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Toulouse Sécurité

Retour sur l’arrêté anti-bivouac à Toulouse : coup de communication politique ou mesure « choc » ?

Le 12 septembre 2019, lors de sa conférence de rentrée, le maire de Toulouse (les Républicains) Jean-Luc Moudenc, a affirmé sa volonté de mettre en place un arrêté anti-bivouac concernant le centre de la ville. Ce sont les 26 tentes installées en son sein qui sont visées par cette mesure.  

Annonce de l’arrêté anti-bivouac

Vidéo France 3 régions – Reportage réalisé par Karen Cassuto et Eric Foissac

L’élu commence sa conférence, en se félicitant des réussites toulousaines, mais souligne des problèmes de sécurité dans la ville, qui « (…) ne sont pas propres à Toulouse (…) Et donc effectivement je pense que l’Etat doit sur cette question de la sécurité, la grosse délinquance, la sécurité régalienne, il doit revoir ses méthodes, il doit revoir la répartition de ses moyens ».

Il poursuit en affirmant sa volonté d’exercer une pression sur l’Etat, pour que la police municipale puisse verbaliser les individus, joindre la police nationale, pour effectuer des contrôles d’identité, et pouvoir constater officiellement la situation des personnes : qu’elle soit illégale ; ou en situation d’ayant droit à un hébergement digne. 

Le maire de Toulouse tenterait-il un coup de maître afin de s’assurer que l’on parle de lui, à l’approche des municipales 2020 ? Le fait de se positionner comme un moyen de pression pour mettre l’Etat face à « ses responsabilités » ne serait pas le signe d’une éventuelle candidature à sa propre réélection ? En s’attaquant à l’Etat, Jean-Luc Moudenc, ne tenterait-il pas d’instaurer une diversion quant aux responsabilités de chacun, concernant les politiques liées au logement ?

Pourtant, il est admis que le droit de réquisition est un des leviers utilisables par la puissance publique, et notamment par le maire, pour assurer l’accès des plus démunis à un logement. Rappelons que la réquisition à proprement dite, est l’acte par lequel l’autorité administrative s’impose, dans un but d’intérêt général à une personne privée, s’agissant simplement d’un usage temporaire .

Dans ses déclarations, le maire semble viser certaines associations : « Il y a une répartition des tâches sinistre entre les réseaux et des associations politisées. Je dénonce cette situation contraire au droit et à la dignité des personnes », tout en rappelant que dans ce domaine « c’est le préfet qui a le pouvoir d’ordonner l’évacuation et d’organiser l’hébergement ». Selon lui, la concentration des tentes en centre-ville « donne(rait) aux Toulousains le sentiment d’une sorte d’invasion », qui serait la cause d’une accumulation de plaintes remontées au Capitole.

Pourtant, nous pouvons nous demander si c’est réellement la visibilité de ces habitations de fortune qui gêne l’opinion publique, n’étaient-ce pas les conditions de vie indignes exposées sur la voie publique, qui seraient plus montrées du doigt ?

Les emplacements de ses hébergements de fortune ne seraient également pas neutres selon lui, « (…) comme par hasard, celles-ci se concentrent aux endroits les plus visibles », dans un but précis qui serait « d’affoler les Toulousain.e.s ». « Il y en a 26 (tentes) à l’heure ou je parle, mais elles sont en visibilité sur les boulevards. Ce sont des albanai.se.s qui ne sont pas en situation régulière (…) ».

©Actu Toulouse / G. K.

Nous pouvons nous demander si les déclarations du maire quant aux origines de ces sans-domiciles, se basent sur de quelconques données de terrain, chose que nous n’avons pu vérifier à ce jour. Il en va de même concernant les tâches sinistres qui reviendraient aux associations non-nommées désignées plus haut. Des propos troubles, laissant entrevoir des liens inquiétants entre précarité sociale, délinquance, insécurité et menaces. Jean-Luc Moudenc n’aborde dans ces propos qu’une seule fois les occupants de ses tentes (en les qualifiant « d’albanais.es »), mais ne cesse de s’attacher à mettre en lumière leur visibilité dans l’espace public, tout comme le côté peu sécurisant que cela peut produire chez les habitants des environs. De tels propos ont évidemment provoqué de vives réactions et ce, dans de nombreux camps.

