À chaque genre sa voix : entre médiatisation et stéréotype

Où en est-on aujourd’hui ? La légitimité d’une personne à évoluer dans son milieu médiatique est-elle encore amoindrie par sa voix ? Depuis de nombreuses années, la voix est médiatisée et conduit à de la critique. En cherchant dans le milieu sportif et celui de la musique, je me suis aperçue que la voix était un outil de genre et de jugement envers les personnes médiatisées, mais y a-t-il eu une évolution ou sommes-nous, encore aujourd’hui, au même stade que des décennies auparavant ?

Dans le sport

Dans le sport, et plus particulièrement en ce qui concerne les commentateurs de football, la femme est souvent dénigrée de part sa voix dite trop aiguë.

En octobre 2018, Denis Balbir, journaliste et commentateur sportif spécialisé dans le football, disait « commenter le foot masculin par une femme, moi je suis contre […], elle va monter dans les aigus », pour lui les femmes ne seraient aptes à commenter le football masculin puisqu’elles n’auraient pas le timbre de voix qu’il faut. Pour Denis Balbir, les femmes auraient donc obligatoirement une voix aigüe, cependant, Aron Arold, docteur en science du langage dit à ce sujet, que c’est une moyenne et que certaines femmes « ont des voix plus graves que certains hommes et des hommes qui ont des voix plus aiguës que certaines femmes ».

En France, une seule femme commente les matchs de football, il s’agit de Candice Rolland, journaliste et commentatrice pour L’Équipe. Si elle n’a pas souhaité polémiquer là-dessus, elle répondra toutefois avec humour dans un tweet « H-1 avant Bosnie-Irlande du Nord sur la @lachainelequipe, c’est l’heure de ma piqûre d’hormones ! #voixgrave ».

Dans un article pour Rue89, Émilie Brouze explique que la clarté, ou non, de la voix correspond au timbre tandis que lorsqu’on dit d’une voix qu’elle est aigüe ou grave, on parle de la hauteur de la voix. Ce timbre de voix est ce à quoi se réfèrent les personnes pour dire qu’une voix appartient à une femme ou à un homme. Aux filles les voix aiguës et « claires », aux garçons les voix graves et « sombres ». Or, cette assignation conduit à du stéréotype et ne laisse pas place à la différence.

Les voix graves seraient d’ailleurs un marqueur de compétence, de force et d’honnêteté. En 2015, une étude de l’Université Duke et de l’Université de Miami a montré que, lors d’élections, les citoyens étaient plus enclins à faire confiance aux voix graves et dites « viriles ».

Pour en savoir plus, je vous invite a consulter l’article « Changer sa voix, c’est possible? »

Dans la musique

Mais le sport n’est pas le seul milieu où la voix peut être un frein. En musique, on retrouve souvent cette même binarité, et on assimile facilement une voix aiguë à une voix de femme. Prenons l’exemple de Jimmy Scott, célèbre chanteur de jazz, qui a plu pour sa voix douce, dite enfantine et féminine par le public. Même si c’est cette voix qui a fait de lui un chanteur apprécié, cela n’a pas empêché le public de le considérer comme un monstre de foire pour la même raison. Dans des sociétés occidentales, la conception du genre est bien souvent binaire, il n’y que deux voix possibles : les voix féminines et les voix masculines. Malheureusement, lorsqu’un homme possède une voix dite féminine, par exemple, on considère qu’il s’agit d’une voix androgyne, tout simplement parce que cette vision binaire du genre ne permet pas la diversité des voix.

Jimmy Scott – Unchained Malody

D’ailleurs, ce ne sera pas la dernière fois qu’un artiste aura cette image de monstre de foire puisque quelques années plus tard Conchita Wurst en fera également les frais. De par son apparence volontairement non genrée et sa voix « féminine », Thomas Neuwirth sera vu comme une femme à barbe, ce que l’on qualifiait de monstrueux à l’époque des foires.
« Est-ce une femme ? Est-ce un homme ? », voilà sont les questions auxquelles l’artiste a été confronté après sa victoire à l’Eurovision, ce qui prouve cette volonté de vouloir ranger tout le monde dans une case genrée.

Ces normes de genre sont intégrées dès le plus jeune âge. En effet, des études montrent que dès l’âge de 4 ans, garçons et filles se conforment à ces normes en modulant leur voix, pourtant il n’y a aucune différence au niveau de l’anatomie phonatoire chez les jeunes enfants. Ces normes de genre sont donc ancrées en nous sans même qu’on s’en aperçoive ou qu’on le veuille.

L’émission « La voix dans tout ses états (3/5) : Voix et genre » de France Culture est d’ailleurs très interessante et permet de prendre conscience qu’il existe d’autres voix que celles dites féminine et masculine, et que la voix ne caractérise en rien le genre.

[ssba]

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