Quand la voix définit la sexualité… ou pas !

La voix peut-elle donner une indication sur l’orientation sexuelle ?La réalité est bien plus complexe et une voix ne suffit pas à définir qui l’on est ni qui l’on désire sexuellement. On est partis sur les traces de David Thorpe, militant américain basé à Brooklyn, et son film Do I Sound Gay ? afin de vous décrypter tout ça !

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Le stéréotype voudrait qu’une personne parlant bas, à l’intonation peu claire et au ton hésitant ait plus de chance d’être réservée voire introvertie. Dans le cas inverse, le cliché voudrait aussi qu’une femme qui parle fort, distinctement et de façon extravertie soit sûre d’elle, or cette manière d’agir peut tout à fait démontrer un grand manque de confiance qu’elle chercherait à cacher.
Voilà deux exemples poignants pour faire écho à tous ces stéréotypes liés à une voix soi-disant « caractéristique d’une orientation sexuelle ». Ainsi, au même titre qu’une voix ne définit pas la personnalité d’une personne, elle ne positionne pas non plus son orientation sexuelle.

Une voix qui renverrait une certaine image de notre orientation sexuelle selon des critères stéréotypés, ça vous parle non ? C’est le principe du « gay-dar », la faculté supposée des homosexuels pour se reconnaître grâce à des indices subtils. Le bilan est sans appel : les individus attribuent une orientation sexuelle toute particulière aux hommes en fonction de leur intonation ou leur timbre.

Etudes

En 1999, la chercheuse Elizabeth A. Strand a démontré que la perception de la parole n’est pas seulement influencée par les attributs physiques du son mais aussi par les stéréotypes de genre. C’est donc toute la question de genre qui est ici à repenser. Ce qui persiste, c’est cette idée que le genre est divisé en une binarité exagérée et fixe, c’est vouloir à tout prix déterminer à quel genre appartient une personne, si c’est une femme ou un homme. Nous parlons d’ailleurs plus amplement de cette notion de voix et de genre dans l’article La voix du genre. L’orientation sexuelle découle alors de cette association : si un homme a une voix qui se rapproche de celle dite d’une femme, c’est qu’il est forcément homosexuel… FAUX !

To sound gay ?

Le journaliste et militant américain David Thorpe a tenté de répondre à ces aprioris et de mettre un terme aux clichés entourant les individus qui ont des cordes vocales dites « féminines ».

Dans son court-métrage Do I sound Gay ?, financé grâce à plus de 120 000 dollars sur la plateforme de crownfunding Kickstarter, l’humour est de mise pour saisir en quoi une intonation particulière qualifierait la voix de certains membres de la communauté homosexuelle masculine. C’est tout d’abord une exploration de sa propre voix qu’il perçoit comme « nasillarde » et « indésirable », et qui selon lui, a influé sur de nombreux aspects de sa vie, comme sa confiance en lui, sa réussite professionnelle ou ses relations amoureuses.
Sorti en 2015 après trois années de tournage, ce film – sous la forme d’une enquête – donne à réfléchir : David Thorpe y interroge 165 personnes issus de quatre pays différents, quelle que soit leur orientation sexuelle. Il s’est ainsi rapproché d’orthophonistes, de linguistiques, mais aussi de passants dans la rue, de ses proches et de célébrités comme le militant Dan Savage ou encore l’humoriste Margaret Cho.

Persécutions

Quelque soit leur sexualité, les personnes interrogées craignaient d’être cataloguées en fonction de leur voix, que celle-ci les accuse d’un comportement taxé de « mauvais » et honteux par la société. Même si notre monde et nos sociétés évoluent, le cliché de l’homme gay très minaudier, avec une voix haut perchée perdure. Mais existe-t-il vraiment une « voix gay » ? La réponse est non : un homme avec une intonation ou une voix que l’on peut appeler efféminée n’est pas nécessairement gay. Selon l’enquête de David Thorpe, c’est même une véritable source d’angoisse, que ce soit de la part des homosexuels mais aussi des hétérosexuels. Craindre d’avoir une « voix de gay », d’avoir « l’air gay ». Certains ont même tenté de modifier leur voix et leurs intonations afin de la rendre plus grave, plus « masculine » : on en parle d’ailleurs dans l’article Changer de voix . Mais pourquoi cela serait-t-il une honte ? Pourquoi serait-ce vu comme une insulte ?