UNE MESURE QUI INTERPELLE

Le préfet n’aurait quant à lui en sa possession, pas assez de moyens pour faire respecter la loi, c’est en cela que le maire de Toulouse se déclare en être un des soutiens.

« Il y a une impuissance publique à faire respecter la loi. Cela désespère les citoyens et les rend sensibles aux discours nationalistes que nous ne voulons pas. C’est pour cela qu’il faut être ferme sur la légalité républicaine. La fraternité oui, mais le respect de la loi républicaine, ça va avec. »

Enlever les tentes certes, mais quel destin pour les familles qui y vivent ?

La préfecture renvoie la balle à la mairie

Toutefois, au lendemain de ses déclarations, la Préfecture de Haute-Garonne déclare, dans un communiqué de presse, mener au nom de l’Etat, « une action résolue sur les tentes et campements illicites », tout en étant « pleinement engagée dans le maintien de l’équilibre entre le nécessaire respect de l’ordre public, de la dignité humaine et des valeurs républicaines ».

Des déclarations, nous l’aurons compris, qui vont à l’encontre de ce que le maire de la ville affirmait plus haut.

Afin d’appuyer ses propos, la préfecture ajoute « À ce jour et pour l’année en cours, il a été accordé 48 octrois de la force publique par le préfet pour procéder à l’évacuation des personnes installées illégalement, sur la base des décisions de justice. Toutes les demandes de la mairie de Toulouse pour évacuer les tentes installées illégalement sur l’espace public ont été traitées dans les délais les plus brefs. De nombreux campements ont été évacués avec une évaluation et une prise en compte, en lien avec la mairie, des situations de chaque personne ».

Répartition des secteurs concernés dans le centre ville de Toulouse par l’arrêté anti-bivouac

Les zones visées par l’arrêté anti-bivouac à Toulouse :
Place du Capitole, Square de Gaulle, Rue d’Alsace Lorraine et rues adjacentes
– Allée Jean Jaurès, Rue Gabriel Péri, Place Wilson, Allée Roosevelt, Esplanade François Mitterrand et rues adjacentes 
-Place Saint Sernin, Place Anatole France, Place Arnaud Bernard, Place Saint Aubin
-Place Dupuy, Place Esquirol, Place de la Trinité, Place des Carmes, rue de Metz et rues adjacentes
– Place Saint Pierre, Place de la Daurade, Quais Saint Pierre, Quais Lucien Lombards, Quai de la Daurade
– Place de la Légion d’Honneur, Place Saint Etienne, Place du Parlement, Place du Salin, Place Lafourcade rue du Languedoc et rues adjacentes
– Place Intérieure Saint Cyprien, Place Jean Diebold, Place Roguet, Place Olivier, Place du Ravelin, Avenue Etienne Billiere, Place de la Patte d’Oie
Cours Dillon, Place Laganne, Pont Neuf –
– Allée Charles de Fittes, Boulevards Lascrosses, Arcole, Strasbourg, Carnot, Allées Jules Guesde et François Verdié
– Boulevards Bonrepos, Pierre Semard, Marengo et rue René Leduc.
Une interdiction valable de 7h à 22h.

Un arrêté similaire à Nice

Christian Estrosi, le maire de Nice (Alpes-Maritimes), avait déjà tenté d’instaurer un arrêté similaire. Il s’agissait d’interdire toute occupation abusive et prolongée des domaines privés et public de la ville et ce, dans plusieurs secteurs. A l’origine du recours en justice : ce sont La Ligue des Droits de L’Homme et L’association pour la démocratie à Nice et dans les Alpes-Maritimes, qui avaient obtenu conjointement l’annulation de la mesure.

Ainsi, que le tribunal administratif de Nice n’avait pas estimé que l’arrêté constituait une mesure nécessaire et proportionnée, à la sauvegarde de l’ordre public ni de la tranquillité et de la santé publique. La ville de Nice avait ainsi été condamnée à verser 1 000€ aux deux associations.

Une mesure assumée

Le 4 octobre, quelques semaines après l’annonce de sa mesure anti-bivouac, Jean-Luc Moudenc l’officialise sur son compte institutionnel. Une mesure qui permettrait de renforcer la coopération entre les forces de polices municipales et nationales.

