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Groupes militants

Portraits de jeunes militantes : des Greta avant Greta ?

Depuis plus d’un an, de nombreuses figures militantes écologistes sont apparues dans la sphère médiatique. Qui sont-elles ? Des Greta Thunberg en devenir ? C’est ce que semble vouloir présenter l’algorithme de Google et les médias, qui d’après nos recherches, voient dans ces figures militantes de nouvelles Greta Thunberg polonaise, pakistanaise, américaine, ou encore thaïlandaise. Qui sont-elles réellement ? Quels sont leurs combats ? Voici les quelques portraits de ces jeunes femmes du monde engagées contre la destruction humaine et pour la protection de la planète : des Greta avant Greta.

1) Severn Cullis-Suzuki

Severn Cullis-Suzuki prononce son discours devant l’assemblée du Sommet de la Terre à Rio en 1992. / Libération.fr.

Née au Canada en 1979, Severn Cullis-Suzuki est surtout connue pour son discours prononcé lors du Sommet de la Terre qui s’était tenu à Rio de Janeiro en 1992. Un discours et une vidéo célèbres et ovationnés par l’assemblée puis par le public dont certaines phrases devenues symboliques comme « Ce que vous faites me fait pleurer la nuit. » nous rappelle aujourd’hui celles de Greta Thunberg. Peut être était-ce là le premier « How dare you ? » de l’histoire ?

« À l’école, même au jardin d’enfants, vous nous apprenez à nous comporter, à ne pas nous battre, à respecter les autres, à nettoyer ce que nous avons dérangé, à ne pas blesser d’autres créatures, à partager sans avarice. Alors, pourquoi faites-vous les choses que vous nous dites de ne pas faire ? Je vous mets au défi, s’il vous plaît, faites que vos actions reflètent vos mots. »

Ainsi et alors qu’elle n’a que 12 ans, Severn Cullis-Suzuki devient la première jeune militante écologiste bien avant la jeune suédoise. Aujourd’hui devenue mère et âgée de 41 ans, la canadienne n’abandonne pas ses promesses et continue sont combat notamment à travers la création et la réalisation d’un programme télévisuel pour enfant nommé Suzuki’s Nature Quest diffusé au Canada, mais également à travers les conférences qu’elle présente dans le monde.

2) Luisa-Marie Neubauer

La jeune activiste allemande prononce un discours lors de la marche pour le climat organisée le 5 mars 2019. / Ze.tt

Ambassadrice de ONE, une organisation non gouvernementale qui lutte contre la pauvreté et les maladies évitables en Afrique, Luisa Neubauer est aussi connue comme étant une figure écologiste célèbre en Allemagne et dans le monde. La jeune femme est surtout connue dans les médias pour sa parole vive et franche. Une arme qu’elle n’hésite pas à utiliser contre les dirigeants de l’Allemagne qui se refusent encore à la fermeture des centrales de charbon et qu’elle accuse de ne pas respecter les Accords de Paris signés à New York en 2016 : « Si l’humanité veut limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, nous n’avons qu’un budget d’émission global de 380 gigatonnes de CO2. Si nous continuons comme ça, nous aurons utilisé ce budget en Allemagne dans neuf ans et demi. Malgré tout, M. Altmaier a l’intention de permettre aux centrales au charbon de fonctionner jusqu’en 2038. Cela n’est pas conforme à l’Accord de Paris ». Née en 1996, cette activiste de 23 ans n’en finit pas de s’engager dans des combats et des actions pour la protection de l’environnement et par conséquent, pour celle des générations futures.

Beaucoup de gens plus âgés, en particulier ceux aux positions de pouvoir, se sont installés dans la crise climatique. Cette crise est aussi un conflit de génération.

