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Toulouse Innovation

Quand la Ville rose s’élève : à qui profite le projet Tour Occitanie ?

D’ici 2030, Toulouse va connaître des transformations profondes, avec l’apparition
de la Tour Occitanie, gratte-ciel ambitieux et emblème du nouveau quartier d’affaires Grand Matabiau. Si la municipalité entend ainsi dynamiser la métropole,
ces projets ne plaisent pas à tous les toulousain·e·s.

La Tour Occitanie : un projet d’envergure

Dévoilé en 2017, le projet de construction d’un gratte-ciel à seulement quelques centaines de mètres de l’historique place du Capitole a révélé au passage la forte ambition
de la municipalité à faire de Toulouse une ville tournée toujours plus vers la modernité et l’internationale.

La Tour Occitanie, dont la livraison est annoncée pour 2022.
© Studio Libeskind/Compagnie de Phalsbourg

40 étages riches de promesses

La future Tour Occitanie, dessinée par l’architecte polonais mondialement reconnu Daniel Libeskind, portée par la Compagnie de Phalsbourg et le cabinet toulousain Kardham, est un gratte-ciel de 153 m de haut, totalisant 40 étages. Construite sur le site de l’ancien centre de tri postal, au bout des allées Jean-Jaurès, l’édifice devrait présenter plusieurs fonctions.

À la fois immeuble de bureaux, de commerces et de logements, cette tour a pour ambition la création d’un nouveau pôle d’activité en plein centre-ville, d’une offre locative intermédiaire ainsi qu’une offre hôtelière attractive (tout près du futur pôle d’échange multimodal de la gare Matabiau). Définie comme respectueuse de l’environnement,
la « tour verte » à l’architecture vitrée et végétalisée est également présentée comme une solution face à l’étalement urbain. Pour cause, les entreprises qui, jusqu’à présent, ne pouvaient trouver des grandes surfaces de bureaux qu’en périphérie pourront venir s’implanter en plein de cœur de la Ville rose.

Un symbole pour l’« extérieur »

Jean-Luc Moudenc s’exprime sur le projet.
© Groupe Métropole d’Avenir / YouTube

Concrètement, un projet tel que celui-ci ne peut que révéler l’ambition de Toulouse à rayonner au-delà de ce qui fait la ville d’aujourd’hui. En avril 2017, le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc en parle comme un « signal », expliquant qu’il s’agit notamment de « créer un nouveau poumon économique ». Non-seulement dynamisante et novatrice au niveau architectural, la tour de Libeskind est « un message qu’on envoie notamment à l’extérieur […] de l’ambition de Toulouse et de la dimension de plus en plus internationale que notre ville est en train d’acquérir ».

L’« extérieur », c’est donc l’international pour Moudenc. Il s’agit-là d’une volonté forte de la municipalité : la Ville rose, ville étendue en surface et métropole au record de croissance démographique de France, connue principalement pour sa vitrine aéronautique, peut désormais s’offrir le luxe d’un gratte-ciel. Le prestige se retrouve également dans la conception, puisque Daniel Libeskind est par ailleurs bien connu pour être à l’origine du musée juif de Berlin ou encore du One World Trade Center, à New York. Avec la Tour Occitanie, Toulouse entre de plein pieds dans la mentalité mondialiste selon laquelle les principaux pôles économiques (New York, Londres, Paris, Marseille…) montrent leur attractivité en s’élevant vers les nuages.

Élever le Canal jusqu’au ciel

Dessinée pour répondre à l’appel d’offre lancé par la SNCF en 2016, la Tour Occitanie sera le premier projet réalisé dans le cadre du Grand Matabiau. L’un des impératifs préexistants à l’appel d’offre était de faire correspondre la future construction avec l’environnement.

Lors de la présentation de la tour au MIPIM (salon international de l’immobilier) de Cannes, en 2017, Jean-Luc Moudenc a insisté sur le patrimoine historique du site, en rappelant que le canal du Midi est un bien « classé à l’Unesco », tout autant qu’un bien « naturel ». Pour la municipalité, il était ainsi « inconcevable » de sélectionner un projet aussi moderne sans qu’il soit en « dialogue » avec le « Canal du XVIIe siècle
et la tour du XXIe siècle ».

