« Black is king » quand le Noir est roi…
Le film « Black Is King » réalisé et produit par Queen B ne fait pas l’unanimité. Décryptage de cet album visuel comptant une trentaine de musiques entremêlées de clips, interludes, dialogues ou encore anecdotes… Projet engagé ou purement marketing ?
Beyoncé prêtait sa voix pour le personnage de Nala dans la bande originale du Roi Lion en 2019. S’inspirant de ce film, elle sort, la même année, l’album The Lion King : The Gift. Le 31 juillet 2020, le film Black is King vient compléter cet album. Produit par Beyoncé elle-même, l’histoire retrace la vie de Simba, représenté par un jeune roi africain qui se lance dans un voyage à la découverte de son identité. Il sera guidé par ses ancêtres pour retrouver son trône. Dans une interview, Beyoncé explique les intentions de son projet. Son album sublime la culture noire et le retour aux racines africaines.
« La narration se déploie à travers des vidéos musicales, la mode, la danse, des cadres naturels magnifiques et de tous nouveaux talents. C’était vraiment un voyage pour amener ce film à la vie… Mon espoir pour ce film, c’est de changer la perception globale du mot « noir ». Black is king veut dire que le noir est majestueux et riche historiquement, dans son but et sa lignée … »
Réalisé avant la pandémie et en plein contexte du mouvement #BlackLivesMatter, on peut se demander si son film n’est pas une simple opportunité commerciale. En effet, suite à la diffusion de celui-ci sur Disney+, les avis sont mitigés. Certains internautes et africains critiquent son projet sur la toile. Son film est jugé trop « capitaliste », « wakandiste« (en référence au pays imaginaire Wakanda dans Black Panther). Queen B, d’origine haïtienne, est accusée de se réapproprier la culture noire africaine et d’en faire une représentation simplifiée. Certains lui reprochent de reconduire les stéréotypes de l’africain en tant qu’homme sauvage et non moderne (et sur cette question, vous pouvez lire l’article sur l’appropriation culturelle en haute couture qui questionne les représentations de cultures spoliées dans la mode).
Je pense que c’est nul. J’en ai marre de voir que des costumes en peau d’animaux dépeignent l’Afrique. C’est tout ce que j’y ai vu. Ce n’est pas comme ça qu’on s’habille pour l’amour de Dieu… Grimper dans les arbres, etc. Je pense que c’est ainsi que le monde occidental aime imaginer l’Afrique. Donc, c’est pour leur consommation, pas pour la nôtre.
And the winner is …
Elle a pu clouer le bec à certains, lors des Grammy Awards en mars 2021. Non seulement, elle reçoit neuf nominations pour son album visuel Black Is King, mais elle devient également l’artiste féminine la plus récompensée de l’histoire des Grammy. Elle bat le record des trophées en obtenant 28 victoires, avec 79 nominations dans toute sa carrière. Et ce n’est pas tout! Elle est récompensée pour la meilleure vidéo musicale dans le clip Brown Skin Girl et pour la meilleure performance RnB avec son titre Black Parade, deux titres tirés de Black is King.
Alors, vous l’aurez compris, il n’y a sûrement pas que des aspects négatifs dans ce film, qui mérite d’être visionné. Nous l’avons décrypté pour vous (Attention spoiler !).
Une œuvre visuelle époustouflante
Tout au long du film, les yeux du spectateur en prennent plein la vue. On assiste pendant une heure quarante à une explosion de couleurs. Le film, très esthétique, est riche en images. On remarque notamment l’utilisation de VHS pour certaines séquences. Les décors sont variés, grandioses et attrayants. On voyage au rythme du jeune roi. Les costumes, en parfaite harmonie avec les décors, subliment les scènes (Aperçu). Ils sont majoritairement réalisés par le créateur Alon Livné, ayant conçu des pièces pour Lady Gaga. Beyoncé porte également des marques comme Burberry ou encore Christian Louboutin. Ses innombrables costumes la font passer de reine à business woman, de mère à servante… L’apparition brève des artistes africains comparée à l’omniprésence de Beyoncé, pose problème. On en oublie même Simba, pourtant personnage principal du film ! On retrouve ici le caractère « marketing » et « show off » qui prend le dessus sur le scénario.
Un tournage mondial
Black Is King met en avant les terres et la beauté naturelle du continent Africain. Les pays tels que l’Afrique du sud, le Nigeria, le Ghana sont exposés. Le tournage mondial s’est poursuivi en Amérique et en Europe. On aperçoit des déserts, des mers, des rivières, des chutes d’eau grandioses, des forêts… en un mot, des paysages idylliques. L’hétérogénéité et la richesse des reliefs font voyager le spectateur et rendent le film époustouflant. Découvrez les lieux de tournage plus en détails avec cette map.
Des sonorités hybrides
Musicalement, le mélange de musiques traditionnelles africaines et modernes ajoutent aux images des sonorités captivantes. On retrouve de nombreux styles musicaux: R & B, Rap, Gospel, Pop, musique classique, chant a capella, Dancehall, etc…et surtout de l’Afrobeat ! Ce genre musical popularisé par le nigérian Fela Kuti dans les années 70, est un franc succès. Utilisé notamment par des artistes comme Justin Bieber, Drake ou encore DJ Khaled, il marque les hits depuis quelques années. Beyoncé est allée chercher des experts en la matière, en mettant à l’honneur les artistes internationaux Wizkid, Burna Boy, Tiwa Savage, Shatta Wale… Pour les chants traditionnels et la musique Mandingue (griots), on retrouve la sublime voix de la malienne Oumou Sangaré.