2019 : un rapport sur le sans-abrisme local

C’est le mercredi 10 avril 2019 dernier, que la mairie de Toulouse rend publique une enquête portant sur le nombre de personnes sans domicile fixe dans la ville. La municipalité, incarnée par la voix de Daniel Rougé, adjoint au maire de Toulouse en charge des politiques de solidarité et des affaires sociales, lève le tabou et le résultat est accablant. Ce sont 4 163 personnes, qui dorment dehors dans la ville rose.

Une enquête réalisée dans le cadre du « Plan quinquennal pour le logement d’abord », lancée par le président de la République Emmanuel Macron, lors de sa venue à Toulouse en septembre 2017 (mis en application en 2018). Menée en partenariat avec le Conseil Départemental de la Haute-Garonne et de nombreuses associations, elle a mobilisé plus de 155 bénévoles (environ 75 de la mairie, et 80 associatifs), dans la nuit du vendredi 15 février 2019 entre 21h et 00h.

Le service intégré d’accueil et d’orientation de la mairie a déclaré ce soir-là 1760 personnes en hébergement d’urgence, 1505 personnes résidant à l’hôtel (nuitées réglées par la préfecture), et 117 personnes dormant dans des gymnases de la ville mis à disposition.

« Je pensais sincèrement que le nombre de sans-abri était plus important. La part des jeunes est plus faible que ce que l’on pensait et 52% des personnes ont des ressources financières. C’est plutôt une bonne nouvelle pour le programme de « Logement d’abord » ». (Daniel Rougé)

A titre de comparaison, lors du décompte de la deuxième édition des Nuits de la solidarité en février 2018, ont été recensés à Paris 3 641 personnes dormant dans la rue.

Jean-Luc Moudenc avait souligné l’importance d’une telle évaluation, qui permettrait selon lui de « regarder le sujet de face et de faire des propositions ». Ce dispositif aurait également mis en valeur la présence de familles entières ainsi qu’une féminisation importante, avec environ 35% de femmes seules, et une « augmentation fulgurante d’étrangers de pays d’origine très variées ». Pourrait-on y voir le signe des prémices de l’arrêté anti-bivouac ?

Rappelons que selon l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) « une personne est qualifiée de « sans-domicile » un jour donné si la nuit précédente elle a eu recours à un service d’hébergement ou si elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune, gymnase). »

Une étude qui, par ailleurs, a confirmé la saturation du service local d’urgence du 115, recevant jusqu’à 300 appels par jour. 78% des adultes interrogés (341 personnes) n’appellent jamais le 115, soulignant l’absence de réponse, ou encore ne ressentant pas l’envie de joindre un service d’urgence. L’objectif était de renouveler l’initiative chaque année, pour rendre pérenne le dispositif, et approfondir la question des squats.

Le 115 est le numéro permettant aux personnes sans-domicile fixe de demander un hébergement d’urgence. Jusqu’au 4 juillet 2019, toutes les personnes étaient acceptées, et ce quelle que soit leur situation administrative (et sous réserve qu’il y ait des places disponibles, ce qui n’est pas une évidence). Toutefois, depuis ce jour, les associations gérant les centres d’hébergement ont été invitées par l’Etat à fournir des renseignements concernant les demandeurs d’asile qu’elles hébergent.

Guide de l’urgence sociale de Toulouse

Les municipales

Deux semaines après l’annonce de cet arrêté, Jean-Luc Moudenc annonce officiellement sa candidature aux prochaines municipales de Toulouse. Et c’est dans une lettre distribuée aux Toulousains que nous l’avions découvert.

Ce sont environ 312 000 exemplaires de ce courrier qui ont été envoyés aux toulousains. En son sein, c’est son action à la tête de la mairie qu’il défend, et notamment une gestion « rigoureuse » de la ville, la création de nouvelles écoles ou encore la plantation de milliers d’arbres. Il rappelle sa ferme volonté de maintenir le projet de la 3ème ligne de métro, tout en soulignant qu’il n’enlèvera pas les caméras de vidéo-protection déjà installées.

Sont également évoquées, dès les premières lignes de son programme, le souhait de renforcer le « pouvoir de décision direct », tout comme celui de « réduire la distance entre les élus et les citoyen.ne.s ». Parmi toutes ces bonnes volontés, il réaffirme une fois de plus vouloir « renforcer sa lutte contre l’insécurité », une ambition qui, nous l’aurons compris, réside parmi les plus importantes de son programme.

