« 70,5 % des séries pendant la pandémie avaient un personnage principal noir, contre 65,8 % avant ». Tel est le résultat de l’étude menée par la Variety Business Intelligence en 2021. Ces chiffres sont assez révélateurs de l’évolution de la représentation des personnages noirs depuis ces dernières années, qui ont pris une place de plus en plus importante dans les productions. En effet, les acteurs et actrices noirs deviennent ainsi majoritaires dans les castings, arborant désormais de plus en plus de rôles principaux, et faisant même l’objet de réadaptations, à l’image de Lupin ou La Chronique de Bridgerton, en incarnant même des rôles normalement attribués à des personnages blancs.
Cet accroissement de séries mettant en scène des afro-américains à l’écran pose une question : celle de leur représentation et de l’impact que Black Lives Matter a pu avoir dessus.
Vers de meilleures représentations?
Les auteurs de l’étude affirment en effet que « Depuis l’arrivée du Covid-19 et après le meurtre de George Floyd, il y a eu de plus en plus de discussions dans les industries du cinéma et de la télévision concernant la représentation et un mouvement pour diversifier les talents à l’écran […] la pandémie et une conscience accrue d’un besoin de justice sociale et raciale ont permis de mettre en lumière sur les disparités inhérentes à plusieurs communautés sous-représentées ».
Quelques séries, notamment depuis Black Lives Matters, tendent à faire une meilleure représentation des afro américains, autant au niveau du casting, qui se veut plus représentatif de la société américaine, que par une réelle prise en compte de la couleur de peau des personnages et des difficultés que cela peut entraîner. Ces séries prennent donc le pas sur les stéréotypes habituels, pour proposer une représentation plus complexe et consciente des personnages noirs: une représentation dite color-consciousness, c’est-à-dire qui prend en compte la couleur de peau et l’impact que cela peut avoir sur l’individu.
Brooklyn Nine Nine en est un exemple. En effet, cette série, qui se veut assez progressiste au niveau des représentations des minorités fait par exemple écho à travers le personnage de Raymond Holt à la difficulté d’être un policier noir et homosexuel. Elle aborde également d’autres sujets comme le profilage racial lorsque dans l’épisode 16 de la saison 4, Terry Jeffords, un policier afro-américain de la brigade, est arrêté par un policier dans son quartier alors qu’il cherchait le doudou de sa fille. Scène à laquelle fait écho cet interview.
De même, dans la série Lucifer, Amenadiel réalise qu’être afro américain à Los Angeles constitue un réel danger après qu’il ait été menacé par un policier avec un pistolet. Des séries comme Ginny et Georgia permettent également de prendre conscience de la difficulté d’être métisse aux Etats-Unis, et de toutes les discriminations et problèmes identitaires que cela peut entraîner, tout comme la série Dear White People.
Ces séries color-consciousness, ont fortement été influencées par le mouvement Black Lives Matter qui leur a permis de donner une plus grande ampleur à leur discours. Dans la série Dear White People par exemple, Reggie est menacé par un policier blanc armé dans le campus, pour mettre en exergue le racisme qui existe dans la résidence. Il est aussi à noter que la dénonciation de ces injustice se fait souvent à travers les personnages les plus appréciés des spectateurs de ces séries, à l’image de Reggie (Dear White People), Poussey (Orange is The New Black), Amenadiel (Lucifer) ou encore Terry Jeffords (Brooklyn Nine-Nine) pour ainsi marquer davantage la conscience du spectateur et lui montrer que ces injustices touchent tout le monde.
Samira Wiley, l’interprète de Poussey dans Orange is The New Black se confie sur le choix de la mort de son personnage par les scénaristes: « Jenji Kohan et Tara herrmann m’ont dit à quel point mon personnage est aimé et, le fait que c’est elle qui a le plus de potentiel pour une vie à l’extérieur de la prison […] Elles voulaient que ça fasse mal. Que ce problème imprègne notre culture… certaines personnes ferment les yeux sur les choses qui se passent dans nos prisons et dans notre monde et Black Lives Matter et tout ça ». La mort de Poussey a en effet suscité de nombreux mécontentement de la part des fans qui ont d’ailleurs créé un hashtag #PousseyDeserveBetter et une cagnotte au nom de Poussey Washington a d’ailleurs été créé pour aider les détenus et réformer le système carcéral, preuve que la fiction a fait réagir et a mené à une prise de conscience.
On voit donc avec ce genre de représentations, une véritable volonté de politiser l’appartenance raciale et de dénoncer les inégalités pour rendre compte de la condition des personnes afro-américaines aux Etats-Unis.
