Category Archives: Non classé

accueil, Non classé

Quand une minorité en cache une autre

Quand une minorité en cache une autre

Bienvenue en Seine-Saint Denis, le pays du béton et du chômage.” Pour le film L’ascension sorti en 2017, le contexte est posé. Adapté librement du livre Un tocard sur le toit du monde, lui-même inspiré de l’expérience réelle de l’auteur de l’ascension de l’Everest sans aucune expérience en alpinisme en 2008, le film rencontre un succès incontestable : ovationné lors de sa projection au Festival de l’Alpe d’Huez, il y remporte le Grand Prix ainsi que le Prix du public. Problème : si le livre parle de l’expérience d’un jeune adulte franco-algérien et de son rapport à la hiérarchie sociale, le film, adapté par le réalisateur Ludovic Bernard, choisit de se centrer sur le parcours d’un jeune Sénégalais qui réalise un exploit par amour. Choix conscient, coïncidence ? Toujours est-il que, de la visée assumée politique et pédagogique du récit de Nadir Dendoune, la presse retient surtout un feel-good movie sur une aventure sportive et humaine. Comme le titre le journal Respect : “Oubliez l’ascenseur social, grimpez des sommets.” Y aurait-il une fonction politique au remplacement d’une minorité ethno-raciale par une autre ? Quel lien peut-on trouver entre dépolitisation, et transposition d’un personnage d’une minorité vers une autre ? 

L’ascension, Intouchables : quand les personnages arabes deviennent noirs

De toutes les modifications effectuées lors du passage du récit du papier à l’écran, la plus évidente est sûrement celle du changement d’origine du personnage. Nadir Dendoune raconte son expérience personnelle de jeune de banlieue franco-algérien ; le réalisateur Ludovic Bernard choisit cependant de rendre le personnage principal, Samy Diakhaté (interprété par Ahmed Sylla) sénégalais. Ce n’est pas le premier film à effectuer cette transposition. En 2011, lors de la sortie du film Intouchables, on avait pu découvrir que le rôle d’Abdel Yasmin Sellou, lui aussi d’origine algérienne, avait été remplacé par un personnage sénégalais nommé Driss et interprété par Omar Sy. D’arabes, les personnages sont devenus noirs. 

Nadir Dendoune lors de son ascension de l’Everest en 2008, et Ahmed Scially dans le rôle de Samy. En-dessous, Philippe Pozzo di Borgo et Abdel Sellou, puis les personnages qui en sont inspirés, Driss et Philippe.

Ici, le récit sur lequel se base le film raconte l’histoire d’un exploit inédit pour la communauté franco-arabe : Nadir Dendoune est en effet le premier franco-algérien à gravir l’Everest.

Même si l’on ne peut parler, pour aucun de ces deux films, de réelle invisibilisation des personnes arabes – on en retrouve plusieurs dans les personnages secondaires – la question se pose : pourquoi refuser à cette communauté des rôles positifs ? Deux minorités ethno-raciales peuvent-elles réellement être représentées de manière interchangeable ? Montre-t-on de la même manière les personnages arabes et les personnages noirs ? 

Même banlieue, mêmes combats, même représentation ? 

Historiquement, la représentation des minorités arabes et noires s’est souvent rejointe dans l’histoire du cinéma français dans un genre spécifique appelé cinéma de banlieue. Dans ces films, les deux minorités sont représentées équitablement puisqu’elles sont toutes deux placées au même niveau de la hiérarchie sociale : en bas, avec tout ce que ça implique de violence sociale et de discrimination. L’ascension possède plusieurs caractéristiques de ces “films de banlieue” : l’espace urbain de la banlieue comme toile de fond, et un de ses habitants comme personnage principal. 

La banlieue parisienne (ici, La Courneuve), c’est tout le quotidien de Samy avant son exploit : c’est là qu’il a grandi  et c’est de là qu’il part ; c’est aussi là qu’on suit ceux qui sont restés et dont le quotidien se trouve révolutionné par cette aventure. À la fin, quand il se trouve au sommet de l’Everest, Samy brandit une pancarte portant l’inscription 93, correspondant au département de la Seine-Saint-Denis. « Rendre fier le 93« , voilà l’intention première de Nadir Dendoune avec son exploit, son récit et, finalement, ce film.

La représentation à l’écran de l’espace urbain de la banlieue a souvent été porteuse d’enjeux politiques. À travers des films tels que La Haine, L’Esquive ou plus récemment Divines, le cinéma dit de banlieue s’est  progressivement construit comme la tribune d’une communauté socialement dominée, composée majoritairement de minorités ethno-raciales (principalement arabes et noires), à laquelle la  fiction offre une profondeur psychologique en contraste avec la plupart des représentations médiatiques.