La dialogue végétal avec le Canal est représenté dans la conception de l’édifice par son jardin cheminant du socle jusqu’au sommet de la tour, et reprenant les codes de végétation déjà présents sur le site. L’architecte Daniel Libeskind l’explique lui-même, lors du même salon : « J’ai été réellement inspiré par le canal du Midi, les beaux arbres, ces arbres en continu qui bordent le Canal, cet espace très poétique qui prend l’énergie
et la beauté du centre de la ville […] et je l’ai apportée comme dans un vert chemin vers le ciel. »

Face aux caméras de France 3 Région, le représentant du cabinet d’architectes toulousains Kardham, associé au projet, mentionne un « endroit magique » où il a été directement envisagé de « créer quelque chose avec le canal du Midi ». Il ajoute : « Cette tour, c’est un peu comme si le canal du Midi montait vers le ciel, en fait. »

Au fond, elle tire la ville vers le haut.

Jean-Luc Moudenc, face aux caméras de France 3 à propos du projet

Si Moudenc rappelle la proximité et l’harmonie de la construction avec le patrimoine du site, il confie voir en ce projet l’image du « printemps architectural » de la ville.
Plus encore, le maire en parle comme de quelque chose voué à tirer la ville « vers le haut », un double sens qu’il est intéressant de souligner. Au sens premier, tout d’abord, puisqu’il est ici question d’un gratte-ciel, appelant immédiatement l’idée de verticalité – mais il ne s’agit pas du sens véritablement entendu par Moudenc lui-même. Aller « vers le haut » implique l’idée d’être préalablement en bas. Lorsqu’on parle d’une ville, on parle d’une cité et donc de ceux qui la composent : ses habitants. La résonnance d’une phrase si simple, celle prononcée par le maire de Toulouse, est lourde de connotations. Elle pousse, en effet, à penser que le politique considère que la ville (et donc, sa population) est
en bas… et aurait donc besoin d’être élevée. Qu’il s’agisse d’une élévation économique, sociale ou tout simplement architecturale, le maire se place ici dans la position de celui en capacité de porter les autres, et rappelle donc bel-et-bien sa fonction de meneur.

Outre sa proximité au sud avec le canal du Midi, la Tour d’Occitanie servira d’ouverture, au nord, à un projet plus vaste encore : Grand Matabiau.

L’inquiétude d’un quartier d’affaires vertical

La tour de 40 étages n’est pas un projet isolé, puisqu’elle fait partie d’un plan d’ensemble lancé en 2016 sous le nom Toulouse EuroSud-Ouest (TESO), rebaptisé « Grand Matabiau » en 2019.

Matabiau réimaginé

Projet d’urbanisme colossal à l’horizon 2030, Grand Matabiau prévoit
le réaménagement du quartier historique de la gare en un quartier d’affaires dynamique, accès principalement autour des voies de transports en commun.

Présentation du projet Grand Matabiau.
© Europolia/Toulouse Métropole

La construction, notamment, d’immeubles de bureaux et de logements prévoit la dynamisation de la zone, qui sera articulée autour d’un pôle multimodal (gare, métros, bus…) et d’un réaménagement complet de l’urbanisme local (création de nouvelles rues et de sous-quartiers, en plus d’espaces verts, par exemple). La 3e ligne de métro devrait également ouvrir 2 nouvelles stations autour de la gare. L’entreprise Europolia, responsable du projet, précise l’objectif final d’avoir un « quartier à vivre dans le prolongement du centre-ville ».

Depuis les premières concertations publiques, le projet est très controversé dans son ensemble. Plusieurs arguments et critiques ont été émises, principalement celles de la modification d’un quartier populaire en un quartier d’affaires adressé aux plus aisés et de l’augmentation des impôts locaux sur le secteur, accélérant donc la gentrification du centre-ville. Un collectif anti-TESO s’est d’ailleurs formé et reste très actif. Enfin, l’utilité de la construction d’une tour comme figure de proue du Grand Matabiau est vivement questionnée.

Des concertations publiques aux résultats étonnants

Pourtant, les divers projets ont bien été soumis à concertation : entre mars 2016 et mars 2017, plusieurs enquêtes publiques ont été tenus pour informer les citoyens des futurs aménagements. Si le projet TESO a suscité plusieurs inquiétude lors de ces débats, la Tour Occitanie, elle, n’était même pas mentionnée.