Mais qu’est-ce que signifie lutter contre l’insécurité ? N’est-il pas là un argument politique choyé lors des campagnes électorales ? Lutter contre l’insécurité ne signifierait-il pas également lutter contre les conditions de vie indignes ou exclusives ?

Une déclaration qui a mis le feu aux poudres

François Briançon, chef de file des socialistes à la mairie de Toulouse ironise sur son blog « la mue ringarde » du maire, qui est « constant à l’approche de chaque élection municipale ».

Pour le Mouvement Une de Nadia Pellefigue, la mesure est d’autant plus « insupportable » :

Le collectif Archipel Citoyen, réunissant militants associatifs, insoumis, écologistes, socialistes ou encore non-encartés, a réagi par le biais d’un communiqué de presse dénonçant un « arrêté de la honte ». Organisant « une véritable chasse aux pauvres, (qui) marquera d’une tâche son mandat, et disqualifie sa candidature aux prochaines élections municipales ».

Le discours du maire est donc vivement remis en question, ne répondant apparemment pas aux véritables inhérents de la question du mal-logement à Toulouse.

L’association de Droit au Logement de Toulouse (DAL31), a également mis en cause Jean-Luc Moudenc, l’accusant de vouloir « cacher la misère » et de « condamner la solidarité ». Son ancien porte-parole, François Piquemal estime également que le maire « rompt avec une tradition d’accueil à Toulouse ». C’est en octobre que cette même association lancera la pétition visant à faire annuler l’arrêté anti-bivouac (1500 signatures à ce jour).

Le 18 octobre, l’association du Droit au Logement 31 et 22 autres se sont retrouvées dans une manifestation, avec pour maîtres mots : « un toit c’est un droit », qui a réunit près de 200 personnes.

L’élu écologiste Régis Godec souligne « un vulgaire calcul » visant à « criminaliser des familles » et « stigmatiser les associations » :

Claire Dujardin, candidate insoumise, dénonce quant à elle « la Moudencratie » visant à « criminaliser la misère et faire briller sa ville » :

Pour la Ligue des Droits de l’Homme, cet arrêté n’est pas une solution, et la situation va à l’encontre du droit conditionnel à l’hébergement, en atteignant les libertés. Une mesure productrice de davantage de précarité et de souffrance pour les mal-logé.e.s ou sans-logi.e.s, pour des effets qui semblent inexistants. « La meilleure manière d’agir contre la misère est de la traiter non de la cacher ».

Il nous parait important de rappeler que le maire avait directement mis en cause dans ses propos des « réseaux organisés albanais », à l’origine selon lui de la recrudescence des campements illicites sur la voie publique toulousaine. Egalement pointées du doigts dans ses déclarations, certaines « associations politisées » organisant cette « exposition sur le domaine publique » pour « affoler les Toulousain.e.s».

Enregistrements de personnes interrogés dans les rues de Toulouse

Quelques commentaires de toulousains, issus d’un micro-trottoir France Bleu, quant à la mise en place de cet arrêté anti-bivouac dans la ville.

Il revient essentiellement dans ces témoignages, que les toulousains demeurent sceptiques quant à l’efficacité de cet arrêté anti-bivouac. Désespérés face à la situation, ils avouent remarquer la recrudescence de sans-domiciles fixes, et notamment de familles, ne sachant pas ou ils se retrouvent lorsqu’ils ne les aperçoivent plus. La plupart d’entre eux, remarquent des problèmes de pauvreté, soulignant le nombre important de logements inoccupés/vacants, qui pourraient être une solution temporaire, à ces besoins relevant de l’urgence.

Plan quinquennal pour le « Logement d’abord » ?

Le plan quinquennal pour le logement d’abord est un dispositif inspiré  des programmes Housing first (logement d’abord), apparus aux Etats-unis dans les années 1990. Il entérine le principe d’accès direct des grands précaires sans-abris au logement stable, plutôt qu’un parcours tumultueux en escalier. Pourtant, à côté de ce plan, d’autres décisions d’ordre structurel ont brouillé les pistes, comme la baisse des aides pour le logement (APL). Selon Manuel Joumergue, directeur des études de le Fondation Abbé-Pierre : « Les fameux 5 euros qui ont tant fait parler ne représentent que 10 % des coupes réelles prévues. Ajoutées à la ponction budgétaire sur les organismes HLM, ces mesures vont grandement fragiliser la production de logements sociaux ».