Représenter pour représenter ?
Mais bien que l’inclusion des minorités dans les médias soit une initiative plus que révolutionnaire, cela peut contribuer à créer ce qu’Eric Macé appelle des “néo-stéréotypes”. En effet, à force de vouloir faire des représentations positives, les séries peuvent tomber dans des représentations dites superficielles. Dans certaines d’entre elles, en effet, les personnages afro-américains ne se résument qu’à leur seule présence, comme preuve de la représentation de la diversité. C’est ce qu’Eric Macé appelle, dans l’ouvrage Visible Minorities » to Neo‑Stereotypes: The Stakes of Systems of Televisual Monstration of Ethno-Racial Differences, le « non stéréotype » qu’il définit comme “ lorsqu’un non‑blanc apparaît comme figurant muet, en arrière plan et sans qualité particulière, d’une fiction ou d’un public de plateau.”
Dans la série Riverdale par exemple, le personnage de Toni Topaz, qui est un des seuls personnages noirs de la série, n’est qu’un personnage secondaire, qui est au service de l’intrigue des protagonistes majoritairement blancs. C’est un personnage dont on sait très peu de choses, du moins dans les premières saisons, et qui est un personnage neutre, dont on ne fait peu ou pas état de sa couleur de peau. Toni semble être là en tant que simple représentante de la diversité.
Vanessa Morgan, l’interprète de Toni, s’est d’ailleurs prononcée face à cela en dénonçant la représentation des personnages noirs dans les séries, déplorant qu’ils sont souvent utilisés comme « des faire-valoir unidimensionnels dans l’objectif de mettre en valeur des héros blancs » et pour « apporter de la diversité », sans ne jamais être utilisés correctement dans le récit ». Vanessa Morgan a d’ailleurs dénoncé cela dans un tweet publié juste après la mort de George Floyd. Ce à quoi le producteur de la série Roberto Aguirre-Sacasa a répondu en promettant une meilleure représentation des personnages afro américains dans les saisons à venir.


The Handmaid’s tale: une série non raciste ?

Dans The Handmaid’s Tale, les personnages de Moira et de Luc, blancs à l’origine dans le roman, ont été remplacés par des acteurs afro-américains, modifiant ainsi le discours de la série pour en faire une série “non raciste”. En effet, cette série, inspirée par le roman de Margaret Atwood met en scène le régime de Gilead, un régime totalitaire sectaire où les homosexuels, les déficients mentaux et les enfants de cham, en d’autres termes les afro-américains sont condamnés et éliminés.
Or, Bruce Miller, le scénariste, a décidé de gommer le racisme à Gilead, refusant de faire une série raciste, pour inclure des personnages noirs à la série. Selon lui, « La série se déroulant de nos jours, et non en 1985, le changement semblait nécessaire. Ce fut une très grande discussion avec Margaret sur la différence entre ‘Il n’y a pas de gens de couleur dans ce monde’ et ‘voir un monde tout blanc à la télévision’ : l’impact est très différent. » Samira Wiley de son côté affirme qu’ « on veut pouvoir aborder les problèmes de racisme, par moments, sans avoir une série raciste qui n’impliquerait aucun acteur noir ou de couleur ».
Or, inclure des acteurs ou actrice noires pour montrer que la série n’est pas raciste, paraît une décision assez équivoque de la part du scénariste. En effet, bien que Bruce Miller veuille faire une série non raciste et représenter la diversité, la question se pose de savoir si les acteurs noirs ici ne contribuent-ils pas qu’à incarner la présence de diversité dans la série et son non-racisme. Effectivement, es personnages de Moira et Luc sont d’ailleurs des personnages secondaires, totalement neutralisés et pourraient être véritablement de n’importe quelle couleur, puisqu’on ne fait jamais référence à la difficulté d’être noir à Gilead.
La question se pose alors de savoir si ces séries qui apparaissent de prime abord progressistes par la représentation de la diversité et par leur engagement politique, le sont réellement ou sont en réalité de simples arguments de vente pour faire croire à une diversité. Chose qui a d’ailleurs été reproché à Plan Coeur accusée d’utiliser des sujets féministes pour faire seulement de l’audience.
Politiser ou ne pas politiser: telle est la question
D’autres séries, à l’image de La Chronique de Bridgerton optent pour des représentations dites colorblindness, c’est-à-dire gommant la couleur de peau et les discriminations qui peuvent y être liées. La série met en effet en scène des membres de l’aristocratie britannique avec des acteurs racisés sous le règne de la reine Charlotte, qui est elle-même jouée par une actrice guyanaise, détournant ainsi complètement la réalité historique. Anachronisme qui lui a d’ailleurs été beaucoup reprochée.