Celui qui cite Annie Ernaux en affirmant écrire pour venger sa race de « fils de prolo » et d’habitant de quartier populaire, affiche une démarche de réappropriation de récit par les habitants des quartiers qui rentre parfaitement dans la lignée des films de banlieue tels qu’on les connaît depuis les années 80. L’ascension c’est donc, avant d’être une question de race, une question de classe sociale. La transposition du personnage de franco-algérien à sénégalais a donc du sens, dans une certaine mesure, puisque le film aborde la question de la difficulté d’ascension sociale commune à ces deux communautés dans les banlieues.

Nadir Dendoune pour TV5Monde, « On ne guérit jamais de l’exil »

Divines, film franco-qatari réalisé par Houda Benyamina, sorti en 2016.

Des stéréotypes différents

À ce jour, les minorités ethno-raciales sont toujours victimes de discrimination et cela se reflète dans leur représentation à l’écran. Ce qui rend problématique la transposition d’origine du personnage de Samy, c’est le fait que ces minorités subissent des discriminations différentes. L’ascension ne semble pas aller autant à contre-courant des stéréotypes raciaux qui persistent dans le cinéma qu’il le pourrait.

Si une étude du CSA datant de 2019 montre un certain progrès dans la diversité des origines à la télévision, elle dénote malgré tout une augmentation de la représentation des personnes perçues comme noires (50%, contre 45% en 2016) et un recul pour les personnes perçues comme arabes qui passent de 25% en 2016 à 19% en 2018. À cela, on peut ajouter le fait que les personnages arabes sont plus de deux fois plus présents lorsqu’il s’agit d’une représentation de la délinquance et de la criminalité (13% des personnages perçus comme noirs, contre 28% pour les personnages perçus comme arabes). 

La représentation des personnes noires a également  longtemps été traversée de stéréotypes raciaux (bien que celle-ci ait été sujette à plus de variations que celle des personnes arabes). Actuellement, le trope le plus courant pour les personnages noirs masculins est celle du superhéros et du personnage drôle et bienveillant (dont la figure principale en France est l’acteur Omar Sy, grâce à des rôles comme celui de Driss dans Intouchables), conséquence d’une volonté d’Hollywood d’inverser les rôles positifs. Ces représentations impliquent pour les personnages une morale infaillible, et elles sont souvent relativement dépourvues de revendications politiques fortes. On peut y reconnaître le personnage de Samy : généreux, courageux, il n’abandonne jamais face à la difficulté de l’épreuve ; au quartier, il ne réagit jamais aux remarques de ses amis sur la drogue. C’est un personnage au cœur pur, sans faille.

Dans ce contexte, il est légitime de se questionner sur le fait de rendre le personnage de Samy sénégalais au lieu de franco-algérien ; et sur la manière dont, à plusieurs reprises, le réalisateur met en scène les personnages perçus comme arabes (notamment ceux d’Amir El Kacem et de Rabah Nait Oufella) parlant de trafic de drogue ou proposant à Samy du cannabis. Bien sûr, le film étant une comédie, ces quelques stéréotypes sont relayés sur le ton de l’humour.  Cependant, au vu de ces dernières études, on peut se demander si ces blagues sont véritablement bienvenues ou si elles ne font que perpétuer des stéréotypes déjà bien ancrés dans le cinéma français. 

Une occasion manquée

Même si L’ascension offre une vision rafraîchissante de la banlieue, en accord avec la volonté de Nadir Dendoune de se débarrasser du fantasme “condescendant” de celle-ci de la part de personnes qui “ne franchissent jamais le périphérique”, il est regrettable de constater que le film, pourtant basé sur un récit écrit avec une intention si ouvertement politique et une symbolique si forte, n’exploite pas complètement son potentiel.

Dans une société où les acteurs arabes se voient donc le plus souvent attribuer des rôles de criminels, tandis que les personnes noires bénéficient d’un relatif contre-stéréotype dans lequel ils sont représentés comme moralement infaillibles et héroïques, il aurait été rafraîchissant de voir un acteur arabe, surtout dans le cadre d’une histoire positive, même d’un exploit, concernant directement la communauté franco-arabe. C’est d’autant plus étonnant lorsque l’on sait l’engagement politique de l’auteur, et sa connaissance de la représentation limitée des personnes arabes dans les médias.

«Sans faire pleurer dans les chaumières, nous, les Arabes, on nous voit au mieux comme des footballeurs ou des rappeurs, au pire comme des dealers. Jamais en chef d’orchestre ou danseur étoile, par exemple» Nadir Dendoune pour Libération, le 20 janvier 2017.

