L’affaire O.J Simpson et Les Cinq de Central Park, deux affaires judiciaires ayant marqué les États-Unis continuent de faire parler d’elles près de 30 ans après les faits. Si ces affaires ne sont pas tombées dans l’oubli et marquent encore les esprits aujourd’hui c’est principalement parce qu’elles ont été adaptées en série et qu’elles ont connu un grand succès. Encore aujourd’hui, il y a un rebond d’intérêt pour le True Crime, le fait divers, déjà à la mode dans les années 1980/1990. Il existe, depuis toujours, une fascination morbide pour les crimes de sang. Le mystère autour de ces affaires suscite un intérêt certain du public, un intérêt presque malsain. Les médias, l’opinion publique ainsi que les tensions raciales qui dominent le pays ont tous joué un rôle important dans ces deux affaires judiciaires.
La série a rassemblé 5.11 millions de téléspectateurs le soir de sa diffusion sur la chaîne câblée FX et a généré 6 à 8 millions de téléspectateurs chaque semaine.Netflix a annoncé sur son compte twitter officiel que la série a été la plus regardée sur Netflix aux États-Unis chaque jour depuis sa diffusion le 31 mai 2019.
Médias et opinion publique : comment l’influence mutuelle est-elle représentée dans la mécanique fictionnelle ?
Denis Salas
“Autour de la justice et au sein même de son activité gravitent les sommations multiples et déstabilisantes, souvent contradictoires du tribunal de l’opinion. Celle-ci est une représentation construite par les sondages, la presse, les médias de masse (et les discours qui s’y affrontent) qui s’appuie sur les sentiments d’une population. La conquête de l’opinion est l’enjeu de stratégies destinées à peser sur les décisions et à discréditer l’autre partie hors de tout cadre procédural.”
Les propos de Denis Salas, magistrat et essayiste, illustrent parfaitement les grands enjeux des procès médiatisés ainsi que les rôles d’influence des différents acteurs.
En 1995, O.J. Simpson, alias “The Juice”, ancien footballeur américain et véritable star aux États-unis, est accusé d’avoir tué son ex-femme. La série The People v. O.J. Simpson retrace l’histoire de cette affaire qui a profondément divisé l’Amérique. Elle a été largement médiatisée à l’international dans un contexte de tensions raciales exacerbées.

Un chiffre marque tout d’abord la profonde division raciale qu’a suscité le procès : 70%. C’est le pourcentage d’américains blancs qui pensaient O.J. coupable mais c’est aussi le pourcentage d’américains noirs qui le disaient innocent.
La série s’ouvre sur des images d’archives de manifestations datant de 1991. A l’époque, la communauté afro-américain s’était largement mobilisée après l’acquittement de quatre policiers blancs qui avaient roué de coups Rodney King, un homme noir. Ces images montrent l’impact que peuvent avoir les décisions judiciaires sur l’opinion publique et sur les mouvements sociaux. Dans une atmosphère de tensions raciales encore brûlantes, la communauté afro-américaine refuse d’être confrontée à une nouvelle décision judiciaire partiale et raciste. A l’inverse, la série met aussi en lumière les rapports de domination et les différents éléments qui influencent la justice. Médias, justice et opinion publique s’influencent mutuellement.
Réalisée par Ava DuVernay, la série When They See Us (Dans leur regard en VF) retrace également un procès qui a largement divisé les Etats-Unis sur fond de racisme institutionnel. A l’époque, cinq adolescents noirs ont été jugés et reconnus coupables du viol d’une femme blanche dans Central Park. Elle aussi est inspirée de faits réels. La série décrypte l’atmosphère de peur et de tensions raciales à l’œuvre dans le New York des années 1980.

