Ta voix, tes origines ?

 

Au téléphone, à la radio, l’imaginaire joue sur notre perception de l’individu. À travers la voix, il questionne un physique, un genre, une histoire.

 

La voix est une caractéristique propre à chacun.e permettant, par le biais de codes sociaux, une identification instantanée au téléphone, à la radio, etc.  Outil de communication essentielle et omniprésente, la voix est également rattachée à un imaginaire chargé de stéréotypes.

Le cadre médiatique et publicitaire impose une certaine standardisation. La diversité des voix est alors effacée au profit d’une certaine unification.  Les accents tendent à orienter cet imaginaire, et sont sources de polémiques dans le milieu de l’audiovisuel.

Dans ce secteur, les personnes sont sujettes à différents types de discriminations, notamment liées à l’ethnicisation et la racisation de la voix.

La science en parle

Ces assignations, présentes sous plusieurs formes, ont ouvert un champ de recherches à ce sujet. Le média britannique io9 révèle des études menées à ce sujet par le NCBI à travers son article  Do people of different races have different voices ? Les premières études sur les 120 sujets étudiés, comprenant des personnes noires et blanches n’ont pas révélé de différences significatives quant à l’ensemble du système vocal. Scientifiquement infondée, la racisation de la voix est cependant imbriquée d’une histoire post-colonialiste, et présente de différentes manières.

Le timbre de voix, l’accent, et d’autres paramètres sont fortement discriminants dans les domaines professionnels.  Parmi eux, le secteur de l’audiovisuel, contraint à un ensemble de standardisations (sexe, genre, physique, voix) en est fortement représentatif.

 

 

 

Radio et plateau télévisé : un point sur l’accent

Lorsqu’il s’éloigne de certains codes, l’accent est source de discriminations. Il peut être perçu comme une « menace identitaire », notamment par la sphère médiatique parisienne, comme le présente l’article de Slate.

À RFI, pendant un stage, un journaliste africain m’a clairement conseillé de moins faire entendre mon accent si je voulais me faire une place en présentation. Fabrice Wuimo, journaliste Camerounais

Ce rejet, issu de la normalisation linguistique, entraine un certain nombre de refus sur des postes d’interwieveur.euse, de présentateur.trice, ou de journaliste. La glottophobie, concept introduit par le sociolinguiste Philippe Blanchet, traite de la discrimination et de la manière de s’exprimer. Il relate dans une interview sur le média de l’Express, de cette illégitimité sociale fortement présente en France :

Car la manière dont vous parlez est un attribut de votre personne, au même titre que votre nationalité ou votre sexe. Rejeter votre manière de parler, c'est donc rejeter votre personne même. C'est pourquoi, dans mon livre, je préfère parler de glottophobie que de discrimination linguistique. Cela permet d'établir un parallèle avec la xénophobie ou l'homophobie, de faire comprendre que c'est un droit de l'homme qui est bafoué. Quand on traite les individus différemment selon leur manière de parler, ce sont les êtres humains que l'on discrimine. Philippe Blanchet, sociolinguiste

Bien que certaines personnes réussissent à percer, en région ou dans le sport, les postes de médias restent fermés à une diversité linguistique.

Ponctuation contrôlée, timbre de voix travaillé, l’accent fait partie des critères de sélection dans le domaine médiatique avant même de passer les concours d’entrées aux écoles. Ce paramètre, non pris en compte comme facteur de discrimination par le CSA, est cependant un frein à une représentation diversifiée dans les médias nationaux comme internationaux.  Dans le secteur de l’audiovisuel, la voix reste le « lieu de l’hégémonie du français standard », comme le souligne la journaliste Margaux Lacroux dans l’article de Slate.

 

Le cinéma à l’épreuve des représentations

L’accent, les textures et hauteurs de voix sont des facteurs qui par le biais d’idéologies sont liés à des représentations ethniques. Au cinéma il existe, comme à la radio ou à la télévision, une hégémonie linguistique comprenant plusieurs critères comme le relate Gaëlle Planchenault, spécialisée en recherches linguistiques et cinématographiques.

Les voix codées se réfèrent à un ensemble de caractéristiques classifiées, ce qui engendre une stigmatisation de celles-ci, chez les acteur.trice.s comme les doubleur.se.s.

Au sein de la production cinématographique, le doublage est un métier où persiste des préjugés catégorisant les personnes en fonction de leur couleur de peau. Une personne noire ne serait donc pas autorisée, légitime à doubler la voix d’une personne blanche.

Elle peut également être amenée à devoir à imiter des voix correspondant à des stéréotypes ethniques, ancrés dans l’imaginaire collectif du cinéma français. Or, comme dans tout pays, continent, il existe une multitude d’accents et de manière de parler. Jacques Martial doubleur d’acteurs (principalement noirs) dénonçait ces inégalités raciales en 1998 dans le documentaire Noirs de France.

Jouer un Noir, j’ai dû apprendre à le faire, j’ai dû apprendre à jouer le Noir, ne me demandez pas comment on fait, je ne sais pas, mais apparemment j’arrivais à convaincre. Jacques Martial, doubleur

Cette problématique est également relevée en 2009 par l’actrice Yasmine Modestine en raison d’une discrimination sur un tournage. Les personnes blanches ne seraient pas sujettes à ce genre d’inégalités puisqu’elles sont censées avoir une voix universelle, qui permettrait de doubler n’importe quelle voix.

Il faut savoir que dans le doublage, “les comédiens noirs ont des voix graves de Noirs” et les comédiens asiatiques ont une “voix aigüe d’asiatique”. Les comédiens blancs, eux, ont la chance d’avoir une tessiture suffisamment étendue qui permet de doubler et les Noirs et les asiatiques et les Blancs. Cette croyance est telle qu’il n’est pas rare d’entendre une comédienne blanche affirmer qu’elle a “une voix de Noire” sans penser être raciste ; au contraire, elle double des Noires. Yasmine Modestine, comédienne
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La Haine - Mathieu Kassovitz (1995)

 

Un imaginaire cinématographie est créé autour de la voix. Les voix dites « de couleur », doivent correspondre à une catégorisation mise en place par le biais de la communauté blanche. La voix au cinéma est également assignée de manière sociale. On remarque dans certaines productions, que le critère ethnique et souvent relié au statut social.  Par exemple dans les films de banlieue, jeunes de cités possédant un langage propre à l’argot de rue, on peut le retrouver dans la Haine.  Elle varie également en fonction du genre. L’homme noir doit incarner une voix virile, forte, tandis que la femme une voix sensuelle, ou celle d’une mère autoritaire, avec un accent prononcé, etc.

Amandine Gay, réalisatrice met le doigt sur cette problématique à travers des témoignages d’actrice dans son documentaire :

La voix est un marqueur social puissant au sein de nos sociétés. Il s’avère difficile d’échapper à la stigmatisation vocale en raison des représentations idéologiques ancrées encore aujourd’hui dans le milieu de l’audiovisuel. Soucieux.euses de progresser dans ces environnements normalisés, les professionnels de couleur, ou aux accents « prononcés » tentent de jongler entre des représentations qu’on leur assigne et une volonté d’émancipation linguistique, loin du langage institutionnalisé.

[ssba]

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