Si l’on ne peut pas lier directement la changement d’origine du personnage principal à la diminution de l’impact politique du film, il est certain que cela a amoindri son potentiel subversif. Du « message politique fort » que Dendoune voulait adresser à la France, la plupart des articles de presse retiennent un feel-good movie ; un film ‘réjouissant”, “à faire fondre le critique endurci”, une “comédie qui allie escapade dépaysante et aventure humaine”, un “long-métrage tendre et cocasse”. Le journal Télérama va même plus loin, affirmant que grâce au réalisateur Ludovic Bernard, le film “s’affranchit des revendications sociales pour s’intéresser d’assez près à l’aventure humaine et sportive en tant que telle.” Peut-être la réception aurait-elle été différente si l’auteur avait lui-même réalisé son film.

En attendant, Dendoune continue d’essayer de changer l’image des habitants de quartier, livre par livre, film par film. En 2017, il publie Nos rêves de pauvres ; l’année suivante, il sort Des figues en avril, un documentaire dressant le portrait de sa mère Messaouda qui vit seule en banlieue parisienne. Le journaliste, devenu auteur et réalisateur, avait prévenu : « Je ne serai jamais traître à mon quartier. »

accueil, Non classé

Gossip Girl 2.0

Spotted sur les marches du Met : la chute spectaculaire de Gossip Girl 2.0

Casting et intrigues plus inclusives, conscience nouvelle des inégalités sociales, tout en gardant le “même ADN que l’original” : sur le papier, Gossip Girl 2.0 avait tout pour plaire. Pourtant, journalistes et fans de la première heure s’accordent à dire que le reboot est une déception. Après un succès initial fulgurant, la série qui, en moins d’une semaine, avait battu tous les records d’audience de la plateforme (555000 spectateurs pour le premier épisode) et engendré des milliards de réactions sur les réseaux sociaux  (numéro 1 des trendings topics sur Twitter, 15 milliards de réactions sur TikTok le jour de la sortie) s’est rapidement retrouvée au coeur de nombreuses critiques.

La promesse d’une série plus inclusive

Dans une interview accordée à Variety en février dernier, celui qui succéda à Josh Schwartz en tant que showrunner de la série Gossip Girl avait annoncé que les nouveaux personnages seraient “aux prises avec leur privilège d’une manière qui était absente de la version originale,” en alignement avec la volonté de la production de s’adapter aux préoccupations actuelles et de corriger ses erreurs passées.

Le reboot de la série culte suivant le quotidien de la jeunesse dorée de Manhattan contient effectivement quelques avancées notables. La moitié des personnages principaux, et notamment les deux leads – Julien et Zoya, les nouvelles Blair et Serena – sont racisés. De plus, parmi les intrigues amoureuses, on trouve plusieurs relations queers, entre autres : un triangle amoureux entre le personnage de Max, Audrey et Aki, une relation entre Max et son professeur, et un couple de parents homosexuels. Le casting compte même sa première actrice transgenre, Zion Morena, dans le rôle du personnage Luna La.

De manière générale, la série propose une représentation à l’écran de minorités ethno-raciales, sexuelles et de genre largement supérieure à la version originale. Grand changement pour une série qui, dans sa version originale, n’avait qu’un personnage racisé, Vanessa Abrams – dont le développement au fil des saisons avait fait d’elle un des personnages les plus impopulaires de la série – et un personnage queer, Eric Van Der Woodsen. 

Un relooking en demi-teinte

Le bilan de ces progrès reste cependant en demi-teinte. Plusieurs articles accusent l’équipe de production d’un casting coloriste : dans Gossip Girl 2.0, les personnages principaux ne sont plus tous blancs, certes, mais aucun membre du cast n’est dark-skinned. Dans une industrie où, dans les dix dernières années, seulement 19% des femmes noires incarnant un personnage principal a la peau foncée, cela vaut la peine d’être noté (et illustre bien le phénomène récurrent du colorisme à Hollywood).

De plus, la diversité dont se targue le showrunner Joshua Safran ne dépasse jamais le cadre d’une représentation à l’écran. Malgré un contexte propice à l’exploration des enjeux de l’intrication de la classe et de la race, la production a fait le choix de situer ses intrigues dans ce qui s’apparente à une société post-raciale : ainsi, même si la majorité des lycéens milliardaires que nous suivons proviennent de diverses minorités ethno-raciales (afro-américaines, latino, asiatiques), le fait qu’ils opèrent dans un espace historiquement majoritairement blanc n’est jamais soulevé.

De la même manière, les relations queers sont bien présentes et mises en lumière, mais elles semblent complètement normalisées, alors même qu’elles prennent place dans un milieu traditionnellement conservateur. Si les minorités ethno-raciales, sexuelles et de genre sont donc plus visibles à l’écran, ces personnages restent malgré tout dans l’ombre de leurs prédécesseurs, sans véritable récit ou développement qui leur soit propre et qui permette à la série d’éclairer ou de dénoncer certaines dynamiques sociales. 