C’est sur cette base que les citoyens ont été consultés en 2016,
un immeuble ne dépassant pas les 100 m de hauteur.
© Toulouse Métropole/Non au gratte-ciel de Toulouse

En mars 2016, il est expliqué aux publics que l’édifice prévu à l’emplacement de la future tour ne devrait pas dépasser les 50 m de hauteur. Ce n’est qu’à partir du mois suivant que survient la suggestion d’un immeuble de grande hauteur (IGH), amenée par Jean-Luc Moudenc, certifiant cependant que l’immeuble ne dépasserait pas les 100 m de haut. Dès le mois de juin, le compte-rendu des enquêtes stipule l’ouverture d’esprit des publics pour un projet allant jusqu’à 150 m de haut, sans plus de précision sur la nature des commentaires (pour le déroulé des enquêtes publics plus en détail, voir ici).

Un an plus tard, en mars 2017, Toulouse Métropole révèle publiquement la première maquette de la Tour Occitanie, celle-ci n’ayant fait l’objet d’aucune concertation particulière en amont, au salon du MIPIM de Cannes. À cette occasion, les toulousain·e·s découvrent le projet en même temps que les médias.

Des inquiétudes diverses

Hausse des loyers et du coût de la vie aux alentours, ombre portée impactant la vie des riverains, atteinte au paysage urbain, crainte d’un fort impact écologique et environnemental… nombreuses sont les contestations faites à la municipalité face au projet de gratte-ciel. Si l’annonce de Moudenc a été accueillie de façon mitigée par les toulousain·e·s, des collectifs n’ont pas tardé à s’organiser pour mener une action de front, comme le collectif Non au gratte-ciel de Toulouse (également présents sur YouTube).

L’une des premières inquiétudes porte notamment sur le coût de la tour : estimée
à 130 millions d’euros (95 selon Kardham), elle représente un investissement considérable. Même si la municipalité, et notamment l’adjointe au maire Annette Laigneau, a assuré que la collectivité « ne débourserait pas 1 centime » pour sa construction, la question du coût de l’aménagement de son accès reste importante pour
le Collectif. Bien qu’entièrement financée par des fonds privés, jusqu’à la pose et à l’entretien de ses parois végétalisées, la tour pourrait en effet nécessiter davantage de frais.

Vient ensuite la question du paysage urbain. Pour les opposants, la tour viendrait dénaturer le paysage de Toulouse, et marquerait une rupture pour l’historique Ville rose. Plus encore, à terme, la crainte est de voir le Grand Matabiau devenir un concentré de tours, à la manière de la City londonienne ou du quartier Part-Dieu de Lyon qui, depuis 1972, voit les IGH se multiplier.

En décembre 2019, le directeur de France Nature Environnement Midi-Pyrénées, Jean Olivier,
répondait aux caméras de France 3 concernant les inquiétudes environnementales.
© France 3 Occitanie/YouTube

Les inquiétudes environnementales sont également très variées. Tout d’abord, la consommation énergétique d’un tel bâtiment qui entrainerait à la fois l’apparition d’un îlot de chaleur supplémentaire (à l’heure où l’écologie presse pour les réduire) et nécessiterait un apport d’eau considérable (ne serait-ce que pour l’entretien des végétaux en façade). Ensuite, un risque d’inondations important, les fondations de la tour créant un blocage des nappes phréatiques et laissant à chaque pluie l’occasion de les saturer.
Mais le risque le plus inquiétant serait celui d’un débordement du canal du Midi, le site du chantier étant en fait le plan de secours pour évacuer l’eau vers les chemins de fer en cas de nécessité.

Enfin, le plus grand questionnement reste celui de l’avenir de la Ville rose. Le risque d’augmentation du coût de la vie en centre-ville entraînerait, selon les détracteurs du projet, une irrémédiable gentrification, incompatible avec les populations peu aisés qui occupent le secteur de Matabiau. La perte de l’identité locale, avec un développement urbain plus mondialisé ou encore le développement de Toulouse Smart City, à base de tours et de quartiers d’affaires, est également une source d’inquiétude.