Lemonde.fr

3) Vanessa Nakate

Cette jeune ougandaise, engagée depuis 2018 dans la lutte contre le changement climatique et aussi la créatrice et fondatrice du mouvement Rise Up et de l’organisation Youth For Future Africa. Ses actions, portées par sa volonté de donner un avenir aux jeunes générations africaines, œuvrent pour la protection de la faune et de la flore africaine mais également dans le but de donner un accès à l’eau potable à toute la population. Principalement engagée dans la protection de la forêt tropicale du Congo, Vanessa Nakate est aujourd’hui célèbre sur les réseaux sociaux, devenus son seul tremplin pour son message. Mais dernièrement, elle fût aussi la victime de la censure du monde médiatique. En effet, étant pourtant présente lors du Forum de Davos ce 24 janvier 2020, son visage fût coupé et enlevé du cadre d’une photo officielle montrant des jeunes militantes blanches dont Greta Thunberg. Seule jeune ougandaise et africaine, Vanessa Nakate ne s’est pas laissée faire et a déclaré : « L’Afrique est le dernier émetteur de gaz à effet de serre. Mais nous sommes les plus touchés par la crise climatique. Que vous effaciez nos voix ne changera rien. Que vous effaciez notre histoire ne changera rien. Est-ce que ça veut dire que je n’ai pas de valeur en tant qu’activiste africaine ? Ou que les Africains n’ont pas du tout de valeur ? » ; suivi de près par un message à l’agence de presse dépositaire de la photo : « Mon message pour AP est que les activistes africains et les personnes de couleur ont besoin d’être respectés. Mais c’est valable pour tous les médias qui font ça, car personne ne s’élève contre ce genre de pratique. » d’après l’article du journal Le Monde.

4) Marie-Claire Graf

Jeune activiste, engagée pour le climat, Marie-Claire Graf est une figure reconnue en Suisse pour ses actions militantes. / News.un.org

Cette jeune femme, originaire de Suisse, est devenue dernièrement une figure centrale dans son pays, en Europe et dans le monde de par sa participation au Sommet des Nations Unies de New York le 21 septembre dernier. Pour cause, l’organisation avait invité près de 500 jeunes militant.es représentant chacun.e leur pays, leur nation et leur génération. Marie-Claire Graf était donc présente pour représenter la parole de la jeune génération suisse lors de cette Assemblée. « Pour moi, le message le plus urgent est de rappeler que nous faisons face à une catastrophe, une crise climatique. Nous allons donc accélérer les actions de mobilisation, très rapidement » explique-t-elle aux journalistes de l’ONU Info. Plus centralement en Suisse et depuis trois ans, ses actions sont construites de par l’importance qu’elle accorde à l’éducation des générations futures sur des sujets vitaux comme celui de la protection de l’environnement. Elle est aussi l’initiatrice du mouvement Friday For Future en Suisse, qu’elle nommera plutôt « Grève de l’école pour le climat ».

Nous ne pouvons pas continuer à faire passer le profit économique avant la santé de la planète et des gens. Il faut un changement substantiel de système et de mentalité. Un tournant radical ? Peut-être. Mais la destruction de la planète est aussi une chose radicale.

Swissinfo.ch

5) Malala Yousafzai

Malala Yousafzai avec sa médaille du Prix Nobel de la paix en 2014. / Philadelphia Inquirer.com

Avant celle de l’adolescente suédoise Greta Thunberg, la figure de Malala Yousafzai est sûrement la plus célèbre et la plus symbolique du combat des jeunes générations. Pour cause, cette jeune femme pakistanaise de 22 ans fût la première femme de son pays à remporter le Prix Nobel de la paix en octobre 2014 alors qu’elle n’est âgée seulement de 17 ans. Née à Mingora en 1997, Malala Yousafzai milite pour les droits des femmes et s’oppose à l’esclavagiste des talibans qui interdisent l’accès à l’éducation aux filles et ce, dès son plus jeune âge. Elle écrit pour la BBC à 12 ans et crée sa fondation éponyme à 15 ans pour reconstruire les écoles détruites par la guerre. Après une tentative d’assassinat le 9 octobre 2012, la jeune femme blessée est conduite en Angleterre où elle y est soignée et protégée. Cette acte des talibans lui construit un nom et transforme son visage en un symbole militant fort et courageux d’une manière internationale mais surtout à travers les réseaux sociaux. Aujourd’hui étudiante à l’université d’Oxford, Malala est considérée comme une véritable icône du mouvement pour la paix et pour les droits des femmes dans le monde. Elle continue également son combat contre la fabrication des armes chimiques au côté de l’institution internationale de l’Organisation pour l’interdiction des Armes Chimiques (OIAC) créée en 1997. Une année devenue elle aussi, symbolique.

