En 2014, le maire de la Ville rose, Jean-Luc Moudenc, a lancé un vaste plan de protection citoyenne, avec l’idée d’installer pas moins de 400 caméras, ainsi que des dispositifs de surveillance à la pointe de la technologie dans toute la ville. Or, l’idée d’une ville à l’allure de 1984 de George Orwell est loin de faire l’unanimité.
À l’image des initiatives lancées aux 4 coins du globe depuis une dizaine d’années, Toulouse Métropole a lancé en 2015 son projet de « Smart City », avec pour objectif de créer une ville plus innovante, plus connectée mais aussi et surtout, plus sûre. Toulouse a ainsi discrètement vu fleurir des dispositifs filmiques de plus en plus intelligents, certains faisant même appel à l’intelligence artificielle, au machine learning et à de meilleurs systèmes de gestion des vidéos. De son côté, le maire de la ville et membre des Républicains, Jean-Luc Moudenc, explique aux citoyen·ne·s vouloir assurer la sécurité de chacun·e. En outre, les progrès technologiques sont, doucement mais sûrement, en train de révolutionner la façon dont la police recueille des preuves et lutte contre la criminalité.
Par ailleurs, à cause des nombreuses attaques terroristes perpétrées sur le territoire français depuis 2015, le gouvernement a dû redoubler de moyens pour assurer la protection et la sécurité de ses citoyen·ne·s. L’état d’urgence est déclaré et la sécurité nationale devient le maître mot et la priorité du pays tout entier. C’est aussi dans ce contexte que Jean-Luc Moudenc s’est lancé, dès 2015, dans un vaste projet d’implantation de caméras de vidéosurveillance un peu partout dans la Ville rose. Par conséquent, à Toulouse, où l’on ne comptait que 21 caméras en 2014, on en dénombrait déjà 350 en 2016 et 402 en 2020, soit une hausse de… 1 814 % !
D’après les acteurs politiques favorables à l’installation de ces nouveaux dispositifs de surveillance, le recueil, l’analyse et le traitement des données personnelles serviraient à l’intérêt commun. Pourtant, il persiste, chez certain·e·s, une crainte légitime qu’une part de leurs données ne soient utilisées sans leur consentement, ou qu’une fois leur accord donné, ces dernières ne soient détournées. De fait, l’utilisation du machine learning dans le domaine de la sécurité est loin de faire l’unanimité : risque de reproduire des biais humains, fichage des citoyens… Le projet pose également problème sur le plan de la liberté d’expression, d’opinion, de conscience, de circulation, de manifestation, dans un contexte où la surveillance des foules est mise en exergue.
Dans ce contexte, l’enjeu des acteurs publics œuvrant à ce projet est de taille : obtenir, mais surtout conserver la confiance des citoyen.ne.s pour l’utilisation de leurs données pour l’intérêt général.
Vidéoprotection ou vidéosurveillance ? Le conflit entre protection citoyenne et protection de la vie privée
Il semble intéressant de souligner que, d’un point de vue sémantique, les termes repris par les différents acteurs municipaux sont différents : si la Droite préfère généralement parler de systèmes de « vidéoprotection », la Gauche et ses opposants parlent plutôt de « vidéosurveillance ». Il s’opère donc déjà un conflit autour de l’utilisation généralisée de ces dispositifs. D’ailleurs, l’un des arguments de l’opposition est d’affirmer que les caméras de surveillance n’auraient pas nécessairement une grande efficacité sur le taux de délinquance de la ville. En effet, les débordements et dégradations du centre-ville, au cours des manifestations qui ont lieu chaque semaine, suffisent à faire douter du pouvoir dissuasif de ces dernières.
En 2019, Toulouse prenait la neuvième place dans le classement des villes de plus de 100 000 habitants ayant le plus grand nombre de dispositifs de surveillance. Le maire de Toulouse, en pleine campagne pour les élections municipales de 2020, a par ailleurs confirmé sur son compte Twitter la volonté d’en installer 100 de plus d’ici la fin de son mandat, toujours dans le but de « protéger les toulousains » comme il le répète à plusieurs reprises (vidéo ci-dessous).
En outre, la mairie de Toulouse argumente en mettant l’accent sur la capacité des outils de vidéo-protection à contribuer à la résolution d’enquêtes et sur son utilité pour les victimes. Depuis 2016, le poste de contrôle vidéo a saisi la police 2 257 fois après avoir repéré un comportement suspect sur la voie publique. En 2017, le Capitole affirmait que les réquisitions d’images vidéo dans le cadre d’enquêtes de police sont passées de 73 à 385 depuis le début de l’implantation du réseau. En 2018, la police nationale a procédé à 1 418 réquisitions d’images auprès du Centre municipal de vidéoprotection urbaine (CVU), soit presque 2 fois plus qu’en 2017. La mairie insiste également sur un autre service rendu par la vidéoprotection : le secours à la personne, soit près de 207 cas en 2018.