Elle est diffusée en 2019, Trump est alors président des États-Unis. A l’époque de l’affaire, en 1989, il tient également un rôle important dans la ville de New York. Il possède une énorme fortune et est très influent. Durant le procès, il a acheté de la publicité dans de grands magazines où il demandait le retour de la peine de mort pour ceux que l’on a appelé Les Cinq de Central Park. Il participe à fomenter le sentiment d’insécurité à l’œuvre dans le New York des années 1990. Il utilise les médias qui, eux-mêmes, ont un impact direct sur l’opinion publique. L’avocat des jeunes adolescents dira d’ailleurs que Trump a empoisonné l’esprit des américains et surtout des américains blancs qui ont développé un très fort sentiment de haine pour les accusés. Les Cinq étaient réellement présentés comme des sauvages dans les médias.
Contrairement aux médias de l’époque, la série place le téléspectateur ou la téléspectatrice du côté des victimes et de leur famille. Elle décrit la souffrance et l’injustice et participe à développer un sentiment empathique envers les cinq garçons. Elle pousse à la compréhension du mécanisme de racisme, de haine et de manipulation orchestré durant l’enquête et durant le procès. Pendant l’affaire, la machine médiatique a opté pour le procédé inverse.
La partialité de l’enquête découle manifestement du racisme de la police, de l’opinion publique, de la justice et des médias. La position majoritaire, du début de l’enquête jusqu’à la fin du procès, a été de nier la possible innocence des jeunes et de ne jamais remettre en cause leur culpabilité.
Les prémices de l’info-spectacle Dans les deux séries, la notion d’info spectacle est très présente. Dans The People v. O.J. Simpson, la figure publique de l’accusé en fait déjà un sujet particulièrement vendeur pour les médias. Chaque rebondissement devient vite un objet de fascination pour le public. Le procès est l’un des premiers à avoir été télévisé. En résulte une peopolisation de l’affaire. La représentation du procès dans la série annonce l’arrivée de la télé-réalité et de l’infotainment, un mélange entre information et divertissement. Dans la série, tous les personnages sont reçus dans l’émission du célèbre journaliste Larry King diffusée sur CNN. La justice doit faire face à un sensationnalisme inédit dans un procès. |
La réception : des séries d’actualité?
Les deux séries ont connu un grand succès autant auprès des publics qu’auprès des grandes instances de l’industrie audiovisuelle.
Ainsi, la série The People v. O.J. Simpson a été nominée à plusieurs reprises au Emmy Awards et a remporté le Golden Globes pour la meilleure série télévisée en 2016. Quant à When They See Us, la série a cumulé 5 nominations aux Emmys Award dont la récompense du meilleur acteur dans une mini-série pour Jharrel Jérôme, l’un des acteurs principaux.

À gauche : O.J Simpson durant son procès. À droite : Cuba Gooding Jr dans le rôle d’O.J Simpson dans la série The People v. O.J. Simpson
Pour autant, ces succès ne s’expliquent pas pour les mêmes raisons.
Dans la série sur l’affaire OJ Simpson, ce qui explique en grande partie le succès est dans un premier temps le choix des acteurs et actrices. En effet, des acteurs et actrices déjà mondialement connus dans les rôles principaux comme Sarah Paulson, Cuba Gooding Jr, John Travolta ou encore David Schwimmer.
Pour When They See Us, la majorité des acteurs n’ont pas ou que très peu d’expérience, mais les problématiques évoquées, à savoir les oppressions des communautés afro-américaines et latino-américaines dans le système médiatique et judiciaire, entrent en résonance avec le mouvement Black Lives Matter. Représenter et diffuser d’anciennes affaires judiciaires comme celle-ci, qui font écho à la criminalisation des minorités ethno-raciale aux États-Unis dans un contexte de tensions sociales, permet de toucher une toute autre génération. Une génération qui était à l’époque trop jeune ou pas encore née et qui évolue aujourd’hui au sein des réseaux sociaux dans lesquels les mouvements de contestation comme BLM prennent vie.
Ces séries inspirées de faits réels ont un impact non seulement sur le public mais également sur les personnes directement concernées par ces affaires. Ainsi, Linda Fairstein la procureure en charge de l’enquête sur les Cinq de Central Park à l’époque, a porté plainte contre Netflix pour diffamation, la série aurait porté atteinte à son intégrité personnelle et professionnelle. Elle démissionne du conseil d’administration du Vassar Collège à cause du nombre d’indignations qu’a suscité la série. Le gardien de prison référent d’O.J Simpson déclare que ce dernier aurait mal réagi à la sortie de la série et qu’il aurait été agacé d’avoir été dépeint comme le coupable d’un double meurtre. Le podcast Histoire en séries The People v. O.J. Simpson revient sur la question raciale aux États-Unis notamment dans le système judiciaire et médiatique et explique que les affaires de crimes incriminant des afro-américains continuent à diviser le pays, faisant écho au contexte social et politique en juin 2020.