Ping pong, la botte secrète de la Chine

Quand on pense au tennis de table, on s’imagine mal un puissant ressort politique. Et pourtant, ce sport anecdotique aura été érigé en véritable arme diplomatique par le gouvernement Chinois pendant des décennies. Ou comment une petite balle blanche va changer la face du monde…

La Chine a toujours excellé en matière de diplomatie, et ce, grâce à une formidable inventivité. Dèsl’époque impériale, la Chine avait par exemple pour habitude d’offrir des couples de pandas géants en guise d’amitié. Cette stratégie sera d’ailleurs remise au goût du jour par Mao à partir de son arrivée au pouvoir en 1949. Du panda au ping pong, il n’y a qu’un pas !

L’histoire de la diplomatie du Ping Pong commence au début des années 70. A cette époque, la Chine est loin d’être la puissance mondiale que l’on connaît aujourd’hui. Malgré sa profonde allégeance à l’URSS, et en pleine guerre froide, le régime de Mao Zedong va s’intéresser de près au sport comme un outil de soft power, afin de retrouver une marge de manœuvre diplomatique.

Une invention anglaise, un perfectionnement chinois

Et c’est en effet le ping pong qui va être choisi !
Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sport est loin d’être originaire de Chine, ou même d’Asie. Ce sont en fait les anglais, dès la fin du 19 ème siècle qui vont poser les bases du tennis de table. En se servant de raquettes de fortunes (de simples boîtes de cigares), d’un bouchon de champagne en guise de balle, et d’une table en bois. Les nobles de l’époque avaient ainsi la possibilité de recréer des mini-parties de véritable tennis (sur gazon, celui-là). Le ping-pong était né.

Ce sport va rester relativement anecdotique pendant de nombreuses années, même si les joueurs chinois commencent à dominer la discipline à partir des années 50.
Lorsque durant la guerre froide, le gouvernement de Pékin cherche à exister sur le plan international, en quête d’indépendance, il se sert de ce prestige. Parmi les nombreuses autres stratégies politiques mises en place, Mao Zedong choisit en effet d’élaborer un plan d’action qui s’appuie sur le Ping Pong. En 1971, un échange entre athlètes américains et chinois a lieu.

Sportifs ambassadeurs

Zhuang Zedong va être le joueur clé de ce jeu diplomatique qui s’avère gagnant pour le pays du soleil levant. Cette star du ping pong participe activement au le réchauffement des relations Chine-USA.
En 1970, pendant une compétition au Japon, il offre spontanément à l’américain Glenn Cowan une étole de soie représentant le massif du Huangshan, produit précieux venu de sa région natale. Cet épisode connaît un retentissement important au sein de la presse chinoise et américaine.
Zhuang a-t-il vraiment décidé seul de ce présent? Quoi qu’il en soit, il reçoit par la suite les félicitations du chef du parti en personne, et débloque une situation diplomatique engluée depuis plusieurs décennies. En effet, quelque mois plus tard, le 12 avril 1971, l’équipe américaine de tennis de table foule le sol chinois pour la première depuis 1949. La muraille entre le Chine et les Etats Unis commence à s’effriter et les deux pays se rapprochent progressivement. En 1972, le président Nixon se rend à Pékin à son tour, un événement historique au retentissement mondial, qui implique par la suite une coopération exacerbée entre les deux puissances.

Zhuang Zedong, triple champion du monde, et Glenn Cowan, en 1971. Photo restée célèbre comme l’emblème du début de la diplomatie du ping pong

Ainsi, Zhuang Zedong devient davantage qu’un simple athlète aimant son pays: il se transforme progressivement en véritable agent de la Révolution Culturelle, qui suit des consignes précises, avec la mission claire de faire briller la Chine internationalement et de participer à l’apaisement souhaité avec les Etats-Unis. Evidemment, il excelle au tennis de table, sport qui le consacre 3 fois en tant que champion du monde. A travers de nombreux matchs d’exhibitions, séances de dédicaces, remises de cadeaux aux américains, mises en scènes photographiques, Zhuang Zedong réalise finalement une double performance de haute volée, à la fois sportive et diplomatique.

Ce Zhuang Zedong ne joue pas seulement bien au tennis de table, mais il est aussi doué aux Affaires étrangères, et il a un fin esprit politique.

