Migrant’scène ou comment déconstruire les préjugés ?
« Je me souviens du bébé qu’on avait vu, qui était mort sur la plage, et ça a été une indignation dans le monde entier, mais il y en avait eu 300 des bébés qui étaient morts sur les plages auparavant ! » Bernard Etter, ancien président du groupe de La Cimade de Valenciennes. La situation des migrants est souvent mise de côté par les médias ou les politiques. Pourtant, tout le monde se souvient de ce sujet quand le petit Aydan est retrouvé échoué sur une plage, mais personne ne sait que la France expulse en moyenne 15 000 personnes par an. Le festival Migrant’scène va à contre-courant de ce manque de considération envers cette situation, en rappelant chaque année l’importance de ce sujet qui reste une actualité permanente.
Depuis des années, il y a des personnes qui veulent quitter leur pays pour des raisons économiques, politiques, ou encore climatiques. Elles se rendent dans un autre pays pour avoir une vie meilleure, ce sont ces personnes-là que l’on appelle migrants. En France, comme en Europe, leur nombre est considérable. En 2015, l’Union européenne a reçu 1,2 million de nouvelles demandes d’asile, qui est un « chiffre record ».
Une loi contradictoire
En août dernier, une nouvelle loi a été votée par l’Assemblée concernant l’asile et l’immigration. Ce texte présenté par Gérard Colomb reste très paradoxal dans son objectif d’une « immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». Même au sein des politiques, la première présentation du projet avait suscité une réécriture, car considérée comme « inacceptable » par la majorité. Encore aujourd’hui, beaucoup d’associations semblent révoltées par le passage de cette loi, qui selon elles, dégrade encore plus les conditions des personnes migrantes. Elles proposent donc des décryptages de ce texte de loi et des vidéos explicatives pour informer et permettre de mieux comprendre quelles sont les conséquences.
Depuis cette loi et les quelques protestations engendrées, la situation des migrants passe inaperçue dans la presse et parmi les politiques. Une actualité chassant l’autre, l’immigration en France est un sujet qui reste très peu évoqué quand cela ne concerne pas un événement « choc ». C’est aussi pour cela que de nombreuses associations se mobilisent pour trouver des solutions aux conditions d’immigration. Elles cherchent aussi à sensibiliser et informer un maximum de personnes. Cependant, les actions restent minimes avec un rayonnement plutôt faible. Parmi ces associations, La Cimade (→ Hyperlien), une association de solidarité qui aide et soutient les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, agit avec ses partenaires, depuis 1939, pour améliorer l’intégration et les conditions des migrants à l’international et en France.
Une initiative de changement
En 2000, le groupe de bénévoles de La Cimade Toulouse décide d’organiser des manifestations culturelles dans la ville sur plusieurs jours. L’objectif principal est de favoriser la rencontre et la discussion avec un public plus large et varié que le public habituel. Les événements qui composent ces quelques jours sont variés, réunissant les milieux de l’éducation populaire, de l’art, de la recherche ou encore de l’éducation. Ce festival émergent perdure plusieurs années jusqu’en 2006 où Migrant’scène est structuré à l’échelle nationale et permet de se développer sur un plus grand rayonnement. Aujourd’hui, le festival dure trois semaines et s’étend sur plus de 100 villes en France métropolitaine et outre-mer.
Françoise Fonkenell est bénévole dans le groupe La Cimade Toulouse depuis la création du festival, a vu grandir cette action de sensibilisation. Selon elle, le festival n’est pas seulement à destination du public et des migrants. Il est aussi important pour les bénévoles, « ça permet aussi de rassembler des gens des autres assos, de se voir, de discuter, un peu en dehors du truc quotidien […] C’est un peu plus festif que ce qu’on fait tous les jours à La Cimade, qui sont des choses plus austères… » nous dit-elle. Dans la région Sud-Ouest, là où tout a commencé, les groupes de bénévoles ont considérablement augmenté, ils sont 13 groupes aujourd’hui contre 5 à la création de Migrant’scène. Ce festival leur laisse l’occasion de s’investir à leur échelle, car c’est eux qui choisissent et organisent une manifestation culturelle à leur échelle, ce qui laisse une assez grande liberté. Cette méthode semble stimulante, car sur toutes les manifestations culturelles de la région, la majorité se situe hors des deux principales villes, Bordeaux et Toulouse.
Lieux des différentes manifestations culturelles sur la région Sud-Ouest
Dans une société qui met à l’écart une crise aussi importante, Migrant’scène permet de remplacer le rôle d’information des médias, notamment grâce à ses projections de court-métrage. C’est un format qui permet de rendre compte au public les conditions de migrants sur plusieurs aspects : la rétention, le passage de la frontière, l’intégration, la demande d’asile, etc. Le public peut se faire sa propre idée des conditions des migrants sans forcément passer par les articles buzz de certains médias. Souvent les projections sont suivis de débats qui laissent l’occasion d’échanger et de rencontrer les bénévoles et parfois même des migrants qui ont vécu ou vivent les histoires présentées dans les courts-métrages. Toutes les manifestations culturelles du festival permettent de donner une autre image du migrant afin de déconstruire les préjugés et éviter la discrimination.
L’immigration, vouée à changer ?
Aujourd’hui La Cimade continue de lutter contre la négligence du gouvernement, afin d’ouvrir un vrai débat et de trouver des alternatives a une politique qu’elle considère en défaveur des migrants. Cette volonté semble avoir été renforcée à la suite de la mise en place du débat national ayant pour but de répondre aux attentes des gilets jaunes. Parmi les thèmes sélectionnés par l’exécutif, la question de l’immigration en fait partie, ce qui a fait l’effet d’une bombe au sein des associations.
Le choix de ce thème est inattendu car le président Macron ne semble pas avoir consulté la majorité et cela ne remonte pas du mouvement des gilets jaunes. L’immigration est un sujet à débattre, mais c’est un sujet qu’il est préférable de poser dans un contexte spécifique. Pour ces raisons, plus les années passent et plus Migrant’scène prend de l’ampleur. C’est un festival dans la continuité des objectifs de La Cimade et des autres associations, qui laisse réfléchir sur son impact pour les futures années à venir.