opinion : « Je repense à ces paroles de Simone de Beauvoir : N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question », et j’ai peur que la crise migratoire signe le début de la fin des droits des femmes. (…) Sur ce sujet comme sur les autres, les conséquences de la crise migratoire étaient pourtant prévisibles. »

Pour le Rassemblement National, ces agressions sexuelles constitueraient l’une des manifestations les plus directes du « danger » et de la menace représentée par les immigrés, tant redouté par l’extrême droite depuis des années. Denis Lesselier relève que « la mise en cause de l’identité nationale est représentée sous la forme de la destruction de l’ordre familial et sexuel, avec les images du viol (vol) des femmes, de l’intrusion de l’étranger dans le foyer domestique, des « perversions » sexuelles et de la « souillure’ ou de la maladie. » Jean-Marie Le Pen recourrait bien volontiers à cette figure dans sa rhétorique : « demain, les immigrés s’installeront chez vous, mangeront votre soupe et coucheront avec votre femme, votre fille et votre fils. » Un discours finalement très similaire à celui de sa successeuse de fille, qui toutefois prend grand soin de policer le message.

Le cas des agressions de Cologne se révèle symptomatique de ce féminisme de façade, affiché par les mouvements d’extrême droite et réutilisé en permanence pour défendre leur programme nationaliste et anti-immigration. Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter féministes Les Glorieuses, réagit à la tribune de Marine Le Pen : « utiliser la « crise migratoire » pour justifier les violences faites aux femmes c’est oublier volontairement les 84,000 femmes qui sont chaque année victimes de viol ou de tentatives de viol et les 20,4% des femmes qui ont subi une violence sexuelle (attouchements, tentatives de rapport forcé ou rapport forcés) au cours de leur vie. »

Alors que s’opère une montée de l’extrême droite partout en Europe, le féminisme devient pour ces partis un argument électoral, un choix en apparence incongru étant donné l’ancrage du féminisme comme une valeur de la gauche. L’égalité entre femmes et hommes a été très médiatisée ces dix dernières années ; toutes les strates de la société sont concernées et les politiques ne peuvent plus faire l’impasse dessus. Par ailleurs, le féminisme défendant souvent une alliance de toutes les minorités – raciales et sexuelles notamment – contre un même système de domination occidental, blanc et patriarcal, le discours de l’extrême droite, alliant droit des femmes et xénophobie, semble on ne peut plus contradictoire.


Solène Marteau