Quelques chiffres de la Fondation Abbé-Pierre

La Fondation Abbé-Pierre a été fondée en 1987 et est reconnue d’utilité publique le 11 février 1992. Elle a pour vocation d’agir pour permettre à toutes personnes défavorisées d’accéder à un logement décent et à une vie digne. Elle participe au débat public en publiant depuis une vingtaine d’années son rapport sur le mal-logement, présentant conjointement conclusions et propositions sur le sujet.

Au fil des pages, ce 24ème rapport nous informe sur le fort taux de pauvreté qui caractérise la région Occitanie. Région issue de la fusion des anciennes Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, elle comporte treize départements et s’étend sur des territoires fortement contrastés. L’Occitanie se caractérise par une croissance démographique élevée et ce depuis une trentaine d’années. Selon les estimations de l’INSEE, entre 2016 et 2019, elle aurait connu un taux de croissance annuel de 0,5%, soit plus du double de la France métropolitaine.

Un dynamisme démographique qui engendre toutefois quelques déséquilibres, avec un taux de chômage élevé : 10,7%, contre 8,9% pour la France métropolitaine ; un manque structurel de logement social et un parc privé trop souvent inaccessible. La région est pourtant engagée (comme explicité plus haut) sur trois de ces territoires : Nîmes, Montpellier et Toulouse ; dans le plan quinquennal pour le « Logement d’abord ».

Il souligne également qu’une forte part de jeunes seraient touchés par la pauvreté, avec un taux de 27,2%, contre 22,8% en France métropolitaine. Les pages soulignent le sous-équipement de la région en matière de logement sociaux, malgré une hausse des constructions (environ 10% dans la région et 16% sur l’ensemble de la France métropolitaine).

Fin 2018, ce sont ainsi 147 027 ménages qui étaient en attente d’un logement social, 60% sont concentrés sur deux département l’Hérault et la Haute-Garonne, selon le rapport.

Voici un tableau issu de ce rapport, permettant de représenter la diversité de ces différents territoires composant la région Occitanie. Il propose quelques indicateurs clés qui permettent une meilleure appréhension du contexte de chacun.

Des chiffres impressionnants, alors qu’il y aurait à Toulouse « 30 000 logements vides ou vacants » selon François Piquemal (ancien porte-parole du DAL31, membre d’Archipel Citoyen), réclamant de fait un audit sur cette situation et des actions de réquisitions.

Avec un développement urbain si ambitieux et répondant à différents enjeux, comment ne pas nous demander si les politiques de la ville de Toulouse s’adresseront toujours à tou.te.s. ses citoyen.ne.s. Ces différents projets d’aménagement visant un bénéfice de la qualité de vie sont-ils tous inclusifs ? Ou porteurs d’exclusion ?

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Toulouse « ville intelligente » : protection ou surveillance à l’ère du digital ?

En 2014, le maire de la Ville rose, Jean-Luc Moudenc, a lancé un vaste plan de protection citoyenne, avec l’idée d’installer pas moins de 400 caméras, ainsi que des dispositifs de surveillance à la pointe de la technologie dans toute la ville. Or, l’idée d’une ville à l’allure de 1984 de George Orwell est loin de faire l’unanimité.

À l’image des initiatives lancées aux 4 coins du globe depuis une dizaine d’années, Toulouse Métropole a lancé en 2015 son projet de « Smart City », avec pour objectif de créer une ville plus innovante, plus connectée mais aussi et surtout, plus sûre. Toulouse a ainsi discrètement vu fleurir des dispositifs filmiques de plus en plus intelligents, certains faisant même appel à l’intelligence artificielle, au machine learning et à de meilleurs systèmes de gestion des vidéos. De son côté, le maire de la ville et membre des Républicains, Jean-Luc Moudenc, explique aux citoyen·ne·s vouloir assurer la sécurité de chacun·e. En outre, les progrès technologiques sont, doucement mais sûrement, en train de révolutionner la façon dont la police recueille des preuves et lutte contre la criminalité.