Ce documentaire, en plus d’interroger quelle est l’association qui se fait entre voix aiguë et homosexualité, aborde un souci plus profond : le harcèlement et la honte subis par les individus concernés. Le constat est limpide : quand la voix ne correspond pas aux standards de la masculinité voire même de la virilité, quand elle est jugée trop maniérée, cela peut engendrer un rejet de sa propre identité et un mal-être dont il peut être dur de se délester. C’est ce qu’on appelle « l’homophobie intériorisée », soit les attitudes négatives que les individus LGBT portent sur eux du fait de leurs orientations sexuelles : ils n’aiment alors ni paraître « féminin », ni sembler « homosexuels ». Autrement dit, ces personnes ont intériorisé et fini par accepter ou croire aux propos homophobes imposés par la société.

Le film va même plus loin en traitant d’identités croisées et de racisme intériorisé, notamment avec Margaret Cho. D’origine coréenne, cette dernière raconte comment ses parents ont travaillé d’arrache-pied pour parler l’anglais à la perfection, avec le moins d’accent possible, afin d’être perçus comme de « vrais Américains ». C’est aussi le cas pour le journaliste noir de CNN, Don Lemon, qui explique comment il a transformé son accent du Sud afin de pouvoir prospérer à la télévision.

« Quand on fait son coming-out, il faut se débarrasser de ses propres préjugés que la société nous a inculqués: qu’être gay, c’est mal. La voix est l’essence de ce qu’on est, l’expression de notre âme, ça peut être la chose la plus difficile sur laquelle il faut lâcher prise. Chaque fois qu’on parle, on est potentiellement en train de dire “je suis gay”.» David Thorpe

C’est donc des années de conditionnement qu’il faut balayer pour comprendre qu’avoir une voix dite « efféminée » n’est pas mauvais, selon d’humoriste David Sedaris.

« Il n’y a rien de mal à être gay, de même qu’il n’y a rien de mal à parler d’une façon « gay » ». David Sedaris

Le court-métrage de David Thorpe prône l’amour et l’acceptation de soi, qu’importe son orientation sexuelle et les inflexions de sa voix. Enfermer les individus dans des cases, les étiqueter en fonction de critères complètement subjectifs tels que la voix, c’est oublier que les êtres humains ne sont pas binaires et peuvent être pluriels. C’est également omettre que l’orientation sexuelle ne s’arrête pas à l’hétérosexualité et à l’homosexualité : il existe des bisexuels, des pansexuels (ou omisexuels), des asexuels ou encore des skoliosexuels pour ne citer qu’eux.

Voix lesbienne?

Et quand est-il des lesbiennes ? Ce documentaire a soulevé d’autres interrogations, et a inspiré Taylor Barrett qui a mis en place un test sous la forme d’un micro-trottoir. Le principe ? Demander à cinq femmes de répéter des phrases tendancieuses comme « Je ne ressemble pas à Justin Bieber » devant des passants, féminins ou masculins, qui devaient ensuite dire laquelle d’entre elles est lesbienne.

Le résultat en images…

https://www.youtube.com/watch?time_continue=153&v=gEQM6RynSkE

Ainsi, rien d’offensant ni d’honteux dans le fait d’avoir une voix « féminine » pour un homme, ou « masculine pour une femme ». Ici, David Thorpe déstigmatise le terme même de « voix gay » : elle n’existe pas. À la fin de son film, il affirme haut et fort qu’il est maintenant à l’aise avec « l’homosexualité » de sa voix. Ce n’est donc pas aux individus de modifier leur voix pour qu’elle soit conforme aux attentes de la société, mais plutôt à nous tous de changer la définition même de « normalité ».

Concluons avec les paroles de Tim Gunn, animateur de Project Runway interviewé par Thorpe : « Maintenant, quand les gens disent « Vous avez l’air gay », je me tourne simplement vers eux et je leur dis « Merci! » ».

[ssba]