6) Nojoud Ali

Alors âgée de 10 ans, Nojoud Ali milite contre le mariage forcé dans son pays. / Le Point.fr

Dans les pas de Malala Yousafzai pour les droits des femmes, nous retrouvons ceux de la jeune yéménite Nojoud Ali qui lutte et milite contre le mariage forcé. En effet, alors qu’elle vient de fêter ses 10 ans, la jeune fille est mariée de force par sa famille à un homme qu’elle ne connaît pas et décide de demander le divorce. Aidée de son avocate, Chadha Nasser, elle-même figure féministe et militante pour les droits des femmes, Nojoud réussit à obtenir son divorce et à devenir une figure et un symbole yéménite. Elle s’oppose radicalement aux traditions tribales de son pays, une société archaïque et patriarcale qui autorise le mariage forcé des jeunes filles à partir de 15 ans (Nojoud n’en avait que 10). En 2008, Nojoud Ali décide d’écrire, soutenue par la journaliste Delphine Inoui. En résulte un roman autobiographique de 188 pages dans lesquelles elle décrit son combat. Publié en 2009, ce livre est devenu aujourd’hui une preuve iconique de son courage qu’elle conserve et partage encore à 22 ans en tant que femme et étudiante en droit.

Quand je serai grande, je veux défendre les gens opprimés. Comme Chadha !

Le Figaro.fr

8) Emma Gonzalez

Emma Gonzalez rend hommage aux lycéen.nes de Parkland tué.es lors de la fusillade du 14 février 2018. / Information.tv5monde.com

Célèbre aux États-Unis pour son engagement contre la production et l’utilisation légale des armes à feu, Emma Gonzalez est connue comme étant une figure militante mais surtout comme une rescapée. En effet, la lycéenne réussit à sortir vivante de son établissement lors de la fusillade du 14 février 2018 dans son lycée de Parkland. Un mois après la tragédie, elle rend hommage à ses ami.es disparu.es à la tribune de Washington dans un discours percutant décrivant le massacre de la tuerie. Cette jeune américaine de 21 ans, devenue maintenant icône, avait déjà tenté d’interpeller la Maison blanche trois jours après l’attentat qui a tué 17 lycéen.nes : « Si le président me dit en face que c’est une terrible tragédie et qu’on ne peut rien y faire, je lui demanderai combien il a touché de la National Riffle Association (NRA). Moi, je le sais : 30 millions de dollars. (…) À tous les hommes politiques ayant reçu des dons de la NRA, honte à vous ! » d’après le journal TV5 Monde. Aujourd’hui, Emma Gonzalez et ses camarades ont créé un mouvement solidaire, March for our lives, dans le but de demander une plus grande régularisation des armes à feu. D’origine cubaine, la jeune militante n’en est pas à son premier combat puisqu’elle revendique également et ouvertement sa bisexualité dans une société qui peine à ouvrir son regard sur les différences. « J’ai 18 ans, je suis cubaine et bisexuelle. » marque le début de son discours à Washington comme celui de son statut de porte-parole.

Les portes-paroles des jeunes générations ne manquent pas dans le monde, et ils et elles ne s’appellent pas Greta Thunberg. Voici leur message :


Lina Godet

Groupes militants

Féminisme et extrême-droite, une équation possible ?

Elles ont été de tous les combats de l’extrême droite, de l’instauration du régime nazi aux campagnes présidentielles du Front national. Depuis plus d’un siècle, les femmes d’extrême droite concilient étonnamment le combat pour leurs idéaux politiques avec la traditionnelle figure de mère et d’épouse qu’elles mettent si souvent en avant.