Cette inclusivité de surface est d’ailleurs déjà évidente dans la bande-annonce. Certes, on y voit des personnages provenant de différentes minorités ethno-raciales, certaines intrigues queers sont sous-entendues, et un personnage est montré dans ce qui semble être une marche pour le climat. Mais cela se fait avec, comme toile de fond, des appartements luxueux, des parents millionnaires, et des intrigues basées sur le pouvoir et le privilège – comme l’illustre bien la chanson Super Rich Kids qui résonne en fond. Le casting est peut-être plus varié, mais les dynamiques restent les mêmes.

Il semblerait donc que l’erreur qu’ont commis les réalisateurs de Gossip Girl 2.0 a été cette tentative de concilier le squelette de la série avec les préoccupations actuelles, donnant lieu à une pirouette scénaristique improbable où le monde des riches est toujours beau, brillant et glamour, mais désormais, il est aussi queer, racisé et self-aware.

En d’autres mots, si la série semble avoir subi un léger relooking, elle ne change pas vraiment dans son essence : elle garde, effectivement, “l’ADN de l’original.” Le niveau de progressisme de Gossip Girl 2.0 apparaît finalement à la hauteur de l’annonce de Joshua Safran : désormais, les riches de l’Upper East Side reconnaissent leur privilège, prennent des Uber à la place des limousines, et sont polis avec leurs employés. Et c’est à peu près tout.

A l’origine, Gossip Girl est un teen soap centré sur le quotidien de lycéens faisant partie de l’élite new-yorkaise. La série joue d’un côté sur le politiquement incorrect et, de l’autre, sur l’opulence et la sophistication. La production ne propose pas de réflexion sur la fortune et le privilège social et a depuis été critiquée pour sa représentation de la consommation, des minorités ethno-raciales et de la sexualité adolescente.

Et en coulisses ?  

Cette société idéale du Gossip Girl 2.0 dans laquelle les personnes racisées accèdent facilement et en nombre à des positions de pouvoir n’a visiblement pas atteint les coulisses de la série culte. La version originale ne comptait, dans son équipe de production, aucune personne de couleur. En 2020, la série en comptait… toujours zéro.

Rapport « Race in the writer’s room » de Darnell Hunt.

Il semblerait que la volonté de la part de la production de corriger son manque d’inclusivité et de diversité ne concernait que la partie visible de la série. Coïncidence ? Après la parution d’études telles que le rapport de 2017 sur la diversité dans l’écriture et la direction de production télévisées, il semble impossible de nier le problème systémique du manque de réalisateurs, de showrunners et de scénaristes provenant de minorités ethno-raciales. Par conséquent, il aurait peut-être été intéressant, si l’équipe de production souhaitait adopter une démarche de rédemption, d’aborder la question des coulisses des productions télévisées.

Qui écrit les histoires que nous regardons ? Est-il pertinent de caster des acteurs racisés et d’inclure des personnages issus de minorités si leurs personnages sont systématiquement écrits par des personnes étrangères aux dynamiques vécues par ceux-ci ? Ne serait-il pas plus intéressant de donner une voix aux personnes concernées, leur permettant d’avoir un véritable contrôle sur leurs récits ? Candice Frederick, dans son article « Talent Of Color Do Not Need White TV Show Hand-Me-Downs », soulève le problème de white gaze dans l’industrie du cinéma et des séries.

“[C]e dont nous avons besoin, et ce que nous demandons, dépasse largement la simple présence d’une personne de couleur à l’écran. Nous voulons de la substance. Nous voulons que les acteurs et actrices racisées puissent avoir leur propre place . Il est important de mettre en lumière des histoires originales écrites par des personnes racisées de talent, jouées par des personnes racisées de talent – sans les présenter à travers un white gaze.”

Candice Frederick, “Talent Of Color Do Not Need White TV Show And Film Hand-Me-Downs”
« Nous avons une industrie qui est contrôlée majoritairement par des hommes blancs, qui, dans de nombreux cas, n’ont pas d’interactions en face à face avec des personnes noires. […] Donc les personnes noires ont tendance à être présentées de manière unidimensionnelle. »

Lorsqu’un personnage issu d’une minorité est écrit par une personne blanche, ou avec en vue un public majoritairement blanc, sa construction porte en elle-même une vision blanche de celle-ci – lui ôtant la possibilité d’une substance et d’une dynamique propres, et pouvant aller jusqu’à la diffusion de stéréotypes ou préjugés négatifs. Comme nous l’avons vu dans la bande-annonce, ce concept de white gaze peut être appliqué au reboot de Gossip Girl puisque celui-ci a été écrit uniquement par des personnes blanches et que ses personnages racisés suivent les mêmes dynamiques que les personnages de la version originale.