Par ailleurs, à cause des nombreuses attaques terroristes perpétrées sur le territoire français depuis 2015, le gouvernement a dû redoubler de moyens pour assurer la protection et la sécurité de ses citoyen·ne·s. L’état d’urgence est déclaré et la sécurité nationale devient le maître mot et la priorité du pays tout entier. C’est aussi dans ce contexte que Jean-Luc Moudenc s’est lancé, dès 2015, dans un vaste projet d’implantation de caméras de vidéosurveillance un peu partout dans la Ville rose. Par conséquent, à Toulouse, où l’on ne comptait que 21 caméras en 2014, on en dénombrait déjà 350 en 2016 et 402 en 2020, soit une hausse de… 1 814 % !

La répartition des caméras de vidéosurveillance dans le centre-ville de Toulouse.
En rouge sont représentées les caméras publiques, en bleu les caméras privées.
© toulouse.sous-surveillance.net

D’après les acteurs politiques favorables à l’installation de ces nouveaux dispositifs de surveillance, le recueil, l’analyse et le traitement des données personnelles serviraient à l’intérêt commun. Pourtant, il persiste, chez certain·e·s, une crainte légitime qu’une part de leurs données ne soient utilisées sans leur consentement, ou qu’une fois leur accord donné, ces dernières ne soient détournées. De fait, l’utilisation du machine learning dans le domaine de la sécurité est loin de faire l’unanimité : risque de reproduire des biais humains, fichage des citoyens… Le projet pose également problème sur le plan de la liberté d’expression, d’opinion, de conscience, de circulation, de manifestation, dans un contexte où la surveillance des foules est mise en exergue.

Dans ce contexte, l’enjeu des acteurs publics œuvrant à ce projet est de taille : obtenir, mais surtout conserver la confiance des citoyen.ne.s pour l’utilisation de leurs données pour l’intérêt général.

Vidéoprotection ou vidéosurveillance ? Le conflit entre protection citoyenne et protection de la vie privée

Il semble intéressant de souligner que, d’un point de vue sémantique, les termes repris par les différents acteurs municipaux sont différents : si la Droite préfère généralement parler de systèmes de « vidéoprotection », la Gauche et ses opposants parlent plutôt de « vidéosurveillance ». Il s’opère donc déjà un conflit autour de l’utilisation généralisée de ces dispositifs. D’ailleurs, l’un des arguments de l’opposition est d’affirmer que les caméras de surveillance n’auraient pas nécessairement une grande efficacité sur le taux de délinquance de la ville. En effet, les débordements et dégradations du centre-ville, au cours des manifestations qui ont lieu chaque semaine, suffisent à faire douter du pouvoir dissuasif de ces dernières.

En 2019, Toulouse prenait la neuvième place dans le classement des villes de plus de 100 000 habitants ayant le plus grand nombre de dispositifs de surveillance. Le maire de Toulouse, en pleine campagne pour les élections municipales de 2020, a par ailleurs confirmé sur son compte Twitter la volonté d’en installer 100 de plus d’ici la fin de son mandat, toujours dans le but de « protéger les toulousains » comme il le répète à plusieurs reprises (vidéo ci-dessous).


En outre, la mairie de Toulouse argumente en mettant l’accent sur la capacité des outils de vidéo-protection à contribuer à la résolution d’enquêtes et sur son utilité pour les victimes. Depuis 2016, le poste de contrôle vidéo a saisi la police 2 257 fois après avoir repéré un comportement suspect sur la voie publique. En 2017, le Capitole affirmait que les réquisitions d’images vidéo dans le cadre d’enquêtes de police sont passées de 73 à 385 depuis le début de l’implantation du réseau. En 2018, la police nationale a procédé à 1 418 réquisitions d’images auprès du Centre municipal de vidéoprotection urbaine (CVU), soit presque 2 fois plus qu’en 2017. La mairie insiste également sur un autre service rendu par la vidéoprotection : le secours à la personne, soit près de 207 cas en 2018.

Remise en cause de la protection citoyenne : des dispositifs liberticides ?

De leur côté, les personnes qui sont contre ces dispositifs avancent notamment 2 arguments.