Mao Zedong
Mao lui-même n’hésitait pas à faire la promotion du ping pong en personne

Le style chinois comme signature

Aujourd’hui sport Olympique reconnu, le ping-pong n’a pas toujours été bien considéré. Encore aujourd’hui, ce sport de raquette reste parfois associé à la pratique amateur voire à un simple passe-temps estival. Il suffit pourtant de regarder un match de haut niveau pour se rendre compte que ce n’est pas vraiment un sport de grand-mère. En la matière, les joueurs Chinois impressionnent et marquent rapidement les esprits grâce à leur style reconnaissable. Raquette à l’envers, gestuelle spectaculaire, maîtrise des effets de balle, virtuosité. Il est vrai que les spécificités techniques des athlètes chinois ont contribué à construire tout un imaginaire autour de la Chine, déjà source de bien des fantasmes même avant les années 70. On associe ainsi le joueur chinois à une dextérité particulière, une fourberie et une combativité toujours redoutable.
Mais pour autant, malgré l’hégémonie chinoise sur le ping pong, ce n’est pas tant la victoire qui compte, mais plutôt le potentiel du sport à tisser et renforcer les relations entres les autres états stratégiques.

Une « amitié » entretenue

Cette mise en scène de l’amitié sino-américaine perdure encore aujourd’hui. Un site web reste aujourd’hui dédié à la mise en scène de cette relation. Parmi d’autres œuvres, le film Forest Gump, sorti en 1995 raconte à sa manière cet épisode. Le film s’inspire largement de l’histoire réelle du ping pong. Le ping pong devient carrément une « arme pour combattre le communisme ». Signe que ce sport de raquette marque durablement les esprits et s’intègre dans l’imaginaire populaire comme l’artefact d’une période particulière.

En y revenant aujourd’hui, la diplomatie du ping pong ne relève donc ni de l’amitié ni d’une manipulation, mais simplement de l’application subtile de « L’art de la guerre » de Sun Tzu.

Une pratique également bien rodée ailleurs

Cette manière d’aborder le sport dans tout son potentiel diplomatique et international est une conception qui fait ses preuves tout au long du 20 ème siècle. Elle est reprise dans de nombreux autres circonstances et autres états. C’est le cas de l’URSS, autre pays communiste, qui met en place une stratégie similaire, quoique davantage belliciste, d’abord via la gymnastique, puis grâce aux échecs, avec des joueurs aussi brillants que Anatoli Karpov. Le Kremlin se lance dans un combat sans merci pour la domination du « roi des jeux » que l’on associe volontiers à des capacités intellectuelles intrinsèque, preuve d’une intelligence supérieure. En investissant massivement dans la pratique amateur, le pays connaît un engouement exceptionnel pour ce jeu qui devient rapidement très populaire et voit rapidement émerger des centaines de joueurs de niveau international. C’est à travers la rivalité avec Bobby Fisher, prodige américain, que se jouera notamment la guerre froide sur l’échiquier et dépassera largement se simple cadre du loisir.

Et maintenant, l’Afrique?

Aujourd’hui, la Chine n’a toujours pas renoncé à cette stratégie diplomatique qui fait la part belle au sport. Elle se tourne désormais également vers l’Afrique, nouveau continent stratégique. La Chine, qui Là où l’occident s’interdit certaines politiques pouvant rappeler le temps des colonies, la Chine n’hésite pas à étendre son influence en investissant massivement dans les infrastructure en Afrique, en accordant également des prêts pour les financer. Et surprise, on retrouve notamment de très nombreuses infrastructures sportives. Des stades qui comptent entre 40000 et 60000 places ont été ainsi édifiés à Cotonou, Mogadiscio, Ouagadougou, Banjul, Rabat ou encore Dakar, avec la participation active de la Chine. Ces infrastructures se développent en même temps que d’autres, plus sensibles, comme les sites militaires ou encore les zones commerciales et portuaires.

Les revers du tennis de table

Les limites du tennis de tables. Cette diplomatie du ping pong trouve néanmoins ses limites. Récemment une nouvelle politique de « guerre économique » contre la chine a été mise en place. En 2018, l’administration Trump décide en effet de taxer sévèrement certains produits chinois dans le but d’affaiblir l’hégémonie du pays de Xi Jinping. Dans ce contexte, pas sûr qu’une partie de ping-pong suffise désormais à lisser des relations économiques et politique marquées par de nombreuses tensions dans la course à la domination mondiale…

[ssba]