Ce que semblent avoir repéré les spectateurs du reboot de Gossip Girl, c’est donc l’aspect performatif de la promesse d’inclusivité de Joshua Safran. Une diversité qui se limite à la représentation à l’écran, suivant les mêmes codes que la série originale (donc, sans exploration des enjeux de classe et de race) et écrite par une équipe de production exclusivement blanche, est difficile à prendre au sérieux, car elle s’apparente plus à une démarche marketing qu’à une réelle prise de conscience des inégalités sociales. 

Silence dans le studio

Lors du Black History Month, le studio Warner Bros (la société ayant produit Gossip Girl) a lui aussi été accusé d’hypocrisie dans son souci d’inclusivité des minorités ethno-raciales. Répondant à un tweet du studio qui rendait hommage aux acteurs noirs de ses films de super-héros, Ray Fisher (Victor Stone, a.k.a Cyborg dans l’univers DC) dénonce des pratiques discriminantes au sein du géant du cinéma.

L’acteur avait déjà alerté au sujet de comportements déplacés de la part du réalisateur Joss Whedon (comportements d’après lui autorisés par la société Warner Bros). En 2020, il tente de rendre publiques des pratiques ouvertement racistes envers les personnes noires de la part de la direction du studio, un mois après l’annonce de la suppression de son personnage du film DC The Flash

“Avant le reshoot de 2017 du film Justice League, des conversations discriminatoires au sujet de la race ont été tenues – à plusieurs reprises -par la haute direction de Warner Bros. Pictures : Toby Emmerich, Geoff Johns, et Jon Berg. […] Quand on entend des directeurs de studio (Geoff Johns en particulier) dire “On ne peut pas avoir un homme noir énervé au centre d’un film”, et qu’on les voit ensuite utiliser leur pouvoir pour enlever TOUTES les personnes noires de ce film – il n’y a plus de place pour le doute.”

Ray Fisher

À l’époque, Warner Bros n’avait pas répondu aux tweets de l’acteur. Le 22 février, lorsque Fisher réitère ses accusations et dénonce ce silence (“[v]ous pourriez essayer de vous excuser publiquement auprès des personnes noires non-fictionnelles impactées par les pratiques racistes et discriminantes de votre entreprise”), le studio ne change pas de posture (malgré de nombreuses preuves de soutien sous le hashtag #IStandWithRayFisher). Dans un tel contexte, il semble encore plus difficile de voir, dans le souci d’inclusivité du reboot de Gossip Girl, autre chose qu’une démarche performative visant à redorer l’image aussi bien de la série que du studio.

L’exemple du reboot de Gossip Girl n’est pas un cas isolé. Depuis quelques années, le tour d’horizon du paysage télévisuel américain s’apparente de plus en plus à une machine à voyager dans le temps – et pour cause, le recyclage culturel est une stratégie commerciale solide. Bien entendu, en leur faisant traverser les âges, les réalisateurs tentent d’adapter leurs productions aux attentes culturelles de notre époque, en faisant preuve de plus d’inclusivité dans leurs castings et leurs intrigues. Mais cette démarche ressemble le plus souvent à un progressisme performatif visant à redorer l’image d’un studio ou d’une production. Ce qui nous amène, dans de nombreux cas, à un résultat similaire à Gossip Girl 2.0 : une histoire écrite par des personnes blanches, pour des personnages blancs, jouée par des minorités – avec, donc, des dynamiques et développements qui ne leur permet pas d’exploiter tout le potentiel d’avoir un personnage principal racisé. Cette ère des reboots participe au passage à raréfier les histoires originales écrites par et pour des minorités (déjà très largement minoritaires). Ce qu’elle nous prouve également, c’est le manque de personnes provenant de ces minorités dans le processus de décision dans l’industrie des séries – un problème qui pourrait aisément être résolu. La question est donc la suivante : est-ce que Hollywood le veut vraiment ?

Non classé

Le monde des sorciers de J.K. Rowling : Silencio de la diversité ethnique

J.K. Rowing ne se cache pas d’être engagée dans la politique et contre les inégalités sociales. Mais le casting de ses adaptations inspirées d’un univers fantastique est-il représentatif de la population du monde réel ? Va-t-il dans le sens des engagements de Rowling ?

J.K. Rowling, de son vrai nom Joanne Rowling est une romancière britannique, connue pour la célèbre série de romans de low fantasy Harry Potter. La low fantasy est un sous-genre de la fantasy. Cela désigne un monde classique, dans lequel apparait de la magie. Les romans ont eu un tel succès, qu’ils ont été adapté en une saga de 8 films, mais également en pièce de théâtre ; Harry Potter et l’Enfant maudit, ainsi qu’une série de films dérivés : Les Animaux Fantastiques. L’autrice a décidé de regrouper tout cet univers sous le nom « Le monde des sorciers ».