« Ça ne passe pas…Londres au début du XIXe siècle, une reine et des aristocrates noirs, ce n’est pas possible, je n’arrive pas a entrer dans cette histoire […] Je ne sais pas s’il y a un message dans le choix du casting, mais j’avoue ne pas l’avoir trouvé. Mon imagination n’est sans doute pas assez puissante pour faire abstraction du contexte historique […] À cette époque les gens de couleur étaient cantonnés aux rôle de domestiques en Angleterre, ou à celui d’esclaves. C’est horrible, injuste, mais on ne peut pas gommer les erreurs de l’histoire. »
commentaire anonyme issu d’un article de The Conversation
Shonda Rhimes, la productrice de cette série est reconnue pour faire des séries avec un casting inclusif, et des colourblind castings, c’est-à-dire, de distribuer les rôles aux acteurs sans prendre en compte leur appartenance ethnoraciale. Chose qu’elle a déjà expérimenté dans d’autres de ses séries à l’image de Grey’s Anatomy, donnant le rôle de médecin en chef à des personnages noirs ou métisses pour « mettre en avant des acteurs.rice.s noir.e.s dans tous les rôles, et pas ceux dans lesquels Hollywood les cantonne (criminels, esclaves, seconds rôles à peine esquissés…) » selon l’article La chronique des Bridgerton » : quand la créatrice de « Grey’s Anatomy » révolutionne la diversité à la télé .
Ces représentations peuvent néanmoins mener à une représentation un peu idéalisée de la réalité, mettant en scène des personnages noirs à des postes haut placés socialement, ici notamment à des statuts de ducs et de reine, sans évoquer les difficultés que ceux-ci ont dû connaître pour en arriver là. C’est ce qu’Eric Macé nomme le « contre-stéréotype », lorsque la couleur de peau est gommée au profit d’une neutralité dans le récit, et lorsqu’il n’est en aucun cas fait écho des discriminations que peuvent subir ces personnages, donnant ainsi à voir une représentation ethnoraciale apolitique.
Mais cela pose désormais la question de la nécessité de la politisation des représentations des minorités. Doit-on politiser la présence de personnages noirs en parlant des injustices auxquelles ceux-ci peuvent faire face à cause de leur couleur de peau ou bien choisir des représentations apolitiques, pour avoir un casting plus représentatif de la diversité de la société américaine et permettant à chacun de s’identifier à un personnage qui lui ressemble ? C’est ce que Diane Harriford, professeure en sociologie, questionne dans cette vidéo.
La question divise en effet. Politiser les représentations peut permettre de mettre en lumière des problématiques raciales et mener à une prise de conscience voire peut être à de potentiels changements, mais qui enferment les afro-américains dans des rôles qui font exclusivement référence aux discriminations auxquelles ils peuvent faire face, même s’il est important d’en parler.
Les représentations color-blind d’un autre côté gomment la couleur de peau au profit de rôles plus inclusifs, qui ne cantonnent plus les acteurs ou actrices noires à des rôles bien spécifiques mais leur donnant la possibilité de jouer n’importe quel rôle. Idée que défendaient d’ailleurs les seize actrices française dont Aïssa Maïga dans le livre Noire n’est pas mon métier, dans lequel elles protestent contre des rôles exclusivement distribués à des acteurs ou actrices noirs. Stuart Hall, soutient également dans son ouvrage « Identités et cultures. Politiques des cultural studies » que les personnages noirs à l’avenir devraient ne plus devoir jouer le » gentil » ou le « méchant » mais bien n’importe quel rôle, comme les acteurs blancs, pour ainsi gommer les disparités raciales.
Cependant, les représentations color-blind peuvent également être considérées comme racistes par certains, car en floutant la couleur de peau, elles peuvent contribuer à invisibiliser les discriminations raciales et mener à un » déni d’ethnicité », niant ainsi la nécessité des luttes raciales.
Les représentations des personnages noirs se sont ainsi globalement améliorées depuis Black Lives Matters, signe que l’industrie est prête à s’engager politiquement pour de meilleures représentations de la diversité. Néanmoins de nouveaux stéréotypes apparaissent, témoins d’une volonté de représenter la diversité uniquement à des fins purement marketing, avec des personnages qui ne sont que de simples faire-valoir de la diversité. Quelles sont donc les raisons qui poussent les industries à vouloir représenter la diversité: un réel engagement ou un simple intérêt économique? Problématique à laquelle tente de répondre cet article.