Longtemps restées dans l’ombre des hommes, nombreuses sont les militantes qui désormais occupent au grand jour le terrain politique. Exemple emblématique, Marine Le Pen a bien failli devenir la première présidente de la République française. Preuve s’il en est que, même au sein de l’extrême droite, les discours sur la condition féminine évoluent… au point de converger avec le combat féministe ?

L’étonnante ambivalence des ultra-conservatrices

Féministe, mais pas trop

« La naissance des petits, mon divorce, cette période seule avec eux me rendit quasi “féministe”, tant il est vrai que les femmes ont vraiment du courage, que leur situation est souvent et objectivement bien plus difficile que celle des hommes. Les femmes sont en effet soumises à la “double peine” : un travail souvent prenant et une vie de famille à mener, le tout avec le sourire s’il vous plaît ! » En 2006, Marine Le Pen elle-même abordait le sujet de l’égalité des genres dans son autobiographie, lorsqu’elle évoque la période qui a suivi son divorce. Une problématique qui la préoccupe, mais pas au point de revendiquer une quelconque appartenance au féminisme. Car ce terme reste dans les strates de l’extrême droite un mot qui dérange.

Existe-t-il des féministes d’extrême droite ? Les partisanes ont longtemps adopté un discours hostile, en tout cas méfiant vis-à-vis des féministes, à l’instar de leurs homologues masculins. Néanmoins, le positionnement de certaines militantes semble avoir sensiblement évolué ces dernières années. Et pour cause : depuis l’obtention du droit de vote en 1944, et même s’il reste beaucoup à faire avant d’atteindre l’égalité femmes-hommes, la condition des femmes a considérablement progressé en Europe. Et les ultra-conservatrices ont bénéficié comme n’importe qui des acquis sociaux obtenus grâce à la mobilisation des féministes : droit au divorce, légalisation de l’avortement, accès facilité à la contraception, force est de constater que l’égalité présente tout de même quelques avantages.

Toutefois, une posture de défiance subsiste : « la plupart des membres du Front national n’ont de cesse de ringardiser les associations féministes et leur activisme “ hystérique ” , reprenant en ce sens les poncifs des discours sexistes. Il s’ensuit une dissociation entre l’amélioration des conditions de la femme dans la société et les luttes féministes qui les ont rendues possibles », explique Sylvain Crepon, spécialiste de l’extrême droite française. Un mépris très bien exprimé par cette partisane du FN en 2011 :



Oui sur l’égalité homme/femme, bien sûr que c’est important. Ça fait encore une fois partie des valeurs françaises. (…) Après ce qui est bien c’est qu’il ne faut pas qu’elle tombe dans le féminisme genre euh… je ne sais pas euh… genre : “ Ni putes ni soumises ” , voilà. Il faut être féministe intelligent.

Anonyme, citée par Sylvain Crepon

Paradoxalement, alors que l’extrême-droite défend une vision très conservatrice des femmes et de leur place dans la société, elle a souvent offert aux femmes un espace d’émancipation, les propulsant même jusqu’aux plus hautes marches du pouvoir. Comme l’explique Claude Lesselier, historienne spécialiste de l’histoire des femmes au XIXe et XXe siècles, « l’extrême droite appelle les femmes françaises, au nom de leur rôle dans la sphère privée et sans qu’elles négligent leurs tâches prioritaires, à s’engager activement dans un combat politique dont certaines figures féminines – la Vierge Marie, Jeanne d’Arc ou plus prosaïquement la femme-mère française menacée – constituent les symboles. »

Les milieux conservateurs, berceaux de l’antiféminisme

« Le féminisme encourage les femmes à quitter leur mari, à tuer leurs enfants, à pratiquer la sorcellerie, à détruire le capitalisme et à devenir lesbiennes. » C’est par ces mots que le politicien conservateur étasunien Pat Robertson alertait sur les dangers représentés par le féminisme. Contrairement aux apparences, cette formulation date de 1992 et non du début du siècle dernier. Même si elle peut prêter à sourire, elle est hélas révélatrice de la conception du féminisme qu’ont les milieux conservateurs.