Beyoncé met en lumière les artistes noirs de plusieurs continents : acteurs, danseurs locaux, chanteurs africains ou ayant des origines africaines. Parmi les plus connus, Pharrell Williams, les rappeurs Kendrick Lamar, Tierra Whack, Jay-Z et Childish Gambino sont de la partie.
Black power ou Black worship?
Dans le clip Brown Skin girl, une petite fille en robe de princesse arrive dans une pièce royale. Des femmes et des hommes noirs vêtus de costumes du moyen âge, marchent comme des rois. De même, de nombreuses familles africaines en habits traditionnels défilent avec assurance et grâce dans le clip Mood 4 Eva. Le film tient également à valoriser la multiplicité des types de peaux noires, de foncées à moins foncées, jusqu’à albinos. La peau noire se révèle belle, puissante, admirable. Cette représentation moderne rejoue implicitement les logiques colonialistes. Le but est de rehausser la peau noire à une position aussi importante et légitime que la peau blanche. Le message est implicitement le suivant : Si nous sommes rois, pouvons-nous tolérer le racisme auquel sont confrontés les Noirs dans le monde?
Dans la scène jouée dans le domaine de Beverley, une femme noire joue du violon, des chorégraphes noires font de la natation synchronisée alors que c’est un sport pratiqué majoritairement par des blancs. Les rapports de domination sont inversés, un homme blanc lave les dents du prince, un autre tient sa serviette et le sert… Cette représentation est paradoxale car Beyoncé rejoue l’impérialisme qu’elle est en train de dénoncer! Le passé d’exploitation des noirs justifie-t-il l’adoration à leur égard ? Il est important de souligner un autre point fâcheux. Dans un article du magazine Essence, l’écrivaine, Judicaelle Irakoze, féministe afro-politique, condamne le Black whorship qui revendique une royauté noire :
Cette mise en valeur de l’excellence noire est donc limitée. On a l’impression que la personne noire doit être incroyable, extraordinaire, forte et surtout riche pour avoir le droit à la reconnaissance.
Un clin d’œil féminin
La femme est valorisée et mise sur un piédestal. Le dialogue suivant, tiré du film, attribue une importance aux femmes « Souvent, ce sont les femmes qui nous reconstruisent. J’ai appris des hommes, mais beaucoup plus des femmes« . Les clips les plus parlants sont « My Power » et « Brown skin girl » avec des artistes féminines et des célébrités comme les mannequins Adut Akech et Naomi Campbell, la chanteuse Kelly Rowland et l’actrice Lupita Nyong’o.
Recherche d’identité
Le film est rythmé par des dialogues et des messages d’encouragements. Ces messages ont pour vocation de guider le jeune roi.
Beyoncé s’adresse également au public, à la petite fille et au petit garçon noirs qui regardent le film. Elle les amène à ne pas avoir honte de leur couleur de peau et à être fier de leur origine noire. Assumer et connaître sa valeur en tant que personne noire, c’est le mot d’ordre de l’album visuel.
A plusieurs reprises, le film fait allusion à l’importance des ancêtres. Souleymane Bachir Diagne (philosophe sénégalais) explique qu’il y a un dénominateur commun des religions africaines attribuant une place spéciale aux ancêtres, le ancestor worship. Il y a cette idée que les ancêtres continuent d’agir pour le bénéfice de la communauté pourvu que l’on se souvienne d’eux. Dans ce film, il y une sorte de rationalisation du mythe qui vient relier toutes les communautés africaines. On retrouve cette même idée dans le Marvel Black Panther. Le concept d’afrofuturisme, qui vise à penser et réinventer le futur des afro-américains semble évident dans Black is king. Le journaliste Vladimir Cagnolari nous explique ce concept plus en détail (écouter). Durant tout le film, le jeune roi recherche ses racines et son identité. Finalement, l’album visuel n’est-t-il pas destiné au peuple afro-américain arraché à l’Afrique et coupé de ses racines ?
Qui es-tu ?
Je sais exactement qui je suis ! La question est, qui es-tu toi ?
Je suis personne, alors laisse-moi tranquille, d’accord !
Tout le monde est quelqu’un, même s’il n’est personne !
Oh, je crois que tu es confus !
Moi confus ? Tu ne sais même pas qui tu es ?
Oh et je suppose que toi, si ?
Suis-moi, je vais te montrer !
Y voir plus noir ?
Pour répondre à la question « projet engagé ou marketing? », nous dirions oui et non. L’attrait commercial se ressent par l’ampleur des moyens mis en œuvre, tant au niveau des scènes internationales, qu’avec la haute couture, et la participation massive de célébrités et de figurants. Le « m’as-tu vu ? » prime dans ce film qui projette la lumière sur les stars. Il est regrettable que des personnes militantes manquent à l’appel. La présentation en tant que film par Beyoncé pour Disney +, n’a pas joué en faveur de l’hommage qu’elle a voulu rendre à la communauté noire. Beyoncé est indéniablement une artiste engagée pour la cause des personnes de couleur avec lesquelles elle s’associe. En 2016, dans son album Lemonade, Beyoncé faisait allusion au mouvement « Black Lives Matter » en énonçant des militants tel que Marthin Luther king et en dénonçant les violences policières envers la communauté noire. Dans le clip « Formation » tiré du même album, la star coiffée d’un afro mettait déjà en lumière son ethnicité et l’héritage africain dont elle est issue. En juillet 2020, elle a fait don d’un million de dollars à des entrepreneurs noirs. Quelques mois après, Black is King vient confirmer le message qu’elle veut délivrer aux générations futures : le noir est Roi, au même titre que le blanc et ne doit plus être esclave. Il doit reconnaître sa valeur, s’affirmer et avancer avec fierté, sans courber l’échine, en dépit des blessures du passé. Ne serait-ce pas la pensée principale à retenir ?
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