Remise en cause de la protection citoyenne : des dispositifs liberticides ?
De leur côté, les personnes qui sont contre ces dispositifs avancent notamment 2 arguments.
Premièrement, de nombreuses études auraient démontré que ces dispositifs n’auraient pas d’effets avérés sur le taux de criminalité ou de délinquance.
En effet, selon le sociologue et chercheur Laurent Mucchielli, pour mesurer l’impact de la vidéosurveillance sur le taux de délinquance, il faudrait savoir, parmi ces réquisitions d’images, combien ont vraiment joué un rôle dans l’interpellation d’un individu. Toujours selon ses recherches, ils représentent 1 à 3 % des cas étudiés par le sociologue, un chiffre qui est loin de justifier les investissements réalisés par les communes de Toulouse Métropole : 9,7 millions d’euros depuis 2014 à Toulouse, où près de 400 caméras sont actuellement opérationnelles. Quant à la détection de faits de délinquance en direct, là encore d’après le chercheur niçois, le constat est sans appel :
« Elle est si faible qu’aujourd’hui, le système est détourné pour faire de la vidéo-verbalisation d’infractions routières. Et quand il s’agit de sécuriser une zone précise, comme un point de trafic de stupéfiants, les caméras ne font que déplacer le problème. »
Pour les instances gouvernantes, il s’agit d’offrir une plus grande protection aux citoyen·ne·s, une ville plus sûre. Mais faut-il pour autant renoncer à l’anonymat ? De tels systèmes supposent de se nourrir de toujours plus de données, et plus spécifiquement de données personnelles.
D’après Jean-François Mignard, de la Ligue des Droits de l’Homme Midi-Pyrénées, la surveillance est un engrenage. Ce dernier pointe du doigt les nouveaux dispositifs qui ont fleuri après les caméras de surveillance : caméra haut-parleur à la Daurade, applications pour dénoncer les incivilités de ses voisins, numéro vert contre les voiries encombrées, les incivilités et les questions de propreté, algorithmes de détection par IBM, caméras thermiques au bord de la Garonne… Dans un article de la Dépêche parût en 2018, il s’exprime : « On rentre dans l’ère de Big Brother. C’est une dérive au détriment des libertés publiques. »
Installées en 2017, les caméras haut-parleur de la Daurade permettent à l’agent qui voit l’infraction depuis le poste de contrôle vidéo, de s’adresser au contrevenant via le haut-parleur qui a été ajouté à la caméra déjà existante. Pour avoir personnellement rencontré la situation une fois avec des amis, j’avoue être restée sans voix face au rappel à l’ordre venant d’en haut… sans que je ne sache vraiment d’où. Il est vrai que ce dispositif a un côté très voyeur et intrusif, surtout quand on ignore sa présence. D’après Olivier Arsac, l’adjoint au maire chargé de la sécurité, « ça marche et c’est plus doux qu’une verbalisation ». Ce dispositif, qu’il qualifie de « drôle et original », pourrait s’étendre à plusieurs endroits de la ville.
Or, tous ces dispositifs de surveillance posent des questions de l’ordre de l’éthique. L’algorithme de détection de la société IBM risque-t-il de démultiplier les discriminations structurelles déjà subies par celles et ceux qui vivent dans les quartiers pauvres ? Par ailleurs, il soulève un autre problème : le risque de faux-positifs dans la détection des comportements suspects et des infractions.
Par ailleurs, il semblerait que le recours à ce type de dispositifs, toujours plus performants, se généralise partout sur le territoire français. Par exemple, lors du dernier carnaval de Nice, la reconnaissance faciale a été testée sur des volontaires. À Saint-Etienne, il y a même eu un projet pour expérimenter l’audio-surveillance afin de détecter les bruits suspects, avant d’être annulé sur avis de la CNIL. Sur le plan de la liberté d’expression, d’opinion, de conscience, de circulation, de manifestation, le projet pose également question, tant la surveillance des foules est mise en exergue.
Pour dénoncer les dérives de la surveillance massive dans le contexte des smart cities, la Ligue des Droits de l’Homme a lancé en 2019 la campagne Technopolice, ainsi qu’une plateforme ayant pour but de documenter le déploiement des projets de surveillance à travers le pays. L’autre enjeu de cette campagne est de parvenir à organiser des résistances locales, en les fédérant.
Ces dispositifs de surveillance, tels qu’on a pu les voir, posent des questions sur nos libertés individuelles : pourra-t-on se joindre à un événement culturel ou une réunion politique sur la voie publique sans risquer d’être fiché ? Autoriserons-nous partout en France la reconnaissance faciale ?
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2 thoughts on “Toulouse « ville intelligente » : protection ou surveillance à l’ère du digital ?”