Les mouvements féministes essuient depuis leurs prémices la critique acerbe d’adversaires venus de l’extrême droite. Le combat des suffragettes pour le droit de vote au début des années 1900 a été une cible privilégiée pour de nombreux groupes conservateurs, parmi lesquels Action française, mouvement nationaliste lancé en 1898 en pleine affaire Dreyfus. Henri Vaugeois, son fondateur, qualifiait le féminisme de « monstre de laideur et d’absurdité », « parisien, c’est-à-dire juif et métèque ». Par la suite, l’histoire a montré que chaque grande lutte féministe – pour le droit de vote, puis pour le droit à disposer de son corps, et plus récemment contre les violences sexuelles depuis #MeToo – se voyait accompagnée d’une récusation féroce de la part des antiféministes.

Mais que désigne-t-on exactement sous le terme « antiféminisme » ? Il s’agit d’un « contre mouvement de pensée et d’action qui s’oppose au féminisme » qu’analyse en détail Christine Bard dans son livre Antiféminisme et masculinisme d’hier et d’aujourd’hui (2019). Selon cette historienne, l’antiféminisme pré-existe au féminisme et non l’inverse. Un courant à distinguer de la simple misogynie ou du sexisme, qui « concernent toutes les personnes humaines définies comme “ femmes ”, [tandis que] l’antiféminisme ne concerne que les féministes » selon Diane Lamoureux, professeure en sciences politiques à l’université de Laval. L’antiféminisme est particulièrement prégnant dans les milieux conservateurs, dont l’extrême-droite, qui s’évertuent à dénoncer la « menace féministe« . Celle-ci mettrait en péril le modèle familial traditionnel, ferait dramatiquement chuter le nombre de naissances, et, pire que tout, effacerait toute différenciation entre les femmes et les hommes. Aussi ses détracteur·rice·s se sont-il·elle·s efforcés de tourner les militantes au ridicule : ainsi s’est construit l’archétype de la féministe hystérique, laide, frigide, une « mal baisée » haïssant les hommes, un moyen efficace de discréditer les mouvements féministes et ses représentantes.

Anti-suffrage postcard: My wife's joined the suffrage movement. (I've suffered ever since!)
Le combat des femmes pour le droit de vote s’est accompagné d’une farouche campagne de
discrétisation de la part des antiféministes, qui tournaient à la dérision les suffragettes dans
des caricatures virulentes, comme sur cette carte postale.

Par ailleurs, l‘adhésion de certaines femmes à l’antiféminisme ont toujours constitué un fort argument de légitimation pour ces groupes. Si les principales intéressées elles-mêmes le décrient, alors le féminisme est, quelque part, forcément en tort. Exemple sur le compte Twitter de l’essayiste Thérèse Hargot, proche des milieux chrétiens conservateurs, qui s’offusque d’une campagne d’affichage contre les violences faites aux femmes.

Extrême droite et féminisme semblent ainsi difficilement conciliables. Et pourtant, même si cela a de quoi surprendre, on retrouve aujourd’hui des revendications féministes dans la bouche de militant·e·s d’extrême-droite, prononcées plus ou moins du bout des lèvres.

Une nouvelle génération de militantes plus ouverte ?

Les positions de l’extrême droite vis-à-vis des droits des femmes ont indéniablement évolué depuis le siècle dernier. Pour beaucoup de militantes et d’élues frontistes, il n’est plus question de revenir sur la loi Veil, même si le remboursement de l’IVG continue de diviser. C’est d’autant plus vrai chez les nouvelles générations de militant·e·s, qui ont toujours vécu avec ces droits. Aussi Stéphanie Koca, qui à l’âge de 20 ans est devenue la plus jeune conseillère régionale du FN dans le Nord-Pas-de-Calais, donnait-elle en toute franchise son opinion sur l’épineuse question de l’IVG :

Je ne suis pas du tout contre l’avortement. Je pense que maintenant il y a beaucoup de moyens de contraception. Si ça arrive qu’on ne puisse pas garder un enfant, il vaut mieux avorter plutôt que l’enfant soit malheureux. (…) Jean-Marie Le Pen disait qu’il était contre. Mais pour ma part, maintenant je pense que c’est impossible d’être opposé à l’avortement.