Premièrement, de nombreuses études auraient démontré que ces dispositifs n’auraient pas d’effets avérés sur le taux de criminalité ou de délinquance.
En effet, selon le sociologue et chercheur Laurent Mucchielli, pour mesurer l’impact de la vidéosurveillance sur le taux de délinquance, il faudrait savoir, parmi ces réquisitions d’images, combien ont vraiment joué un rôle dans l’interpellation d’un individu. Toujours selon ses recherches, ils représentent 1 à 3 % des cas étudiés par le sociologue, un chiffre qui est loin de justifier les investissements réalisés par les communes de Toulouse Métropole : 9,7 millions d’euros depuis 2014 à Toulouse, où près de 400 caméras sont actuellement opérationnelles. Quant à la détection de faits de délinquance en direct, là encore d’après le chercheur niçois, le constat est sans appel :

« Elle est si faible qu’aujourd’hui, le système est détourné pour faire de la vidéo-verbalisation d’infractions routières. Et quand il s’agit de sécuriser une zone précise, comme un point de trafic de stupéfiants, les caméras ne font que déplacer le problème. »

Pour les instances gouvernantes, il s’agit d’offrir une plus grande protection aux citoyen·ne·s, une ville plus sûre. Mais faut-il pour autant renoncer à l’anonymat ? De tels systèmes supposent de se nourrir de toujours plus de données, et plus spécifiquement de données personnelles.

Aujourd’hui, le système est détourné pour faire de la vidéo-verbalisation d’infractions routières.

D’après Jean-François Mignard, de la Ligue des Droits de l’Homme Midi-Pyrénées, la surveillance est un engrenage. Ce dernier pointe du doigt les nouveaux dispositifs qui ont fleuri après les caméras de surveillance : caméra haut-parleur à la Daurade, applications pour dénoncer les incivilités de ses voisins, numéro vert contre les voiries encombrées, les incivilités et les questions de propreté, algorithmes de détection par IBM, caméras thermiques au bord de la Garonne… Dans un article de la Dépêche parût en 2018, il s’exprime : « On rentre dans l’ère de Big Brother. C’est une dérive au détriment des libertés publiques. »

Installées en 2017, les caméras haut-parleur de la Daurade permettent à l’agent qui voit l’infraction depuis le poste de contrôle vidéo, de s’adresser au contrevenant via le haut-parleur qui a été ajouté à la caméra déjà existante. Pour avoir personnellement rencontré la situation une fois avec des amis, j’avoue être restée sans voix face au rappel à l’ordre venant d’en haut… sans que je ne sache vraiment d’où. Il est vrai que ce dispositif a un côté très voyeur et intrusif, surtout quand on ignore sa présence. D’après Olivier Arsac, l’adjoint au maire chargé de la sécurité, « ça marche et c’est plus doux qu’une verbalisation ». Ce dispositif, qu’il qualifie de « drôle et original », pourrait s’étendre à plusieurs endroits de la ville.

Reportage sur les nouveaux dispositifs de la Daurade à Toulouse
© France 3 Occitanie

Or, tous ces dispositifs de surveillance posent des questions de l’ordre de l’éthique. L’algorithme de détection de la société IBM risque-t-il de démultiplier les discriminations structurelles déjà subies par celles et ceux qui vivent dans les quartiers pauvres ? Par ailleurs, il soulève un autre problème : le risque de faux-positifs dans la détection des comportements suspects et des infractions.

Par ailleurs, il semblerait que le recours à ce type de dispositifs, toujours plus performants, se généralise partout sur le territoire français. Par exemple, lors du dernier carnaval de Nice, la reconnaissance faciale a été testée sur des volontaires. À Saint-Etienne, il y a même eu un projet pour expérimenter l’audio-surveillance afin de détecter les bruits suspects, avant d’être annulé sur avis de la CNIL. Sur le plan de la liberté d’expression, d’opinion, de conscience, de circulation, de manifestation, le projet pose également question, tant la surveillance des foules est mise en exergue.

Pour dénoncer les dérives de la surveillance massive dans le contexte des smart cities, la Ligue des Droits de l’Homme a lancé en 2019 la campagne Technopolice, ainsi qu’une plateforme ayant pour but de documenter le déploiement des projets de surveillance à travers le pays. L’autre enjeu de cette campagne est de parvenir à organiser des résistances locales, en les fédérant.

Ces dispositifs de surveillance, tels qu’on a pu les voir, posent des questions sur nos libertés individuelles : pourra-t-on se joindre à un événement culturel ou une réunion politique sur la voie publique sans risquer d’être fiché ? Autoriserons-nous partout en France la reconnaissance faciale ?

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