 Un casting à 92% blanc pour Harry Potter

Les rôles « non-blancs » se font rares dans la série. En effet, il y en a seulement 13.

Sur ces 13 personnages « non-blancs », aucun ne joue un rôle principal dans la saga. Il est également important de préciser que Kathleen Cauley et Jennifer Smith, actrices noires qui jouent toutes deux Lavande Brown dans les deuxième et troisième volets de la saga, ont été remplacées par une actrice blanche. En effet, c’est Jessica Cave, qui interprète le personnage lorsque le rôle devient plus important, et que Lavande Brown se met en couple avec Ron. Sur environ 167 personnages dans les 7 films, il y a donc 13 personnages non-blancs… soit environ 7,8% du casting…

En 2015, une vidéo compilant chaque réplique des personnages non-blancs dans les 7 films Harry Potter a été réalisée par l’acteur, écrivain et activiste Dylan Marron, lors de sa série de vidéos Youtube « Every Single Word ». La vidéo dure 6,18 minutes. La durée totale des films Harry Potter est de 1180 minutes. Ce qui fait 0,5% de temps de parole.

Mais qu’est-ce qui peut expliquer le fait que les acteurs.rices non blancs.hes d’Harry Potter aient tous et toutes des rôles secondaires ? Le problème peut venir du fait que, selon certains.es réalisateurs.trices, choisir d’attribuer des rôles principaux à des acteurs.rices noirs.es engendrerait une perte de bénéfices et de financements. C’est ainsi que Ridley Scott, le réalisateur d’Exodus, a dit en 2014 au magazine Variety : « Je ne peux pas faire un film avec un tel budget […] et dire que l’acteur campant le rôle principal est un Mohammed qui vient de tel ou tel endroit. Il ne sera pas financé. La question ne se pose même pas ».

Ce phénomène assez récurrent, du personnage noir comme personnage secondaire, s’explique également d’une autre façon, selon Marie-France Malonga, sociologue des médias, et spécialiste de la représentation sociale et médiatique des minorités.

L’intégration de personnages non-blancs en second rôle est une manière de montrer une certaine bienveillance en disant « regardez on en met, ils sont là », mais sans aller très loin sur la question de la représentation au sens propre. Ça reste un engagement de faible envergure, pas très compliqué. C’est une façon de rentrer dans les attentes des mouvements de revendication des minorités ou des contraintes imposées aux chaînes, tout en continuant à ne jamais mettre l’autre dans la lumière. Les minorités sont toujours dans ce rôle de l’éternel second et souvent dans la figure du faire-valoir, du second couteau, mais ça n’est pas à elles qu’il arrive des histoires. 

Marie-France Malonga sur Slate

En effet, suite au #oscarssowhite lancé sur internet, l’AMPAS (Academy Of Motion Picture Arts and Sciences), qui organise les Oscars, a décidé de mettre en place, dès 2024, une réforme qui vise a plus de diversité. Sur quatre critères, le film devra en remplir au moins deux pour pouvoir être présent dans la catégorie du meilleur film. Il est à noter tout de même que ces critères ne s’appliquent que pour une seule catégorie de récompense…

Les animaux fantastiques : lumos sur les minorités ?

Les Animaux Fantastiques est une saga de 3 films faisant partie du Monde des Sorciers de J.K. Rowling. Cette production cinématographique met en scène des animaux présents dans Harry Potter. La saga est une adaptation du livre-guide que J.K. Rowling avait écrit en 2001 pour l’association humanitaire de lutte contre la pauvreté Comic Relief.

Le premier film, Les Animaux Fantastiques est sorti en 2016. Le deuxième, Les Animaux fantastiques : les crimes de Grindelwald est sorti en 2018. Le troisième, prévu pour avril 2022, est Les Animaux fantastiques : Les Secrets de Dumbledore. Les trois films sont réalisés par David Yates, le réalisateur des quatre derniers Harry Potter.

  • Dans le premier film, sur 50 rôles, seulement 7 sont des minorités , soit 14%.
  • Dans le deuxième film, sur 48 rôles, 7 sont des minorités, soit 14,6%.
  • Dans le troisième film, sur 23 rôles annoncés, 5 sont des minorités, soit 21,7%.

Donc environ 16,8% de rôles attribués à des acteurs.trices non blancs.ches dans la saga Les Animaux Fantastiques, contre 7,8% pour Harry Potter.