Un projet bel et bien enclenché

Malgré tous ces questionnements, le permis de construire la tour a bien été signé et délivré par la mairie de Toulouse en juillet 2019. Si la municipalité s’en félicite, le Collectif opposant considère cette décision comme étant anti-démocratique. En argumentaire de leur pétition en ligne, ils dénoncent un « déni de la démocratie locale ».

Depuis, plusieurs recours en justice ont été déposés par les anti-tours, soutenus notamment par des associations telles que le DAL 31.

Fin 2017, le président du Collectif, Richard Mebaoudj, s’était adressé directement au maire par courrier pour exprimer ses inquiétudes. La réponse de Jean-Luc Moudenc a été rendue publique (PDF).

Dans cette lettre de 6 pages, le maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole tente de répondre à toutes les incertitudes qui planent autour de la construction et de la viabilité de la Tour Occitanie, et se veut rassurant. Cependant, dès les premiers paragraphes, il ne manque pas de rappeler l’engouement local pour le projet et sa vocation exceptionnelle pour Toulouse.

Tout d’abord, je tiens à vous préciser qu’un bon nombre de Toulousains m’ont écrit pour me témoigner leur satisfaction de voir réalisée au sein de notre ville une telle prouesse architecturale. (…) Il est à noter qu’avec cette tour, Toulouse, métropole des réussites, disposera d’une réalisation
à la hauteur de ses ambitions.

Jean-Luc Moudenc, courrier à l’attention de Richard Mebaoudj et du collectif Non au gratte-ciel de Toulouse

Au moyen de nombreux outils typiques de la rhétorique et du discours politique (contre-exemples, inversions, appel aux chiffres, recours aux conventions collectives et à la législation…), Moudenc souhaite démontrer que la Tour est bien pensée, conçue et que chaque problématique a bien été étudiée en amont (« Ces sujets sont parfaitement maîtrisés et ne posent aucun problème »). Il rappelle ensuite que l’autorité (Architecte
des Bâtiments de France) est bien de son côté, et implique par la même que ses soutiens sont nombreux et infaillibles.

S’agissant de la présence de logement sociaux, Moudenc resitue le projet dans les plans plus vastes du Grand Matabiau, justifiant leur absence au sein de la tour. Selon lui, et en vertu des préconisations du Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) qui appuie une proportion de 35 % de logements sociaux dans les nouveaux logements construits à Toulouse, il est préférable d’appliquer cette provision à l’ensemble du projet Matabiau plutôt qu’à la tour elle-même (cela maximisant automatiquement leur nombre). Il ne fournit en revanche aucune réponse précise quant à la présence effective de logements sociaux ou non dans la tour.

Concernant la crainte de la gentrification du centre-ville, pour Moudenc, le détracteur voit les choses à l’envers : ce n’est pas la tour qui va faire augmenter le coût de la vie aux environs, mais c’est bien en raison de son augmentation que le projet est rendu possible. En effet, « la tour n’est pas une cause, mais une conséquence de cette hausse ».

Le maire se dit « volontariste » pour attester de sa bonne foi et rappelle que
« la municipalité reste ouverte au dialogue » (ce qui sera prouvé être faux dans les mois suivant cet échange). Enfin, il emploie le futur pour s’exprimer tout au long de son courrier, sans la moindre conditionnelle. Il n’y a donc pas de doute : pour Jean-Luc Moudenc, l’édifice sera bel-et-bien construit.

Vous le voyez, cette tour n’a pas pour but de défigurer notre cité, bien au contraire !
Toulouse est grande ville qui monte en France.

Avant-dernière phrase du courrier de Jean-Luc Moudenc

Avec le permis de construire délivré, rien n’empêche la Tour Occitanie de sortir de terre d’un jour à l’autre. Si le projet est bien ambitieux (pouvant faire penser notamment à du marketing territorial de grande échelle) pour ses initiateurs, il reste un sujet d’anxiété pour les citoyens opposés à sa mise en œuvre. Les années passées à débattre et planifier un nouveau cœur pour Toulouse n’ont pas suffit à joindre le dialogue entre les 2 camps : les inquiétudes urbaines, environnementales et sociales des toulousain·e·s n’ont pas été rassurées… si tant est qu’elles le soient avant que les jardins de la Tour Occitanie ne culminent au sommet de Toulouse.

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