Stéphanie Koca, ancienne conseillère régionale FN, citée par Sylvain Crepon

Étonnamment, on retrouve même des discussions féministes sur des forums néo-nazis tels que le site anglophone Stormfront.org sur lequel a enquêté la journaliste Lindsay Schrupp. Et si beaucoup de ces messages – signées par des femmes – relèvent d’un antiféminisme profond, d’autres paraissent presque revendicateurs.

27 % de femmes parmi l’électorat du FN

Preuve d’un indéniable changement de mœurs, c’est une femme qui a pris les rênes du Rassemblement National en 2011. Marine Le Pen fait même partie, avec Ségolène Royale, du cercle très fermé de celles qui ont failli devenir présidentes. Comment expliquer cette ascension dans un parti d’ordinaire peu enclin aux changements ?

Jean-Marie Le Pen entouré de Marine Le Pen et Bruno Gollnisch, tous deux candidat·e·s à sa succession, pendant le défilé du Front National en l’honneur de Jeanne d’Arc, le 1er mai 2010. Source : commons.wikimedia.org.

Comme l’a analysé la journaliste Aude Lorriaux pour Slate, le programme frontiste a ainsi fortement évolué depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti : lors de la campagne présidentielle de 2017 et pour la première fois dans l’histoire du RN, cette dernière se prononce ouvertement en faveur de l’égalité salariale et du travail des femmes. Une position aux antipodes de celle de Marie-Christine Arnautu, alors vice-présidente du FN en 2012 : « Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’on égalise les salaires alors que tant de gens sont au chômage ? » Un changement de cap pas aussi radical qu’il n’y paraît cependant, puisque Marine Le Pen veut toujours mettre en place des mesures incitatives – financières principalement – pour inciter les femmes à rester chez elles plutôt que de travailler, et remplacer le mariage gay instauré par la loi Taubira en 2013 par un PACS amélioré.

Cette prétendue adhésion au féminisme s’inscrit dans une volonté interne de dédiaboliser le parti, démarche enclenchée par Marine Le Pen lors de son arrivée à la tête du FN. Il est en effet stratégique pour le FN de s’adresser aux femmes et de les convaincre, puisque « il y a (…) là un réservoir de voix pour le FN, d’autant qu’elles s’inscrivent un peu plus que les hommes sur les listes électorales, et qu’elles sont aussi plus nombreuses que leurs congénères masculins (52%). »

À ces fins, présenter une candidate plutôt qu’un candidat à la course électorale constitue un argument pour conquérir un électorat plus jeune, plus féminin et sensiblement plus concerné par la question de l’égalité entre femmes et hommes. En effet, depuis que Marine Le Pen a succédé à Jean-Marie Le Pen, « le vote FN, jusqu’ici très masculin, s’est rééquilibré en attirant 20 % d’hommes contre 18 % de femmes. A l’intérieur de ce vote, 27% des électeurs sont des femmes, un chiffre en constante progression. » Même constat outre-Rhin, où le NPD allemand convainc de plus en plus d’électrices : « alors que, jusqu’à la fin des années 1990, bon nombre de militantes se contentaient de jouer les seconds rôles, la nouvelle génération tient à gravir les échelons du parti. Le NPD compte 30 % de militantes, 25 % en Basse-Saxe, et elles sont de plus en plus nombreuses. » Pour remporter le scrutins, il faut désormais s’adresser aux électrices en plus des électeurs.

C’est dans cette course aux voix qu’intervient le féminisme, ou plutôt le « quasi féminisme » évoqué dans son livre par la présidente du RN. Dans les discours de l’extrême-droite, la progression de la condition féminine devient une valeur inhérente à la civilisation judéo-chrétienne, oubliant dans un moment d’amnésie volontaire comment ces améliorations ont été acquises, c’est-à-dire après des années de luttes menées par ces féministes tant fustigées. « Le féminisme est une innovation chrétienne », tweete la journaliste Eugénie Bastié, en pleine lecture des écrits de l’essayiste Emmanuel Todd.