Il y a une certaine diversité de représentation ethnique dans le casting : de Claudia Kim actrice sud-coréenne qui interprète Nagini à David Sakurai d’origine japonaise qui joue Krall en passant par Maria Fernanda Candido actrice brésilienne qui interprète Vicencia Santos et Akin Gazi, acteur turc qui interprète Auror 3 ou encore Arinzé Kene d’origine nigériane qui joue Auror 6. La distribution des rôles est donc plus variée. Par ailleurs, un plus grand nombre de personnages « non-blancs » tiennent des rôles principaux dans la saga Les Animaux Fantastiques : Séraphine Picquery, Nagini, Yusuf Kama, Leta Lestrange…

L’inclusion ethnique ne s’arrête pas là dans Le Monde des Sorciers, puisqu’en 2016, dans l’adaptation théâtrale d’Harry Potter, c’est Noma Dumezweni, actrice swazie (pays d’Afrique australe entre l’Afrique du Sud et le Mozambique) qui a été choisie pour interpréter Hermione Granger.

La diversité plus importante dans l’adaptation des Animaux Fantastiques que dans Harry Potter peut s’expliquer par le fait que Les Animaux Fantastiques soit une œuvre plus récente. Comme le montre une étude de Variety, les minorités tendent à être plus représentées dans le cinéma. L’étude compare les 18 mois avant la pandémie (du 1 octobre 2018 au 31 mars 2020), et les 18 mois qui ont suivi (du 1er avril 2020 au 1er octobre 2021). Les acteurs latino-hispaniques ont eu la plus forte hausse de représentation dans les films (mais le pourcentage d’acteurs latino-hispaniques dans les séries est passé de 37,1% à 33% durant cette période). Le pourcentage de films sortis avec des personnages noirs est passé de 56,1% à 58,7%. Reste à voir si cette hausse reste stable ou diminuera dans les prochaines années.

La diversité est donc de plus en plus présente dans les œuvres issues de l’univers créé par J.K. Rowling. Et pas uniquement dans la diversité ethnique des acteurs et des rôles, car, dans le dernier Les Animaux Fantastiques, qui n’est pas encore sorti, les spectateurs apprennent que Dumbledore est gay. Reste cependant des zones d’ombres, lorsque l’on sait que J.K. Rowling est au cœur de plusieurs polémiques, suite à des propos transphobes répétés.

Non classé

Ariel 2.0: La Petite Sirène fait polémique

Le choix d’Halle Bailey comme actrice pour interpréter La Petite Sirène a provoqué de grands débats sur la toile, avec le lancer du #NOTMYARIEL après que les studios Walt Disney aient annoncé le choix d’Halle Bailey pour le rôle d’Ariel début juillet 2019. La raison ? La couleur de peau et de cheveux de l’actrice, qui selon les internautes, ne représenterait pas correctement La Petite Sirène originale, blanche aux cheveux roux.

Après Le Livre de La Jungle en 2016, Aladdin et Le Roi Lion en 2019 et Mulan en 2020, c’est au tour de La Petite Sirène d’être adapté en film par le studio de production Walt Disney Pictures. La Petite Sirène est un film d’animation des studios Disney sorti en 1989. Mais cette adaptation de Rob Marshall qui sortira en 2023, suscite la polémique auprès du public.

Le blackwashing n’existe pas. Les sirènes n’existent pas.

Les nombreux tweet déplorent alors un blackwashing, terme désignant le fait de donner à un.e acteur.trice noir.e le rôle d’un personnage blanc. Or, est-il possible de parler de blackwashing lorsqu’il s’agit de mettre en avant des minorités invisibilisées dans les médias ?

Il est important de différencier le blackwashing, du whitewashing, du racebending et du color blind casting. Le whitewashing est l’antonyme du blackwashing : c’est le fait de faire jouer à un.e acteur.trice blanc.he le rôle d’un personnage non-blanc. Dans une adaptation, les personnages dont l’origine ethnique n’est pas clairement mentionnée dans l’œuvre originale ont tendance à être souvent joué par des acteurs blancs. De manière plus générale, le racebending est le fait de changer l’origine ethnique d’un personnage. Enfin, le color blind casting (ou color blindness) traduit par casting daltonien est le fait de distribuer les rôles des acteurs.trices indifféremment de leur couleur de peau et de leurs origines.


En 2015, Thomas Messias, journaliste pour Slate dit : « Il faut donner plus d’espace aux acteurs et aux actrices de couleur, c’est un fait. Leur permettre à leur tour d’incarner des personnages voulus comme blancs par leurs auteurs, ou considérés comme tels dans l’imaginaire collectif. […] Tenter modestement d’inverser la tendance n’est pas du blackwashing. » En outre, il y a beaucoup plus de personnages noirs joués par des acteurs.trices blancs.hes qu’inversement. Le fait de faire jouer à un.e acteur.trice blanc.he un personnage noir s’appelle du whitewashing.



Le blackwashing n’existe pas. La diversité dans les médias (spécifiquement les médias pour les enfants) est plus importante que d’être sûre que l’acteur ressemble au dessin que vous aimiez durant votre enfance. Les sirènes n’existent pas.

SciFi Now sur Twitter, le 4 juillet 2019

Si une partie de la population a aussi mal accepté le fait que la Petite Sirène soit noire dans le remake de 2023, c’est donc principalement parce qu’il est plus habituel de voir des acteurs.trices blancs.ches jouer des personnages noirs que l’inverse.

La chaîne de télé américaine FreeformTV  détenue en partie par Disney Media Network depuis 2011, a également publié un tweet destiné « aux âmes  pauvres et malheureuses » (en référence à la chanson que chante Ursula dans le Disney), en défendant Halle Bailey:

L’auteur original de « La Petite Sirène » est danois. Ariel… est une sirène. […] Mais pour les besoins de la discussion, disons qu’Ariel est aussi danoise. Les sirènes danoises peuvent être noires parce que les *personnes* danoises peuvent être noires. […] Les danois noirs, et donc les mer-folk, peuvent aussi *génétiquement* (!!!) avoir les cheveux roux.

Freeform TV sur Twitter, 7 juillet 2019

La chaîne précise également que dans tous les cas, Ariel est un personnage de fiction.

En réaction a cette polémique, la chanteuse a alors posté sur son twitter une image d’une sirène à la peau noire et aux cheveux bruns, avec en légende « un rêve devenu réalité ». En août 2019, elle dit lors d’une interview du magazine américain Variety : « j’ai l’impression de rêver et je suis très reconnaissante, je ne prête pas attention à la négativité, ce rôle est quelque chose de plus grand que moi et de meilleur, ça va être magnifique, je suis vraiment pressée de faire partie de ce projet. »

Une inclusivité et une diversité par intérêt ?

La diversité de plus en plus présente dans l’univers Disney serait-il un moyen marketing ? Dans une société où il est de plus en plus courant de parler des discriminations qui touchent les minorités quelles qu’elles soient (homophobie, transphobie, racisme, sexisme…), les Studios Walt Disney se serviraient-ils de ce phénomène pour redorer leur image, et ainsi, attirer plus de spectateurs.trices, a l’instar du reboot de Gossip Girl ? En effet, ces dernières années, nombreuses sont les productions Walt Disney mettant en scène des personnages aux origines ethniques différentes : de Tiana dans La Princesse et la Grenouille (2009) à Miguel dans Coco (2017), en passant par Vaïana dans l’animation éponyme (2016), ou encore dans le nouveau film d’animation Encanto sorti en 2021. Récemment, une adaptation Disney a également fait parler d’elle : Blanche-Neige et les sept nains. En 2021, le choix de l’actrice pour jouer Cendrillon avait également fait polémique.

A travers le monde, plusieurs initiatives sont mises en place pour aider à l’inclusivité dans le cinéma. C’est ce que rapporte une étude du Collectif 5050, portant sur l’inclusion dans le cinéma. En Nouvelle-Zélande la New Zealand Film Commission a mis en place une stratégie pour soutenir financièrement les réalisateurs et réalisatrices Maori ainsi que la mise en place d’un poste dédié à l’inclusion des communautés asiatiques par exemple. Au Brésil, l’institut Nicho 54 permet entre autre de former des professionnels.les noirs.es notamment dans les postes de décision et création et la mise en avant d’un cinéma brésilien noir. Au Canada l’organisation Producer’s Pledge a permis de récolter 280 000$ en faveur des créateurs.rices de communautés sous-représentées, racisés.es et autochtones. Au Royaume-Uni, la BBC Targets a annoncé mettre en place des quotas pour la représentation des minorités à l’écran et parmi les cadres dirigeant la BBC. La diversité est encouragée par de nombreux collectifs, qui mettent en place des aides pour que les minorités soient davantage représentées.

Tamara Rousseau, auteure du mémoire La force du cœur Les changements de l’archétype du héros durant la Renaissance de Disney (1989-1999), en 2019, explique dans ce dernier que La Renaissance de Disney a eu lieu à partir de 1989 avec « l’arrivée de personnages féminins forts comme Mulan (Mulan, 1998) et Pocahontas (Pocahontas, 1995). » Cela permet « une plus grande diversité culturelle des héros et héroïnes avec des récits qui proviennent de partout autour du globe au lieu des récits plutôt européens de la période classique de Disney ». Les studios Disney semblent donc aborder une nouvelle ère où l’inclusivité est de plus en plus présente. C’est ainsi que le 21ème siècle marque la repentance de Disney.