A contrario, droits des femmes et islam seraient totalement incompatibles. Le voile devient alors le symbole de l’oppression des femmes. Quand le FN a recours aux rhétoriques féministes, c’est pour s’attaquer sans détours à l’islam, ce que fait sans subtilités Marine Le Pen dans son programme de campagne : dans l’engagement n°9 intitulé « Défendre les droits des femmes », elle entend « lutter contre l’islamisme qui fait reculer leurs libertés fondamentales », « mettre en place un plan national pour l’égalité salariale femme/homme et lutter contre la précarité professionnelle et sociale ». Lorsqu’elles prétendent cautionner l’égalité femmes-hommes, les mouvances d’extrême droite ne défendent en réalité qu’un « féminisme nationaliste« , n’incluant qu’un modèle de femme blanche, cisgenre et hétérosexuelle, bien loin d’un discours inclusif s’adressant aux femmes dans leur diversité.

Agressions de la Saint-Sylvestre : le droit des femmes comme argument xénophobe

Le 31 décembre 2016, en pleine célébration de la Saint-Sylvestre, plusieurs milliers de femmes sont victimes d’agressions sexuelles dans plusieurs villes allemandes, et notamment à Cologne. Ces actes sont imputés pour la plupart à des hommes originaires d’Afrique du Nord, alors que le pays est en plein débat sur l’immigration. S’en suivent des manifestations à la fois féministes et d’extrême droite, qui tournent à l’affrontement. En France, Marine Le Pen réagira sur Twitter, puis dans une tribune publiée dans le journal L’Opinion : « Je repense à ces paroles de Simone de Beauvoir : N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question », et j’ai peur que la crise migratoire signe le début de la fin des droits des femmes. (…) Sur ce sujet comme sur les autres, les conséquences de la crise migratoire étaient pourtant prévisibles. »

Pour le Rassemblement National, ces agressions sexuelles constitueraient l’une des manifestations les plus directes du « danger » et de la menace représentée par les immigrés, tant redouté par l’extrême droite depuis des années. Denis Lesselier relève que « la mise en cause de l’identité nationale est représentée sous la forme de la destruction de l’ordre familial et sexuel, avec les images du viol (vol) des femmes, de l’intrusion de l’étranger dans le foyer domestique, des « perversions » sexuelles et de la « souillure’ ou de la maladie. » Jean-Marie Le Pen recourrait bien volontiers à cette figure dans sa rhétorique : « demain, les immigrés s’installeront chez vous, mangeront votre soupe et coucheront avec votre femme, votre fille et votre fils. » Un discours finalement très similaire à celui de sa successeuse de fille, qui toutefois prend grand soin de policer le message.

Le cas des agressions de Cologne se révèle symptomatique de ce féminisme de façade, affiché par les mouvements d’extrême droite et réutilisé en permanence pour défendre leur programme nationaliste et anti-immigration. Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter féministes Les Glorieuses, réagit à la tribune de Marine Le Pen : « utiliser la « crise migratoire » pour justifier les violences faites aux femmes c’est oublier volontairement les 84,000 femmes qui sont chaque année victimes de viol ou de tentatives de viol et les 20,4% des femmes qui ont subi une violence sexuelle (attouchements, tentatives de rapport forcé ou rapport forcés) au cours de leur vie. »

Alors que s’opère une montée de l’extrême droite partout en Europe, le féminisme devient pour ces partis un argument électoral, un choix en apparence incongru étant donné l’ancrage du féminisme comme une valeur de la gauche. L’égalité entre femmes et hommes a été très médiatisée ces dix dernières années ; toutes les strates de la société sont concernées et les politiques ne peuvent plus faire l’impasse dessus. Par ailleurs, le féminisme défendant souvent une alliance de toutes les minorités – raciales et sexuelles notamment – contre un même système de domination occidental, blanc et patriarcal, le discours de l’extrême droite, alliant droit des femmes et xénophobie, semble on ne peut plus contradictoire.


Solène Marteau